Les paradoxes de l’effet Henin

Et si on en arrivait à une situation d’après-boom, où les profs ont plus de temps pour s’occuper des jeunes prometteurs ?

Passionné de tennis depuis qu’il a arrêté de défendre les buts de la RAAL et travaillant à l’Association francophone de tennis depuis 18 ans, Jacques Leriche en a pris la direction sportive en 2003. Depuis, il dort, mange et vit tennis. Et reste optimiste pour l’avenir.

Ressentez-vous déjà les effets négatifs du départ à la retraite de Justine Henin ?

Jacques Leriche : Aujourd’hui, non. Mais quand les médias arrêteront de se rendre dans les tournois du Grand Chelem, il risque effectivement d’y avoir moins de jeunes s’inscrivant dans les clubs. Cela étant dit, les infrastructures de club n’ayant pas évolué proportionnellement à la forte demande des années précédentes, on ne devrait pas ressentir exagérément la baisse potentielle. Je vais même vous surprendre en affirmant que le tennis de compétition a, en réalité, souffert de la popularité des dernières saisons. Comme il y avait de plus en plus de jeunes pour les cours d’initiation, les joueurs un peu plus forts, à qui les écoles de tennis pouvaient précédemment donner 3 ou 4 heures d’entraînement par semaine, ont été moins bien servis.

Les sponsors risquent tout de même de se détourner du tennis ?

On pourrait le craindre mais tel n’est pas le cas pour l’instant. Plus que l’après-Henin, je crains la crise économique.

Le talent de Henin et d’Olivier Rochus n’a-t-il pas placé la barre un peu trop haut pour leurs successeurs ?

En raison de ce talent, la référence a longtemps été bien trop élevée, en effet. Ce qui veut dire que, pendant des années, on a demandé aux jeunes joueurs d’obtenir des résultats s’approchant de ceux de leurs deux aînés. Il fallait presque avoir leur niveau pour être sélectionné au Centre AFT qui est donc devenu trop confidentiel. Les joueurs étaient seuls dans leur catégorie et ils subissaient trop de pression. Maintenant, on prend plus de joueurs, on ne mise plus sur des exceptions mais sur le volume.

Effectuez-vous les sélections sur l’acquis ou sur le potentiel ?

Nous effectuons tout d’abord des détections à l’occasion de tournois destinés aux petits. Ces jours-là, on teste les enfants sur leur potentiel physique. On les invite alors à prendre part à des stages pendant lesquels on peut apprécier leur goût du tennis, leur caractère, leur entourage familial. Les sélections se font à terme sur un équilibre entre le potentiel et l’acquis, mais aussi sur les autres paramètres indispensables pour mener une carrière pro.

Des exemples récents, comme ceux du Français Gilles Simon (ATP 7) et de Steve Darcis, prouvent que l’on peut éclore après 20 ans.

C’est pour cela que j’ai demandé à la Communauté française de continuer à aider des joueurs étant sortis de l’école. Avec notre système scolaire, il est quasiment impossible d’être bien classés entre 12 et 18 ans. Notre pays est l’un des derniers à avoir des espoirs qui poursuivent leurs études.

Les joueurs du Centre AFT doivent-ils précisément encore terminer leurs humanités ?

A la base, oui, mais on assouplit peu à peu cette obligation. Tamaryn Hendler et Arthur De Greef en sont dispensés et les résultats ont très rapidement suivi.

Peut-on encore rêver d’un(e) Belge numéro 1 mondial(e) ?

Pourquoi pas ? Mais il est clair que ce sera de plus en plus difficile. L’évolution du tennis est telle qu’il y a de plus en plus de concurrence venant de pays qui, il y a encore un ou deux lustres, ne s’intéressaient pas à notre sport. Cela dit, on ne doit pas juger une fédération sur sa faculté à former un numéro 1, mais bien sur son aptitude à amener plusieurs joueurs dans les tournois du Grand Chelem.

Quels sont justement les jeunes francophones que l’on devrait voir dans ces tournois d’ici quelques années ?

Tamaryn Hendler devrait être Top 100 très rapidement, sans doute dans les deux ans. Nous allons beaucoup travailler son foncier, elle va disputer 12 à 14 tournois WTA en 2009 et va très rapidement progresser au niveau physique et tennistique.

Et du côté des garçons ?

David Goffin est en pleine explosion. 700e mondial, il a un an d’avance par rapport à son objectif (voir encadré). Alexandre Folie vient de reprendre la bonne direction et devrait obtenir rapidement de bons résultats. Le cas de Frédéric De Fays est un peu décevant mais cette déception vient de sa survalorisation quand il avait 13 ou 14 ans. Or, il n’a jamais été Top10 quand il était petit. On ne l’a pas formé et il a cru qu’il suffisait de paraître pour réussir. Heureusement, il a enfin accepté de modifier son jeu et pourrait exploser.

Suite à son succès à l’Astrid Bowl de 2007, on a beaucoup parlé de Germain Gigounon ?

Lui, c’est le champion du monde des compétitions amicales. Tous les pros adorent s’entraîner avec lui. Malheureusement, en tournoi officiel, il joue moins bien car il a peur et se met trop de pression. Il va lui falloir un ou deux ans en plus que les autres. Il a la vitesse, l’intelligence – il est même peut-être trop malin – mais, maintenant, il doit se maîtriser. Il peut arriver haut.

Et chez les plus jeunes ?

Julien Cagnina est très bon, très doué. Il a un potentiel certain, mais il s’est mis trop de pression par rapport à ce qu’on disait de lui. Il ne s’est pas remis suffisamment en question. Depuis quelques semaines toutefois, il s’est remis sur les rails. Son évolution pourrait cependant suivre la trajectoire de montagnes russes. Il y a aussi Yannick Reuter qui devrait faire partie du Top 20 juniors fin de l’année prochaine. Quant à Arthur Degreef, il monte très fort. Il est très bien influencé par Christophe Rochus avec qui il s’entraîne régulièrement.

L’opération Rochus doit rapporter énormément

Justement, le retour des Rochus au Centre a-t-il eu un impact positif sur les jeunes ?

Plus que positif. Pour eux, et pour les jeunes du Centre. Comme Darcis, ils donnent des idées aux plus jeunes qui, non seulement, évoluent à côté de professionnels mais jouent aussi régulièrement avec eux. Cela les motive et les tire vers le haut

Est-il logique que des joueurs pros de haut niveau et gagnant bien leur vie bénéficient de l’encadrement fédéral ?

Il faut savoir que l’opération sur les Rochus est une opération blanche au niveau financier. Ils utilisent, certes, des terrains et des équipements mais par rapport à ce qu’ils apportent aux jeunes, c’est vraiment bien peu de choses. Qui plus est, leur présence au Centre peut avoir une influence bénéfique sur les sponsors.

Quelle est la situation au niveau féminin ?

Ce n’est pas exceptionnel. Pour le moment, on a trois joueuses qui pointent le bout de la raquette mais il ne s’agit pas de stars. Celle qui a le plus de qualité, de capacité de travail, c’est Estelle Balan. Au départ, elle était très carrée, mais là, elle a vraiment pris de l’envergure. C’est le type de joueuse qui, avec du travail, peut entrer dans le top 100 et, par conséquent, devenir pro.

Reste que le tennis féminin francophone est assez faible ?

Paradoxalement, après Justine et Dominique Monami, c’est assez discret. Il suffit de voir le niveau des deuxièmes séries féminines pour se faire une idée de la difficulté de trouver de bonnes joueuses potentielles. C’est un très gros problème pour lequel je ne perçois pas de solution. Le réservoir est faible par la taille, par la qualité… Heureusement, Hendler est arrivée, un peu par hasard. Maintenant, on se concentre sur les jeunes nées en 1993 et 1995 mais je ne sais pas ce que cela donnera. Et puis, on doit tout de même être honnête avec les gens. On ne peut pas sélectionner une jeune fille, la faire rêver alors que l’on sait qu’elle n’a strictement aucun avenir. C’est aussi notre rôle de dire à un joueur que l’on veut le guider vers une autre vie que celle du tennis.

Ne faudrait-il pas que la Belgique organise davantage de tournois mineurs pour que sa formation soit complète ?

Si, bien sûr. Quand on voit qu’il y en a des dizaines en Italie, au Portugal ou en Espagne et que, chez nous, il n’y a eu que deux 10.000 dollars masculins en 2008. C’est paradoxal vu le nombre de joueurs. Ce n’est pas uniquement l’AFT qui devrait prendre conscience de cela, il faudrait que les responsables de club réagissent. Je n’ai pas envie de tirer sur les clubs, dont la gestion n’est pas facile, mais ils sont de plus en plus commerciaux. Ils ont été contents de percevoir les dividendes des Rochus et des Henin : aujourd’hui, il n’y a plus assez d’investissement.

Vous pensez que la crise pourrait tout de même avoir un aspect positif ?

Comme les clubs et les écoles de tennis vont perdre des élèves de loisir, ils vont peut-être davantage investir dans la compétition afin de rentabiliser leurs terrains et de maintenir le salaire des enseignants. La crise pourrait en ce sens dynamiser la compétition…

par patrick haumont – photos: reporters

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