» Les nains de jardin sont tous revenus à Charleroi « 

Le coach brabançon mord plus que jamais à belles dents dans le foot de chez nous : qui l’a le plus impressionné avant ses prochains défis ?

« Oui, je suis en partance vers l’un ou l’autre pays lointain : on verra bien où mes contacts me mèneront « , lance Stéphane Demol en nous serrant la pince. Il tient sous le bras un exemplaire de Sud Presse où Abbas Bayat, l’ancien président des Zèbres, affirme que notre interlocuteur fut le meilleur de ses coaches. A l’entrée de Bruxelles, le château fort de Beersel rappelle l’architecture militaire du Moyen Age avec ses toitures pointues, ses douves profondes, son pont-levis, ses tours, son escalier en colimaçon, ses cachots et sa salle de torture. Ce puissant ouvrage a longtemps constitué une défense avancée de la capitale. Touristes et promeneurs apprécient ce pays de la gueuze et de la bonne chère, étudient la carte de l’Auberge de Beersel : carbonnades à la bière, stoemp saucisse, tartines à l’ancienne, etc. Bob et Bobette, rappelle Danny Ost, patron avec Pascal Hoffman de l’établissement, y ont vécu les aventures d’une de leurs bandes dessinées, le Trésor de Beersel. C’est le terroir de Stéphane Demol qui n’a pas besoin de loupe pour examiner le football belge.

Nous sommes déjà mi-octobre : comment vivez-vous ce début de saison sans avoir de club sous votre direction ?

Stéphane Demol : Pour moi, c’est une première depuis que je me suis lancé dans ce métier de coach en 1999. J’ai eu des contacts en Grèce, où j’ai encore mon domicile, et à Chypre (Paralimni, Ethnikos Achna) mais cela n’a pas pu aboutir. Je sais que la crise économique frappe dans ces contrées. J’ai fait des concessions mais je ne pouvais pas imposer un nouveau départ à ma famille pour des cacahuètes. J’aurais donc pu signer là, tout comme cela aurait pu être le cas chez nous, en D2. Je respecte ces clubs mais je cherche autre chose. En D1, un agent qui travaille pour moi, Dejan Veljkovic, a eu deux pistes intéressantes selon lui et…

C’est un manager qu’on voit souvent à Courtrai et à Lokeren, non ?

Je ne sais pas : les coaches des deux clubs, où ils livrent du très bon travail, sont finalement restés en place. Non, je ne les nommerai pas car cela ne se fait pas. Pour moi, la solution passera probablement par l’étranger. J’aime les défis (comme au FC Brussels) mais j’adore par-dessus tout découvrir d’autres cultures, d’autres façons de voir le football. Je viens de rencontrer des responsables de grands clubs en Asie. A mon avis, je me dirige vers ce continent.

 » Un grand résultat à Belgrade « 

En attendant, que retenez-vous de notre D1 ?

J’ai vu tous les matches, en direct, en différé ou sur cassettes vidéo. A cela, il faut ajouter les Coupes d’Europe, les autres championnats, les équipes nationales : mon métier exige de tout voir. Avant de revenir sur la D1, j’ai assisté à Anderlecht-Barcelone en U21 (NexGen Series) et j’ai passé une bonne soirée. Il y avait 8.500 spectateurs et certains m’ont dit s’être ennuyés, moi pas du tout. Le gouffre technique est important entre l’Espagne et la Belgique : cela se voit déjà chez les jeunes. Par rapport aux Praet et Bruno, les Scifo, Grün, Andersen et moi, on a eu de la chance. Nous avons été accueillis, protégés et conseillés par Olsen, Peruzovic, Vercauteren, Vandereycken, Arnesen, Lozano, Vandenbergh, etc.

Qui fut le meilleur coach de votre carrière ?

Pierre Hanon, une ancienne gloire du club. Il m’a impressionné en équipe de jeunes. Il n’était pas fait pour diriger la première mais personne n’a jamais façonné les jeunes comme lui. Je respecte le travail des formateurs actuels mais on fait plus confiance aux anciens du club au Bayern à, l’Ajax, à Bordeaux ou à Lille, par exemple, et cela donne des résultats. Tous les clubs belges doivent investir beaucoup plus dans la formation. Il ne leur reste plus que cela car le niveau ne cesse de baisser avec l’importation massive de joueurs trop moyens.

En plus du travail de Pierre Hanon, il y a eu aussi l’apport des anciens en équipe première, alors ?

Oui tout à fait : avec eux, j ‘ai gagné dix ans de travail en six mois : nous leur devons notre réussite. A la mi-temps d’un match d’entraînement que Walter Degreef loupa complètement, Paul Van Himst m’installa à sa place. Je me suis bien débrouillé et Van Himst demanda ensuite à Luka : – Et si le gamin jouait à tes côtés ce week-end ? Peru se lissa les moustaches : – Pas de problème avec le jeune car l’autre me casse les c… avec ses ratés.

Et cela a marché ?

J’ai réussi mes débuts en D1 et tout s’est mis en route plus vite que prévu grâce à Van Himst et Peruzovic. Aujourd’hui, les joueurs mûrs ne sont plus là car ils ont été vendus. Les jeunes sont incapables de porter seuls le poids d’une équipe et ce fut longtemps le problème des Diables Rouges où personne n’a assuré la transition entre les générations. On leur a demandé de justifier immédiatement tout ce qu’on attendait d’eux. A mon époque, il y avait plus de talents et des castards comme Gerets, Renquin, De Wolf, Vercauteren et Pfaff pour entourer les jeunes. C’était un bon  » mix  » : le mariage de l’expérience et de l’enthousiasme. On mettait le feu et les anciens canalisaient notre énergie. Au Mexique en 1986, Nico Claesen a cassé la baraque comme tous les jeunes mais il ne faut pas oublier Dany Veyt. Celui-là, à Ovronnaz, où s’est déroulé notre stage d’oxygénation, il ne prenait jamais le téléphérique pour se rendre en altitude : il montait et descendait à pied. Au Mexique, heureux d’être là, Dany était prêt et il l’a largement prouvé. Les Diables Rouges actuels sont pétris de talent, personne ne peut le contester, et ils commencent à avoir du métier, acquis dans de très grands clubs étrangers et cela se voit : ils en récoltent les fruits.

Comme en Serbie ?

Exactement. Je les félicite, c’est un grand résultat. Ils ont su faire le gros dos à Belgrade devant un Thibaut Courtois des grands soirs. Puis, au fil du match, et surtout en deuxième mi-temps, ils ont bien géré les événements, profité des espaces pour placer des contres comme à la grande époque. Marc Wilmots a parfaitement coaché, je l’en félicite, et il a récupéré la patte de lapin de Guy Thys à Belgrade. Il était temps qu’un coach belge ait un peu de chance comme ce fut le cas durant les 20 premières minutes. Il y a eu des réponses importantes, surtout en pointe avec l’affirmation de Christian Benteke. J’ai cru que le problème de l’attaquant de pointe serait plus délicat à régler que celui des arrières latéraux où on peut toujours trouver des solutions. Benteke a quand même marqué son territoire par rapport à Romelu Lukaku. Le bloc équipe a bien tenu, évité les erreurs individuelles et j’ai vraiment été épaté par Kevin De Bruyne. En tant que T2 de Vandereycken, j’ai travaillé en équipe nationale avec une grosse partie de cet effectif. Il y a cinq ans, cette génération était encore trop jeune et inexpérimentée pour prester à ce niveau. Mais si les résultats décrochés en Serbie et contre l’Ecosse font et feront beaucoup parler : tout le monde sait que ce sera difficile jusqu’au bout dans ce groupe qualificatif pour le Brésil.

 » Chapeau Mario Been « 

Retour à la D1 : quelle est l’équipe la plus intéressante ?

Pour moi, c’est Genk. Mario Been a apporté sa philosophie néerlandaise et je lui tire mon chapeau. On reconnaît tout de suite sa patte et le style de jeu de son équipe : chaque joueur connaît son rôle sur le bout des doigts. Pourtant, tout n’a pas été facile pour lui car Genk a souvent cédé ses éléments les plus utiles. Been a relancé Benteke : et avec quel succès… Been maîtrise tout et cela se ressent dans le comportement général de son équipe. Elle est invaincue…

Comme le Club Bruges, n’est-ce pas ?

On ne va pas parler de Georges Leekens quand même !

Non, mais du Club Bruges…

Il reste 10 % du travail à accomplir, c’est connu. Bruges a la chance d’avoir Carlos Bacca, que j’apprécie, et qui empile les buts. Sans lui, ce serait moins drôle. Je ne suis pas impressionné par Bruges alors que c’est le cas pour deux équipes moins huppées : Zulte Waregem et Courtrai. Au stade Arc-en-Ciel, Francky Dury présente une équipe bien organisée, c’est sa spécialité, mais surtout… joyeuse et qui pratique un très bon football. Franck Berrier réalise un excellent championnat. A Courtrai, c’est la même chose : ce team pratique un football que je qualifie de très gai. Quelle différence par rapport au Standard. Ron Jans est un chouette gars et probablement un bon entraîneur, Mais Jans ne peut pas faire mieux : l’effectif est insuffisant.

Pourtant, ce Standard-là a battu Anderlecht…

Je ne vais pas revenir sur tout ce qui a entouré le Clasico : Anderlecht a d’abord été battu par Anderlecht à Sclessin. Sans les play-offs, je crois qu’on friserait la crise chez les Mauves car ils naviguent à trois points d’un Club Bruges plus que moyen. Si cet écart ne grandit pas, il sera divisé par deux en fin de phase classique du championnat. C’est ridicule et cela dévalorise la valeur de ce premier Clasico. Les PO auront un côté absurde tant que les clubs ne les aborderont pas avec leur vrai total de points. Quand je vois Roland Juhasz et Marcin Wasilewski sur le banc, je me dis qu’Anderlecht est dans une phase de transition. La qualification pour la Ligue des Champions et un début de rajeunissement ont ébloui les commentateurs. Je ne connais pas les vraies ambitions de la maison mauve. A sa place, je ne rêverais pas trop d’exploits européens : Anderlecht manque de grands talents. On le savait avant Malaga qui en a donné une nouvelle preuve. L’objectif numéro 1 d’Anderlecht est simple : être champion. Anderlecht ne peut pas permettre au Club Bruges de rafler le titre et une qualification directe en Ligue des Champions, avec le pactole européen qui en découle et qui l’installerait dans un fauteuil.

 » Abbas Bayat ne m’aurait jamais viré « 

Si je vous dis Charleroi, vous me répondez quoi ?

Mon dernier club belge de D1

Mais encore ?

Je retournerais demain matin si Abbas Bayat était encore là. Mais pas avec les autres. Or, ils sont tous revenus, certains ouvertement, d’autres pas, mais ils sont tous là, celui qui ne mérite pas que je prononce son nom, courageusement dans l’ombre : le nain et ses nains de jardin. J’avais prévenu Abbas Bayat à propos des méfaits du chef des nains : il a compris plus tard. Tout a été fait pour bousiller mon vestiaire : c’est tellement sournois. Des joueurs arrivaient sans cesse en retard à l’entraînement. L’un d’eux a fini par m’expliquer qu’il agissait sur ordre du chef des nains. Des joueurs proches de ce personnage recevaient régulièrement des bons d’achats de 1000 euros pour faire des courses dans un grand magasin, les autres pas : tout finit par se savoir dans un vestiaire. Ce sont des exemples parmi d’autres. J’aime Charleroi, j’apprécie ce club et cette région mais une personne a tout détruit. Je n’ai qu’un regret…

Lequel ?

Je n’aurais pas dû donner ma démission quelques heures avant un match mais trois jours plus tôt en quittant le bureau d’Abbas Bayat à Bruxelles. L’ancien président ne m’aurait jamais viré. Il l’a d’ailleurs déclaré. Je lui ai présenté mes excuses à propos de la manière dont cela s’est passé. Il a apprécié. Mais, attention, si la manière ne fut pas la bonne, je ne regrette pas ma décision d’avoir quitté le club. Abbas Bayat était un bon président et, surtout, un homme droit et honnête. C’est un communicateur maladroit mais il peut se regarder dans la glace tous les matins : d’autres ne peuvent pas en dire autant. Je n’affirme pas qu’Abbas Bayat est un grand connaisseur mais il a surtout été mal entouré durant des années. Il y a pourtant moyen de créer un très bon club là-bas, de vivre de bons championnats et même plus…

Même plus ?

Charleroi et ses supporters méritent un bon club. Donnez-le-moi et avec l’aide d’un vrai directeur général et d’un directeur technique comme Luka Peruzovic, Charleroi s’installerait pour de bon à mi-classement et se battrait de temps en temps pour une place européenne. A la place de cela, Charleroi lutte dans le fond du classement : il y a un problème ou, pour être plus précis, le problème est récemment revenu. Cela va être difficile dans ces conditions-là. Je me souviens de mon époque de joueur : venir au Mambourg, ce n’était pas de la tarte. Mais on ne va pas parler que de Charleroi.

Non, non car il y a des noms que vous ne voulez pas citer

Un nom… Je préfère m’intéresser aux joueurs. Aux vrais acteurs du football.

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » On ne va pas parler de Georges Leekens quand même ! « 

 » Jans ne peut pas faire mieux : l’effectif est insuffisant. « 

 » Anderlecht ne peut pas permettre au Club Bruges de rafler le titre. « 

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