Les ondoyants, dont Dembele !

Toute minorité tend à se constituer en fraternité. J’appartiens à celle des gauchers, je privilégie pour toute activité la partie gauche de ma carcasse… sauf pour écrire, parce que le Frère Joseph m’a martyrisé quand j’étais gamin. En première primaire, c’est vous dire si ça date, la règle de ce vieil homme en soutane m’a pété les doigts jusqu’à ce que je prenne systématiquement la belle main. Si j’ai bien compris, ça voulait dire celle du Bon Dieu auquel j’en veux toujours, pour ça notamment : mais c’est mon poing GAUCHE que je serre encore parfois vers son ciel, quand Dieu me tape trop sur les nerfs.

Par contre, à la récré (sans doute possédait-il la vista de Gilbert Montagné), le Frère Joseph ne mouftait pas si je tripotais un ballon du pied gauche. Depuis, tandis que grandissait mon amour du foot, tout footballeur gaucher est donc un peu mon frère. Et mes idoles de gamin, celles qui faisaient surgir le désir d’imiter, étaient des gauches pattes : Gerson, Wim Van Hanegem, et même René Vandereycken ! Médians axiaux brillant davantage par leur fluidité à la construction que par leur vitesse balle au pied. L’explosivité n’était pas leur fort et encore moins le mien, d’eux au moins je pouvais rêver : mais de Bruno Conti à Ryan Giggs en passant inévitablement par Diego Maradona, jamais je n’aurais osé m’identifier aux stars gauchères, dribbleuses et explosives…

En fait, les gauchers qui m’émeuvent aux larmes (j’exagère un peu) y parviennent par leur ondoyance : conduite de balle comme dans un ballet, aisance créant l’esthétique, don du ciel gommant toute trace d’apprentissage, légèreté balle au pied comme Jésus marchant sur l’eau… Hier Robbie Rensenbrink, Chris Waddle, Khalilou Fadiga et par-dessus tous Fernando Redondo l’Eternel ; aujourd’hui, un peu Thiago Motta …et surtout notre Mousa Dembele dont j’aimerais causer ! Entre 2006 (quand Vandereycken lui offrit sa première sélection) et 2012 (quand Marc Wilmots le fit jouer plus bas qu’un trio ou quatuor d’offensifs), ce fut d’abord un attaquant… peu prolifique mais déjà si beau à voir : soit seul en pointe, soit en duo avec Luigi Pieroni ou Kevin Mirallas, faut se rappeler !

L’admiration internationale pour Mousa date de Tottenham et d’un positionnement régulier, disons de médian relayeur : c’est à ce moment qu’au lieu de se noyer aux avant-postes, il est en quelque sorte devenu un Hatem Ben Arfaréussi ! Avec beaucoup de ballons reçus sans les perdre, une grosse visibilité à la télé, une conduite toujours princière. Ce qui fit récemment dire à Vincent Duluc (L’Equipe) que c’est pour des joueurs comme ça qu’on vient au stade ! La phrase est bateau et je n’y souscris pas : elle implique qu’on n’y viendrait pas pour les autres, ce qui est faux, la beauté du foot réside aussi dans la variété des profils nécessaires.

Ainsi, quand Christophe Henrotay déclare que Leander Dendoncker est une véritable machine, c’est tout autant de l’admiration légitime, pour un joueur si différent ! Stylistiquement, Mousa est peut-être le plus beau, mais sans être inamovible chez les Diables : moins futé qu’Axel Witsel pour défendre, pas buteur occasionnel comme Marouane Fellaini, de loin passeur moins décisif que Kevin De Bruyne,… moins teigneux que Radja Nainggolan qui mixe les trois autres en réfléchissant moins !

Admirable à voir, mais pas clone d’Andrea Pirlo quoi qu’en disent certains : Pirlo s’arrangeait pour être isolé quand il recevait les ballons, et les dispatchait comme un intello. Mousa ne trouve pas cet isolement : il reçoit le ballon et est harcelé illico, si bien qu’il doit tricoter, garder, tripoter. Et Mousa garde, c’est-à-dire qu’il file du répit à ses partenaires, mais pas beaucoup la trouille à ses adversaires. C’est pourtant admirable à regarder, c’est par là que Moussa rejoint ce qu’a dit du foot le cinéaste Bertrand Bonello : Je préfère la beauté à la performance

Moi, pas vraiment. Mousa m’émeut plutôt parce que quand il tripote, j’ai conscience de contempler la beauté… en même temps que son peu d’importance dans une perspective de victoire à décrocher ! Fume alors dans ma caboche quelque chose de l’ordre du regret. Je ne pige pas pourquoi le foot est un sport où se mouvoir comme ça balle au pied, si bellement, n’est pas la clé du paradis footeux : c’est pour cela qu’on pleure quand c’est beau ?

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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