LES MYSTÈRES DE L’ÉVOLUTION

Un numéro 10 qui fait son trou sur le flanc droit. Tiens, tiens ?

Officiellement, c’est FranciscoSanchezD’Avolio. Mais à Mouscron, tout le monde l’appelle Paco. Né dans le Borinage d’un père espagnol et d’une mère italienne, il a fait ses classes dans toutes les équipes nationales belges de jeunes, dont il a souvent été le capitaine. Ses parents n’ont pas toujours eu la vie facile, mais ils ont veillé à lui donner une bonne éducation. Grâce à eux, grâce aussi peut-être à sa passion pour le football qui l’a détourné d’autres tentations, Paco a bien tourné. C’est un jeune homme poli, qui dit bonjour et merci à tout le monde, mais qui sous son apparence timide, sait ce qu’il veut. Il se verrait bien suivre les traces de JuanLozano et rêve du Real Madrid, mais pour l’instant, il commence seulement à faire son trou en D1 belge.

Un trou qu’il creuse patiemment, en se heurtant parfois à des obstacles : tantôt il entrevoit un coin de ciel bleu, tantôt il voit son horizon se boucher, puis enfin, la lumière réapparaît. Il a tenté sa chance à Anderlecht et passé quatre ans au Standard, mais c’est au Futurosport de Mouscron qu’il trouvera l’occasion de s’aguerrir. LorenzoStaelens le lancera en D1 alors qu’il n’avait que 16 ans. Il connaîtra la mauvaise période de l’Excel, ce fameux deuxième tour durant lequel les Hurlus, trop rajeunis et trop tendres, subiront de nombreuses désillusions. L’arrivée de GeorgesLeekens le ramènera les pieds sur terre. PhilippeSaintJean, qui a toujours cru en lui, le relancera un an plus tard. Puis, GeertBroeckaert lui mènera à nouveau la vie plus dure. L’été dernier, Paco a été victime de l’arrivée massive de joueurs étrangers qui allaient lui rendre le chemin vers l’équipe Première plus encombré qu’il n’y paraissait. Victime aussi, paradoxalement, du retour au bercail de SteveDugardein, qu’il apprécie pourtant énormément et qu’il considère comme l’un de ses guides dans le vestiaire, mais qui a forcément pris l’une des deux places de médians centraux qu’il convoitait, l’autre étant dévolue à PatriceNoukeu devenu lui aussi incontournable. Victime, enfin, d’un système de jeu en 4-4-2 avec deux médians récupérateurs qui ne laisse aucune place à un véritable n°10, le poste qu’il revendique.

Certains affirment, aussi, qu’il a indirectement été victime de la querelle entre Saint-Jean et Broeckaert, le coach flandrien se montrant réticent à sélectionner un poulain de l’actuel coach de Tubize. Cela reste à prouver : Broeckaert a toujours été exigeant vis-à-vis des jeunes, pour leur montrer qu’on ne leur fera pas de cadeaux dans le football des adultes. Mais, pour un adolescent de 19 ans, c’est difficile à vivre. Paco a parfois été au bord du découragement. Il s’est demandé si son avenir se situait toujours à l’Excel, ce club qui l’a formé mais qui ne semblait plus vouloir lui faire confiance. Il a cependant été assez intelligent pour ne pas répandre ses états d’âme dans la presse. Ses confidents, c’était ses parents le plus souvent, ses proches de temps en temps.

Sur un petit nuage

Puis, la roue a tourné. Et cette fois, le petit brin de chance était avec lui. D’abord, parce qu’il était disponible lorsque l’arrivée d’un nouvel entraîneur a remis les compteurs à zéro et qu’une nouvelle équipe allait se construire, alors que d’autres candidats au poste étaient blessés. Ensuite, parce que ce nouvel entraîneur était PaulPut, un homme qui a toujours eu un faible pour les joueurs créatifs et qui l’a directement remarqué lors des premiers entraînements qu’il a dispensés. Pourtant, ce n’est pas dans un rôle de n°10 à la MariusMitu ou à la RunarKristinsson que Paco est en train de gagner ses galons de titulaire, mais sur le flanc droit, assorti d’une mission qu’on aurait difficilement imaginée. Lui, que l’on disait parfois trop tendre pour le travail de récupération, s’est reconverti en un flanc droit défensif, soulageant ses défenseurs et ses médians centraux, tout en distillant parfois l’une ou l’autre belle ouverture.

Des perspectives s’ouvrent à nouveau pour ce jeune élément talentueux qui peut devenir le nouveau symbole du Futurosport. Les trois ans de présence dans le noyau A qu’il compte déjà à 19 ans lui seront utiles. Les épreuves qu’il a traversées l’ont endurci. Reste maintenant à confirmer, et à franchir cette fameuse tranche d’âge des 18-21 ans que l’on qualifie de post-formation et qui se révèle souvent si délicate pour nos jeunes footballeurs.

 » Pour l’instant, je suis sur mon petit nuage « , sourit Paco.  » Le coach m’a donné beaucoup de confiance, comme à d’autres joueurs d’ailleurs. Regardez PatrickDimbala : Paul Put a bien compris qu’avec lui, c’était surtout une question de mental, et aujourd’hui il explose. Dans mon chef, la joie d’être titulaire l’emporte clairement sur le petit regret de ne pas occuper ma place de prédilection. C’est GilVandenbrouck qui, lors de son intérim, a commencé à me faire confiance à ce poste de flanc droit, lors de son premier match à Saint-Trond où l’on a gagné 3-6. Lorsque Paul Put est arrivé, il aurait, si j’en crois ce que j’ai lu, visionné des cassettes où il m’a sans doute vu en position de flanc droit. J’ai donc continué dans ce rôle et je ne vais pas faire la fine bouche. Ce qui me rend vraiment heureux, c’est ce sentiment d’être concerné par tous les matches qui arrivent. Lorsqu’on sait qu’on devra se contenter du match de Réserve, la motivation n’est pas la même. Ici, je sais que j’aurai un rôle à jouer le week-end et je serais disposé à évoluer n’importe où, même comme gardien de but. Ce que je veux avant tout, c’est aider le club « .

Le Paco nouveau est arrivé

Aujourd’hui, on découvre un nouveau Paco dans un étonnant travail défensif.  » Je me plie de bon gré aux directives. Le tout est de ne pas oublier, par après, de jouer au ballon. Au début, j’éprouvais quelques difficultés à combiner les deux car je me concentrais surtout sur mon travail défensif, mais au fil des matches, je prends confiance et je redeviens plus présent offensivement. Cela s’est vu lors de la volée que j’ai tentée contre Anderlecht sur un centre de MarcinZewlakow : il y a quelques semaines, je n’aurais sans doute pas osé. Beaucoup de personnes me disent qu’elles ne me reconnaissent pas, mais si j’évolue dans le bon sens, tant mieux. J’attrape plus de condition, j’affiche plus de mordant à force de presser l’adversaire. J’essaie aussi de jouer plus vite vers l’avant, c’est l’une des consignes du coach « .

Certains, effectivement, reprochaient parfois à Paco de freiner le jeu à force de remiser trop souvent le ballon vers l’arrière.  » Il faut comprendre que, lors de mes premiers matches, je m’efforçais surtout de ne pas perdre le ballon. Comme le coéquipier le mieux démarqué se trouvait le plus souvent derrière moi, je lui cédais le ballon. C’était peut-être la solution de facilité mais cela fait partie de l’apprentissage « .

Aujourd’hui, Paco forme sur le flanc droit un duo borain avec JeanPhilippeCharlet, une autre surprise du chef Paul Put. Un avantage, dans la mesure où les deux produits du Futurosport se connaissent bien et effectuent souvent ensemble la route vers le Canonnier ?  » Au début, je jouais devant JeanFélixDorothée et on s’entendait bien aussi. Il m’a plusieurs fois complimenté, en me disant que je le soulageais grâce à mon travail défensif, et cela m’a fait plaisir. Mais c’est sûr qu’avec Jean-Philippe, la complicité est plus grande en dehors du terrain. Jadis, l’un de nous deux tirait toujours une tête d’enterrement, parce que l’un avait joué et l’autre pas. Désormais, on joue tous les deux et les trajets entre le Borinage et la Cité des Hurlus sont plus agréables. On est parfois injuste avec Jean-Philippe. Il est devenu, sans aucune raison, la tête de turc de certains supporters. Je peux comprendre qu’on siffle un joueur lorsqu’on joue mal, mais il a parfois dû entendre des coups de sifflets avant de monter sur le terrain. Cela ne l’aide pas du tout : il est d’un tempérament assez nerveux et il stresse encore davantage. Il lui arrive, comme tout le monde, de rater des passes, mais c’est un joueur qui travaille beaucoup, qui a énormément d’endurance et qui est capable d’adresser de très bons centres. Je me souviens de certains matches où je n’avançais plus, alors que lui parvenait encore à déborder dans mon dos. Malheureusement, il panique parfois, et lorsque les supporters le mettent mal à l’aise, il perd ses moyens « .

Plutôt Lampard que Zidane

Paco est un nouvel exemple qui illustre l’évolution tactique du football : de plus en plus, les joueurs créatifs sont déportés vers les flancs. Selon certains techniciens réputés comme AlbertCartier et AiméAnthuenis, les meneurs de jeu d’avenir ne correspondront plus tellement au profil de ZinedineZidane, mais plutôt à celui de FrankLampard : un marathonien qui parcourt énormément de kilomètres, qui récupère énormément de ballons mais qui est suffisamment adroit pour distiller de très bonnes passes.  » Ce genre de propos donne à réfléchir « , reconnaît Paco.  » Il y a dix ans, on voyait DiegoMaradona avec deux joueurs derrière lui qui se sacrifiaient pour récupérer les ballons. J’aimerais bien, moi aussi, avoir deux coéquipiers qui travaillent pour moi et qui me permettent d’entrer en action lorsque l’équipe est en possession du ballon. C’était parfois le cas chez les jeunes, avec MaximeLeroy et MathieuDeJonckheere. Mais je me rends compte que le football a évolué. Les joueurs sont devenus plus grands, plus athlétiques, plus endurants. Je ne veux pas être un tire-au-flanc, je suis conscient que je dois aussi effectuer ma part de boulot défensif. Et si mon avenir se situait au poste de demi défensif, je m’adapterais. A la limite, cela pourrait même être un avantage car j’aurais davantage le jeu devant moi « .

Six kilos en plus

Paco trépigne parfois d’impatience à la perspective de pouvoir montrer ses qualités. Il sait qu’il a du talent et a parfois eu l’impression de faire du surplace. Il voit un garçon comme StevenDefour qui, avec deux ans de moins, s’impose comme meneur de jeu à Genk. Il se souvient aussi de VincentKompany, qu’il a côtoyé pendant les quelques mois qu’il a passés à Anderlecht.

 » Je ne connais pas tellement bien Steven, qui est plus jeune, mais tant mieux pour lui s’il réussit. Par contre, j’avoue que l’éclosion de Vincent me laisse rêveur. Il est sans doute soumis à bien des contraintes, avec toutes les sollicitations dont il fait l’objet, mais à côté de cela, il bénéficie de fameuses compensations. A commencer par son contrat. Il est courtisé par les plus grands clubs d’Europe, et cela me fait rêver. Apparaître un jour dans une pub, ce serait aussi un rêve pour moi. Mais je continue mon chemin à mon rythme, et peut-être qu’un jour, cela arrivera. Certaines personnes me disent qu’à 19 ans, j’ai encore tout l’avenir devant moi. C’est peut-être vrai, mais d’un autre côté, j’ai aussi l’impression que tout est passé très vite. Je me souviens comme si c’était hier du moment où Lorenzo Staelens m’a lancé en D1. C’était contre Bruges, à une époque où l’Excel luttait pour son maintien, et je tremblais sur mes jambes en m’échauffant le long de la touche. J’entendais le public qui criait, et j’en arrivais à me demander où j’étais, car jusque-là je n’avais encore joué que devant la famille et les amis. Lorsque je suis entré pour la première fois dans le vestiaire de l’équipe Première, je me suis déshabillé debout parce que j’avais peur de prendre la place de quelqu’un. Staelens m’a régulièrement fait jouer, puis lorsque Leekens a débarqué, je me suis retrouvé à l’écart du jour au lendemain. Il estimait que je n’étais pas encore prêt. Ce rejet a été dur à encaisser, mais avec le recul je me dis qu’il m’aura été utile. Il m’a forgé le caractère, car même si je ne jouais pas, je sentais que Leekens m’appréciait. Il m’a forcé à travailler. Depuis la fin de la période Leekens, j’ai pris six kilos. J’en pesais 69 à l’époque alors qu’aujourd’hui j’en suis à 75, en n’ayant grandi que d’un centimètre. J’ai un peu plus de carrure, j’ai moins peur de mettre le pied « .

Bientôt parrain

Et s’il devait faire son autocritique, que chercherait-il à améliorer ?  » Mon jeu de tête reste mon point faible. Je dois aussi mieux gérer mes efforts, car à force de courir pour aider le back droit, je suis émoussé lorsque l’on passe en transition offensive. Gil Vandenbrouck me dit que j’ai de bonnes jambes mais que je dois travailler le haut du corps. Je travaille aussi la vitesse et l’explosivité. Mais je peux encore progresser dans tous les domaines, y compris techniquement. Lorsque j’étais gamin, je regardais souvent les dessins animés d’ Oli et Tom à la télévision. Ils dormaient avec leur ballon, partaient à l’école avec leur ballon, jonglaient dans le salon de la maison sans jamais rien casser. Moi, lorsque j’essayais, je cassais tout « .

Paco est sous contrat jusqu’en juin 2008. S’il admire Steve Dugardein, on doute qu’il vouera une aussi longue fidélité à l’Excel que son capitaine.  » Je n’ai jamais caché que mon rêve était de jouer un jour en Espagne. Et, de préférence, au Real Madrid. Il n’est pas interdit de rêver, que je sache ? Et puis, je pense qu’il est toujours préférable de viser un peu plus haut pour, malgré tout, atteindre un bon niveau. L’aspect financier dictera aussi mes choix. Je rêve de pouvoir, un jour, gagner assez d’argent pour permettre à mes parents de ne plus travailler. En attendant, je me concentre sur Mouscron et je savoure pleinement le bonheur d’être titulaire. En plus, je vais bientôt être parrain. Une cousine de ma copine va donner naissance à un petit Esteban. Le grand jour est prévu pour ce mercredi. Je risque d’être absent, puisque je jouerai aux Pays-Bas avec l’équipe nationale des -20 ans, mais j’y penserai très fort. C’est un autre bonheur pour moi « .

DANIEL DEVOS

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