Les pieds sur terre

Bruno Govers

Après deux années noires, il savoure son bonheur d’être à nouveau joueur à Anderlecht.

Anderlecht a donc concédé sa première défaite en championnat, cette saison, à La Gantoise. Longtemps, rien n’aura laissé présager une telle issue, dans la mesure où les joueurs du RSCA ne furent jamais poussés dans leurs derniers retranchements par les Buffalos. Ils paraissaient même définitivement sur le velours après que Didier Dheedene, sur penalty, leur eut donné l’avance en cours de deuxième mi-temps. Bizarrement, la mécanique du Sporting se grippa dès ce moment et les protégés de Patrick Remy en profitèrent pour renverser complètement la vapeur, par Nasredine Kraouche d’abord puis par le remuant Ahmed Hossam.

Olivier Doll : C’est une défaite d’autant plus râlante qu’elle aurait pu et dû être évitée. Nous avions tous les atouts en mains pour ramener la totalité de l’enjeu de ce déplacement. Malheureusement, la gestion des événements aura laissé singulièrement à désirer en fin de partie. Nous avons alors abandonné trop d’espace à l’adversaire au lieu de resserrer les rangs. Face à des attaquants explosifs, pareil manque de lucidité ne reste jamais sans conséquences. Et nous l’avons vérifié à nos dépens.

A la faveur de ses trois plus récentes sorties, à Westerlo d’abord, puis au Lierse et enfin à La Gantoise, l’équipe a pris deux unités sur les neuf mises en jeu alors que le carton plein était parfaitement réalisable dans ces circonstances. A l’image de ce qui s’est passé en Ligue des Champions, Anderlecht présenterait-il donc deux visages selon qu’il évolue à domicile ou loin de ses bases?

Il n’est pas anormal d’être moins performant à l’extérieur que chez soi. Même Manchester United s’exporte mal, au vu des performances qu’il a réalisées away, en compétition européenne, ces derniers mois. Or, les Anglais ne sont quand même pas les premiers venus. Ce qui est regrettable, dans notre cas, c’est que nous nous forgeons invariablement bon nombre d’occasions, en déplacement, sans parvenir à les concrétiser. Et les trois quarts du temps, nous payons aussi un lourd tribut, à ce niveau-là, à de petites imperfections en défense. Je n’en veux pour preuve que le deuxième but gantois, qui résulte à la fois d’une relance imparfaite d’Yves Vanderhaeghe, d’une petite hésitation de Zvonko Milojevic et d’un manque de discernement de ma part vis-à-vis d’Ahmed Hossam. Petites causes mais grands effets.

Toute la semaine n’aura pas été mauvaise pour autant puisque, quelques jours plus tôt, le Sporting était sorti la tête haute de la Ligue des Champions avec une formation au sein de laquelle l’un ou l’autre joueurs peu utilisés jusqu’ici, tels que Souleymane Youla ou Aleksandar Ilic, se montrèrent à la hauteur. Comment expliquer que les remplaçants anderlechtois ne font jamais tache, alors qu’ils reviennent parfois de très loin? Comme vous, par exemple?

Ce constat en dit long sur la richesse du noyau et sur son professionnalisme exacerbé, tout simplement. Chacun met manifestement un point d’honneur, chez nous, à répondre pleinement à l’attente lorsque l’occasion lui est donnée de s’exprimer. Parfois, cette satisfaction se savoure de manière éparse. Comme dans mon chef, puisque les sorcières se sont abattues plus souvent qu’à leur tour sur moi, ces dernières années, sous forme de divers contretemps : une opération aux abdominaux d’abord, puis une autre aux adducteurs et, pour corser le tout, une mononucléose. La chance n’aura donc pas été réellement mon alliée durant tout ce temps. Mais j’ai toujours fait contre mauvaise fortune bon coeur en veillant à répondre présent sur le terrain quand on avait besoin de moi.

Vous avez été repêché, cette saison, pour les besoins du match de la Ligue des Champions contre la Lazio Rome, au Parc Astrid. Ce soir-là, vous formiez au demeurant une paire inédite au côté d’Aleksandar Ilic. Vu l’importance de l’enjeu, n’aviez-vous pas la moindre appréhension ce soir-là?

Pas du tout. Je n’avais strictement rien à perdre ce soir-là, à l’instar de ce qui s’était déjà produit, l’année passée, contre le Standard à Sclessin. Ce jour-là, en raison de l’absence de Lorenzo Staelens, j’avais été appelé à la rescousse pour la première fois de la saison. Et ce n’était franchement pas un cadeau non plus, dans la mesure où mon adversaire direct avait pour nom Emile Mpenza. Tout bien considéré, je ne pouvais qu’être gagnant à cette occasion. En cas de bonne prestation de ma part, en effet, je me rappelais automatiquement au bon souvenir de ceux qui ne m’avaient plus vu sur un terrain depuis belle lurette. Si, au contraire, je me plantais, j’aurais droit à des circonstances atténuantes, entendu que je revenais quand même de très loin.

Après cette joute contre les Rouches, votre contribution au vingt-cinquième titre du club se sera limitée à trois autres matches complets, contre Bruges, St-Trond et Charleroi. Au moment de la négociation d’un nouveau contrat, Aimé Anthuenis ne s’en montra pas moins l’un de vos plus plus farouches partisans alors que vous-même, vous vous tâtiez à ce moment quant à la suite à donner à votre carrière.

Je me suis demandé, effectivement, quelle était la motivation du club et, surtout, du coach à vouloir absolument me conserver, entendu que je n’avais quand même guère eu l’occasion de m’illustrer sous sa coupe. En vérité, je redoutais d’être perçu comme une doublure idéale. Or, compte tenu des événements, j’avais fini par me profiler ainsi. A 27 ans, je ne tenais pas à être catalogué pour de bon. C’est la raison pour laquelle j’ai mûrement réfléchi ma décision.

Avez-vous fait le tour de la question avec Aimé Anthuenis?

A quoi bon? Un entraîneur ne peut pas davantage promettre qu’un joueur exiger. Dans un cas comme dans l’autre, on reste tributaire des circonstances, malgré tout. Si Glen De Boeck et Lorenzo Staelens n’avaient pas dû déclarer forfait, de concert, face à la Lazio, jamais Aleksandar Ilic et moi n’aurions été lancés dans la bataille ce soir-là.

Dans un même ordre d’idées, Aleksandar Ilic n’aurait probablement pas joué non plus, naguère, contre le Real, si Didier Dheedene avait été qualifié pour cette rencontre. Et le bougre s’est remarquablement tiré d’affaire au back gauche. Eu égard à sa prestation, comprenez-vous ses doléances à s’exprimer dans cette attribution?

« Alex » a prouvé qu’il avait toutes les qualités requises pour s’illustrer à ce poste. Il s’y débrouille, en tout cas, autrement mieux que moi puisqu’à mes débuts au Sporting, Johan Boskamp m’avait titularisé comme latéral sur cette portion du terrain. Ce n’était pas mon rôle de prédilection mais je m’en étais accommodé car j’estime que dans une équipe où les places sont chères, il faut savourer le bonheur d’être partie prenante dans le onze de base. Personnellement, j’ai composé avec tant de poisse que je mesure peut-être mieux qu’un autre la joie d’être sur la pelouse. Mine de rien, mon dernier match européen, avant cette fameuse joute contre la Lazio, remontait à un déplacement aux Grasshoppers Zurich à l’automne 1998. C’est assez dire si je reviens de loin.

Au total, vous avez disputé quatre rencontres dans leur intégralité en Ligue des Champions : deux contre la Lazio Rome et deux face au Real Madrid. Une seule fois, Anderlecht a pris une correction durant cette séquence : à Bernabeu. Des statistiques qui plaident manifestement en faveur de votre maintien au sein de l’axe central.

C’est un chouette constat, évidemment. Mais il faut se garder de généraliser, en ce sens que chaque rencontre a sa vérité, indépendamment des hommes qui composent l’équipe à ce moment. Il n’est pas interdit de penser, par exemple, que le Sporting aurait été sévèrement défait à Old Trafford également si j’avais été aligné en cette circonstance précise. Pourquoi? Tout simplement parce que, globalement, il y avait eu trop de déférence, chez nous, par rapport à l’adversaire. Et je ne pense pas un seul instant qu’un individu, quel qu’il fût, aurait été capable de changer le cours des événements ce soir-là. La preuve : il nous est arrivé la même mésaventure à Chamartin où l’ensemble avait été par trop laxiste. Et je n’avais pas échappé à la règle générale dans ces conditions. Il convient, dès lors, de relativiser les événements.

Et le propre d’Olivier Doll, c’est de garder les pieds sur terre?

Dans ce registre-là, je ne fais sûrement pas figure d’exception à Anderlecht. L’humilité est, peut-être, l’une des qualités essentielles du noyau actuel. Malgré l’effervescence suscitée par nos victoires contre Manchester, la Lazio ou le Real, tout le monde se rend fort bien compte de la distance qui sépare le Sporting du top européen. Et dans le cadre du championnat, les joueurs n’ont jamais eu de cesse d’affirmer, ces derniers temps, que tout restait à faire, en dépit de l’avance substantielle que nous comptions sur Bruges à un moment donné. Notre défaite à Gand n’aura fait, finalement, qu’attester la justesse de cette réflexion.

Vous êtes anderlechtois depuis 1994. Que vous inspire la génération actuelle par rapport à ses devancières?

Mon arrivée a coïncidé avec la fin d’une passe de trois réalisée par Johan Boskamp entre 1993 et 1995. En matière d’individualités, il y avait évidemment pas mal de noms ronflants à cette époque, comme Marc Degryse, Johan Walem, Georges Grün, Philippe Albert, Bruno Versavel, Johnny Bosman et j’en passe. Par la suite, il y eut l’arrêt Bosman et ses conséquences pour le Sporting, qui rentra un tant soit peu dans le rang avant de reprendre du poil de la bête suite à l’arrivée d’Aimé Anthuenis. Par rapport à ces années difficiles, une amélioration aura été perceptible, selon moi, aussi bien en matière de qualité que de maturité. A l’exception d’Alin Stoica, de Walter Baseggio et d’Aruna Dindane, la plupart des valeurs sûres ont aujourd’hui entre 26 et 32 ans. Autrement dit, la fleur de l’âge. En Belgique, elle nous permet de nourrir les plus hautes aspirations. A l’échelon européen, elle nous autorise à faire de très bons résultats, comme nous l’avons démontré cette saison.

En l’espace de sept années, vous avez composé avec une rude concurrence dans le secteur qui vous est cher : Graeme Rutjes, Georges Grün, Olivier Suray et on en passe. Lequel se sera révélé le plus coriace?

Aussi étrange qu’il n’y paraisse, celui qui m’a le plus impressionné, durant toutes ces années, n’est autre que Chidi Nwanu. A l’entraînement, du moins. Car pour des raisons qui échappent à l’entendement, le Nigérian ne parvenait décidément pas à reproduire en match la maîtrise dont il faisait preuve journellement aux séances de préparation. Il était extraordinaire dans ces circonstances-là.

A la fin de votre contrat, en 2004, vous en serez à dix années de présence ininterrompue à Anderlecht. Ce bilan, dont peu de joueurs peuvent se prévaloir, vaut-il autant qu’une expérience à l’étranger, comme le soutient Glen De Boeck?

Si je vais au bout de ce bail, c’est sûr que j’en tirerai une énorme satisfaction. A son échéance, je n’aurai jamais que 31 ans. A cet âge-là, une aventure hors frontières est toujours envisageable. Je ne cache pas que le football anglais me plaît. Aussi, si une opportunité se dessinait pour moi aux Iles, je la prendrais en considération, c’est certain. Dans l’immédiat, Anderlecht suffit néanmoins largement à mon bonheur.

L’année passée, l’Atalanta Bergame avait, semble-t-il, fait montre de sollicitude pour vous?

J’en ai eu vent, par voie de presse, mais il n’y a jamais eu de contact officiel. Le seul club qui ait pris langue avec moi, c’était Charleroi. Mais dans la mesure où son avenir était encore entouré d’un point d’interrogation, j’ai pris la sage décision de rempiler au Parc Astrid. Au vu des événements, il tombe sous le sens que je ne m’en plains pas.

De manière générale, vous ne maugréez pas facilement, contrairement à d’autres qui s’estiment injustement montrés du doigt ou qui se lamentent pour ne pas jouer à leur meilleure place. Pourquoi Olivier Doll ne fait-il jamais de vagues?

Parce que je pars du principe qu’une place se mérite sur le terrain et non par des épanchements dans les journaux. Qu’on ne s’y trompe pas : je ne suis pas toujours d’accord avec le sort qui m’est réservé. Mais je ne vois pas la nécessité d’ameuter tout le monde à ce propos. Mes émotions ne concernent que moi et mes proches.

Savez-vous qui est le meilleur stoppeur de Belgique, d’après Jan Koller?

J’ai cru comprendre, à travers la lecture de Ciné Revue, qu’il m’avait adressé ce compliment. Venant du Soulier d’Or, c’est un bel hommage. Vis-à-vis de lui, ma considération est exactement la même, d’ailleurs. A sa place, c’est le meilleur, tout simplement. Je préfère l’avoir comme partenaire que rival, en tout cas. J’ose espérer qu’il sera toujours des nôtres dans quelques mois. Dans le contexte actuel, il est le joueur le plus indispensable, chez nous, à la bonne marche des événements. Dans cette optique, son départ constituerait franchement une grande perte pour nous.

Beaucoup s’accordent à dire qu’en matière de marquage sur l’homme, peu de joueurs vous sont supérieurs dans notre pays. Vous arrive-t-il de songer à un retour en équipe nationale, dans ces conditions?

A ce jour, je n’ai joué qu’une seule rencontre officielle pour les Diables Rouges : en Turquie, au printemps 1997. Un match qui s’était soldé par une victoire 1-3 grâce à un hat-trick de Luis Oliveira. Depuis cette date, je n’ai plus jamais été repris en sélection. Mais comment aurait-il pu en aller autrement puisque mes ennuis de santé ont commencé à cette époque? A présent, j’ai mis les Diables Rouges en veilleuse. Dans l’immédiat, en effet, je veux me stabiliser au Sporting. Si j’y parviens, une bonne surprise sera toujours possible. Mais je ne fais sûrement pas de fixation à ce propos.

Bruno Govers

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