LES MÉMOIRES DU CAPITAINE

Il est le dernier témoin d’une époque révolue. À Charleroi, Javier Martos a connu les années Abbas, les entraîneurs à la chaîne et la D2. Aujourd’hui, il est le capitaine d’un navire qui semble voguer sereinement en suivant le cap d’une progression constante. L’Espagnol prend la parole pour raconter l’histoire de son Pays Noir.

« Quand je suis arrivé, au mois de janvier de l’année 2011, le mot  » stabilité  » n’existait pas dans le dictionnaire de Charleroi. Et maintenant, si on devait définir le club, ce serait sans doute le mot qu’on utiliserait. C’est la preuve que le club n’a plus rien à voir avec le moment où je suis arrivé ici.

On était seize, peut-être dix-sept nouveaux joueurs. L’entraîneur, Csaba Laszlo, devait communiquer en anglais. Surtout, il fallait qu’on trouve le moyen de créer un esprit de groupe sur une période très courte. Sans compter qu’on changeait de coach quatre ou cinq fois par an, avec à chaque fois une idée de jeu différente à assimiler. La relégation était inévitable.

La Division 2, c’était très différent. Pas seulement au niveau du jeu, mais aussi des infrastructures. Certains clubs étaient vraiment amateurs, mais ça reste un championnat difficile parce qu’il y a beaucoup d’intensité dans les matches, plusieurs bonnes équipes, et seul le champion est sûr de monter. Les résultats étaient là, et pourtant on change de coach. Quand on est en tête du championnat, c’est difficile de comprendre ces changements. Mais le but, c’était de retourner en D1 le plus vite possible et tout le monde était conscient qu’avec un, deux ou six coaches sur l’année, il fallait qu’on remonte. C’était très clair pour tout le monde.  »

CHAPITRE 1 : CHANGEMENT DE CAP

 » Il faut être honnête, le changement au niveau de la direction a fait beaucoup. Des gens sont arrivés, avec les idées claires. Des gens qui connaissent bien le football. Et c’est comme ça que tout a commencé.

Un jeune entraîneur comme Yannick Ferrera, j’avais déjà connu ça à Barcelone et même quand je suis parti en Grèce. Ce n’était pas rare pour moi, et l’arrivée de Yannick m’a aidé parce qu’il parlait un peu espagnol, donc j’ai eu plus facile pour comprendre ses idées et sa manière de fonctionner.

Lors de la préparation avec Mario Notaro j’avais déjà été testé en défense centrale. Par la suite, il y a eu des blessures et des suspensions. Mario et Yannick m’ont demandé si je me sentais capable de jouer dans l’axe, et j’ai dit que c’était ma meilleure place. Ils m’ont donné la chance d’y jouer et j’y suis resté.

À un moment, on sentait qu’on arrivait à la stabilité. Puis, on commence une nouvelle fois à la perdre en fin de saison. Les circonstances ont fait que cette quête de la stabilité, ce n’était pas une ligne droite. Le plus positif, après ces événements, c’est que le club a eu la maturité d’analyser calmement la situation. Ils ont alors trouvé Felice Mazzù et lui, il a su amener cet équilibre.  »

CHAPITRE 2 : L’ÉQUILIBRE PAR FELICE

 » On a senti le changement à son arrivée, parce que le même message était transmis par tout le monde, dans le vestiaire et au niveau de la direction. Les deux ou trois premiers mois, tu ne sais jamais si ça va se poursuivre sur du long terme parce que c’est le football, on dépend des résultats. Mais les résultats ont été positifs, et donc ça nous a prouvé que c’était cette ligne qu’on devait suivre pour travailler.

On a perdu David Pollet, Danijel Milicevic et Onur Kaya, mais on s’est sauvé avec d’autres joueurs. C’est une caractéristique de Charleroi : il y a des gens ici qui font très bien leur travail, parce qu’on ne doit pas oublier qu’on continue à être une équipe qui n’a pas les mêmes moyens économiques que les autres. On est donc parfois obligé de vendre des joueurs. L’évolution de Charleroi dépend du fait de trouver de nouveaux joueurs de bon niveau, qui restent un, deux ou trois ans puis décident de partir. Je suis sûr que dans cette évolution, il arrivera un moment où ce ne sera plus nécessaire car Charleroi aura le potentiel économique de conserver ses meilleurs joueurs.

Avec Felice Mazzù, Charleroi a toujours tenté d’évoluer vers une force collective. Quand il y a des individualités excellentes, on est heureux. Mais la force, ça a toujours été le bloc, la solidarité. C’est la clé pour donner les meilleures cartes à nos individualités. Le coach prépare les entraînements, il crée des automatismes et prend les bonnes décisions. C’est une philosophie qui nous permet d’évoluer. Il aime s’adapter à la qualité des joueurs qu’il a.  »

CHAPITRE 3 : PLAY-OFFS ET AMBITIONS

 » Après les départs du mercato d’hiver 2014, on a fonctionné avec la même équipe pendant un an et demi. Travailler ensemble pendant tout ce temps, ça donne de la stabilité et c’est indispensable pour que les joueurs puissent évoluer. Kebano, maintenant, c’est un joueur excellent. Il l’était déjà en arrivant à Charleroi, mais ce n’était pas le même joueur lors de la saison qui nous emmène en play-offs 1. Il a évolué avec nous comme on a évolué avec lui.

Il y a deux ans, personne n’attendait Charleroi en PO1. Tout le monde aurait signé pour une huitième place. Mais finalement, on donne tout et on a un peu de chance, aussi, pour y arriver. La saison suivante était presque similaire, la différence s’est faite sur des détails, mais tout ça a créé une frustration. C’était une erreur, ça ne doit plus se reproduire.

L’erreur, c’était peut-être de mettre directement les objectifs très, très haut. Peut-être de façon exagérée. Cela a créé une situation où la victoire était systématiquement une obligation, et chaque défaite devenait une désillusion impressionnante. Il est arrivé un moment où ça a créé une frustration dans le vestiaire, parce qu’on avait envie d’atteindre cet objectif, mais on doit aussi être honnête. Il faut reconnaître que d’autres équipes avaient beaucoup plus de moyens économiques, beaucoup plus de moyens pour s’entraîner, au niveau des infrastructures… C’est difficile de lutter contre de telles équipes. On est sur la route de l’évolution, on a l’objectif d’arriver là-bas mais peut-être qu’on n’est pas encore prêt pour y être. Atteindre les play-offs 1, c’est un rêve au coup d’envoi de chaque saison, mais il ne faut pas commencer à mettre la barre trop haute dès le premier jour. Après, si on reste septième, on n’atteint pas notre rêve mais on peut être content, parce que c’est une bonne saison pour nous.

La saison dernière, on a vu la maturité de la direction, qui a expliqué à tout le monde, dans le vestiaire, qu’on ne perdait pas le cap malgré le fait d’avoir manqué les play-offs. Ça se joue sur des détails, peut-être sur un tir sur le poteau, et ça ne doit pas créer une frustration universelle, parce qu’on continue finalement notre progression, et elle ne s’arrête pas demain.  »

CHAPITRE 4 : L’IDENTITÉ ZÉBRÉE

 » Maintenant, on le voit tous les jours : chaque année, il y a des changements qui nous donnent plus de moyens pour travailler, pour créer une meilleure ambiance dans le stade. Chaque jour, il y a une progression.

On le voit aussi à chaque mercato. L’arrivée d’un joueur de la qualité de Ninis, c’était inimaginable il y a deux saisons. Je crois qu’il y a l’envie, dans le recrutement, d’avoir de différents profils. On a des gens qui jouent court, mais aussi des joueurs qui aiment la profondeur. On a les profils pour jouer ces deux footballs, et le coach pourra choisir le plus intéressant en fonction de la situation.

Aucune équipe ne peut faire une bonne saison sans avoir entre dix-huit et vingt joueurs de bon niveau pour donner assez de variantes potentielles à son entraîneur. On ne fait pas une saison à onze. Avec ce groupe, on conservera la fraîcheur plus longtemps, et on se créera différentes manières de jouer au football.

Je pense que cette année, on va voir un Charleroi plus versatile, avec des joueurs qui aiment la profondeur et d’autres qui aiment le toque. Ce n’est pas parce qu’on devient une équipe plus ambitieuse qu’on doit s’interdire de jouer les contres, en fonction de la situation que nous propose chaque match. Il n’y a pas une règle en football, aucun style de jeu n’est une garantie de buts. Il faut trouver les solutions, les adapter en fonction de chaque match. Parfois, la bonne solution sera de marquer en deux passes, d’autres fois ce sera en 25.

Est-ce que Charleroi s’est enfin trouvé une identité ? Quand je suis arrivé ici, il y avait une identité sur certaines choses. Donner ta vie sur le terrain, par exemple, ça a toujours été présent à Charleroi. Travailler, être discipliné, c’est dans l’ADN du club. Le public te le demande.

Maintenant, on cherche une identité footballistique, avec plus de passes, un passage par les côtés pour des centres, des attaquants qui arrivent au premier et au deuxième poteau… Ce sont des automatismes qui étaient rarement présents avant et maintenant, on les voit de plus en plus souvent. C’est encore grâce à la stabilité parce qu’avec elle, on travaille ensemble plus longtemps, en suivant une philosophie commune. Quand un nouveau joueur arrive dans le vestiaire, il comprend que tout le monde est investi par le projet. Il est obligé de monter dans le train avec nous. Avec le temps et le travail, sur le terrain, on commence vraiment à reconnaître le football de Charleroi.  »

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE -VIRGINIE LEFOUR

 » L’évolution de Charleroi dépend du fait de trouver de nouveaux joueurs de bon niveau.  » JAVIER MARTOS

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