« Les mêmes contrôles pour tout le monde, svp ».

Johan Bruyneel (US Postal) et Rudy Pevenage (Telekom) ont la même ambition : que leur leader remporte le Tour de France, soit Lance Armstrong, soit Jan Ullrich.

Coureurs, Johan Bruyneel et Rudy Pevenage n’avaient sans doute jamais songé à gagner le Tour de France. En 1980, Pevenage avait remporté le maillot vert et l’étape menant de Francfort à Metz. Il avait également porté le maillot jaune durant neuf jours, de Liège à Bordeaux. Bruyneel, pour sa part, termina dix-septième du Tour en 1990 et même septième en 1993. Cette année-là, il remporta l’étape Evreux-Amiens et en 1995, il porta le maillot jaune pendant un jour suite à sa victoire à Liège.

Mais depuis qu’ils sont devenus directeurs sportifs, nos deux compatriotes ont déjà fêté deux fois la conquête du maillot jaune par un de leurs poulains. Lance Armstrong (US Postal) s’est imposé en 1999 et en 2000 tandis que Telekom l’a emporté à deux reprises grâce à Bjarne Riis (1996) et Jan Ullrich (1997). A partir de samedi, Armstrong et Ullrich entameront une nouvelle lutte pour la victoire finale. « Ils sont prêts », disent Bruyneel et Pevenage en choeur.

Johan Bruyneel : Lance a commencé plus tard que les autres années -au Tour de Murcie- mais il est en meilleure forme physique. Il n’y eut pas la moindre fausse note dans sa préparation. Son premier objectif était l’Amstel Gold Race et, depuis, tout s’est bien passé. Il a terminé deuxième pour la deuxième fois en trois ans. Mission accomplie, donc.

Rudy Pevenage : Pour Ullrich, le Tour d’Italie fut plutôt difficile car il a souffert d’une bronchite. Heureusement, il est désormais guéri et sort d’un bon stage dans les Pyrénées. Je suis confiant. Jan a retrouvé son poids de forme et se sent mieux que l’an dernier. Nous ne nous étions pas fixé d’objectif démesuré. Dès le départ, nous avons cherché à ce qu’il retrouve progressivement la forme, sans se soucier des classiques. Les résultats ne comptaient qu’à partir du Tour de Romandie. La maladie dont il fut victime au Giro est mal tombée mais Jan a eu le mérite de se battre et de faire preuve de caractère jusqu’à Milan.

Le Giro a été marqué par un nouveau scandale de dopage et des contrôles auront lieu en France. Ne craignez-vous pas que vos coureurs soient touchés au moral?

Pevenage : Je ne crois pas que cela soit du genre à déstabiliser Ullrich. Je sais qu’il était énervé parce que des journaux ont cité son nom alors que les seuls médicaments trouvés par la police dans sa chambre étaient destinés à soigner son allergie. Il y était d’ailleurs autorisé par l’UCI. Il est donc scandaleux de le traîner dans la boue.

Bruyneel : Lance n’a pas disputé le Giro. Je ne pense toutefois pas que les événements qui ont secoué cette épreuve auront encore des conséquences sur le moral des coureurs appelés à disputer le Tour. Et si la France veut organiser de tels contrôles, j’espère que chacun sera considéré de la même façon. Si c’est le cas, je ne vois pas pourquoi cela influencerait le déroulement de la course.

Peut-on comparer Armstrong et Ullrich?

Bruyneel : Ce sont deux rouleurs qui savent grimper, même si je pense qu’Armstrong est un peu meilleur grimpeur.

Pevenage : Ullrich est beaucoup plus puissant, surtout en côte. Armstrong pédale plus vite et peut-être vit-il plus en fonction de son métier. L’an dernier, c’est à cause de cela qu’il a perdu le Tour de France: il avait trop fait la fête pendant la préparation.

Lance Armstrong est favori, Jan Ullrich outsider. Voyez-vous cela comme un avantage ou un inconvénient?

Pevenage : Je préfère qu’on le considère comme outsider. Ce n’est pas un inconvénient, même si je pense qu’à ce niveau, cela ne fait pas beaucoup de différence. Au départ, à Dunkerque, Jan sera aussi nerveux que Lance.

Bruyneel : Il n’est pas anormal de considérer Lance comme favori puisqu’il a remporté les deux derniers Tours mais Jan a autant de chances de l’emporter. On ne peut pas négliger un gars qui a remporté une des cinq dernières éditions et s’est classé trois fois deuxième.

Qui d’US Postal ou de Telekom présentera l’équipe la plus forte?

Pevenage : Telekom pourra compter sur une équipe très forte. Andreas Klöden, Alexander Vinokourov et Ken Livingstone sont en toute grande forme. La plupart des coureurs sont chez nous depuis des années et cela constitue un avantage énorme. De plus, Klöden est un grand ami d’Ullrich tandis que Livingstone connaît Lance Armstrong comme sa poche.

Bruyneel : Je pense que les deux équipes sont de force sensiblement égale. Nous avons dû laisser filer Livingstone à la concurrence et nous lui avons cherché un remplaçant. Je pense que nous nous sommes renforcés, surtout en haute montagne.

Le parcours du Tour 2001 convient-il mieux à Jan Ullrich ou à Lance Armstrong?

Pevenage : C’est difficile à dire. Ce sera un tour très dur qui se jouera sur des détails. Pour moi, la décision se fera dans les Pyrénées. Celui qui sera le plus en forme à ce moment-là fera la différence.

Bruyneel : Je pense que le contre-la-montre par équipes pourrait être décisif également. Ce n’est pas là qu’on gagne le Tour -la meilleure équipe peut tout au plus prendre quatre minutes à la plus mauvaise- mais on peut certainement le perdre. Il faudra également tenir compte du contre-la-montre de Grenoble et de la deuxième étape pyrénéenne menant au Pla d’Adet.

Pevenage : En comparaison avec les années précédentes, Jan a en tout cas l’avantage de connaître le parcours. Avant, il devait trop souvent se reposer sur nos informations ou sur les renseignements transmis par des collègues et cela le tracassait. Cette fois, il a reconnu le parcours dans ses moindres recoins et cela en dit long sur sa motivation.

Mieux vaut ne pas prendre le maillot jaune trop tôt. Lance Armstrong dit toujours que le vainqueur du Tour travaille un jour de plus que les autres car il doit se présenter à des tas de cérémonies.

Bruyneel : Bah, un coureur fait ce qu’il veut de son temps. Le porteur du maillot jaune doit savoir dire non plus souvent.

Pevenage : Le maillot jaune, cela vous motive énormément et l’adrénaline vous aide peut-être à neutraliser la pression.

Seriez-vous déçus si vous ne gagnez pas le Tour cette année?

Pevenage : Il faut relativiser. En 2000, Jan avait deux objectifs importants: le Tour et les Jeux Olympiques. Il est champion olympique. Peut-on le montrer du doigt parce qu’il est tombé sur un adversaire plus fort que lui ou parce que, l’année avant, il n’a remporté que le Tour d’Espagne et le championnat du monde contre-la-montre? S’il avait consenti plus de sacrifices, Jan Ullrich aurait déjà pu remporter quatre fois le Tour. Il s’est parfois surestimé et il s’est dit qu’il pouvait s’imposer même en travaillant moins. C’est à cela que nous avons tenté de remédier cette année.

Bruyneel : Que peut-on se reprocher quand on s’incline face à un adversaire plus fort que soi?

Quel rôle un directeur sportif joue-t-il dans la victoire de son leader au Tour de France?

Pevenage : C’est pendant la préparation que notre rôle est le plus important, pas en cours de Tour. Moi, j’ai presque fini mon boulot (il rit). Chaque soir, je vais trouver jan sur la table de massage afin de lui parler de l’étape suivante et, en course, je lui donne régulièrement des consignes tactiques dans l’oreillette. Mais en fait, le directeur sportif ne compte vraiment que lorsque son leader va mal et cela n’est arrivé qu’une seule fois au cours des dernières années: en 1997, alors qu’il était en train de gagner le Tour, il a été frappé par une bronchite dans les Vosges. Là, il avait besoin que quelqu’un pour le persuader de continuer. En 1998, dans l’étape du Galibier, Marco Pantani a fait joujou avec lui mais le lendemain, dans le Col de la Madeleine, il a réagi en champion et obligé Pantani à sortir le grand jeu pour rester dans sa roue.

Bruyneel: Nous mettons tout en oeuvre pour que règne une bonne ambiance et que les coureurs soient le plus à l’aise possible. Nous devons penser à tout, afin qu’ils n’aient plus qu’à pédaler. C’est notre rôle. Mais en fait, ce sont surtout les coureurs qui font la course.

Est-ce un hasard si les deux favoris du Tour font partie d’équipes au fort accent belge?

Pevenage: Disons que c’est une plume au chapeau des accompagnateurs belges. Il ne faut pas sous-estimer notre travail…

Bruyneel:… mais je reste convaincu que c’est le hasard. Nous avons eu la chance de pouvoir rassembler les meilleurs coureurs du moment.

Cela fait pourtant 25 ans qu’un Belge n’a plus gagné le Tour.

Pevenage : Les anciens vainqueurs du Tour ont sans doute mieux à faire. Je ne vois pas Greg LeMond ou Laurent Fignon s’occuper d’une équipe. Ils ont d’autres défis. Les directeurs sportifs sont plutôt les meilleurs serviteurs, ceux qui aiment travailler pour les autres.

Voyez-vous des Belges faire quelque chose cette année?

Pevenage : J’attends quelques échantillons des possibilités de Rik Verbrugghe, Mario Aerts et Kurt Van de Wouwer. Domo peut également gagner quelques étapes, même si la maladie de Dave Bruylandts tombe au mauvais moment. Les Belges peuvent briller partout, sauf au classement final. Van de Wouwer et Axel Merckx peuvent tout au plus viser la dixième place.

Bruyneel: N’oublions pas Steels. Il aura son mot à dire au sprint.

On attendait Frank Vandenbroucke mais il n’en sera pas. Que feriez-vous pour le remettre sur le droit chemin?

Bruyneel : Personne ne sait exactement ce qui se passe. Sans doute doit-il avant tout accepter qu’il a un problème puis chercher quelqu’un qui puisse l’aider. Lorsqu’un grand talent comme cela a des problèmes, ce n’est pas dû au physique mais à la motivation. Il doit accepter de refaire le long chemin qui mène à la victoire.

Pevenage : Le cas Vandenbroucke est malheureux car je suis toujours convaincu qu’il a beaucoup de talent. Mais lui seul peut trouver la solution. Il doit mettre les problèmes à plat et je suis certain qu’il reviendra car quelqu’un qui a pu rouler aussi vite doit toujours en être capable.

Frank Demets

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