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LES MEILLEURS ENNEMIS

Si Wout Van Aert et Mathieu van der Poel prétendent bien s’entendre, en réalité la rivalité entre les deux champions est féroce.

« Un point négatif chez Mathieu ? Je ne pourrais pas vous dire. En dehors des labourés, on s’entend très bien. Non, on ne se jette pas de boue au visage.  » C’est ce qu’a répondu Wout Van Aert à Renaat Schotte, un journaliste de la VRT qui lui demandait s’il n’était pas trop gentil avec Mathieu van der Poel. Le Néerlandais a confirmé les propos du Belge :  » Oui, c’est vrai : lorsqu’on ne s’affronte pas en course, c’est l’entente cordiale entre nous. Enfin, je pense.  »

Ce n’est pas la première fois que les deux principaux prétendants au titre mondial de cyclo-cross relativisent leur rivalité. Ils se trouvent, paraît-il,  » mutuellement sympathiques « , s’apprécient en tant que collègues et ne cherchent pas d’excuse en cas de défaite. En fait, Van Aert et Van der Poel ont tous les deux besoin l’un de l’autre.  » Je préfère que Mathieu soit présent lorsque je cours, sinon on dirait que j’ai vaincu sans péril « , affirme le Belge. Van der Poel acquiesce :  » Si Wout n’était pas là, on trouverait que mes victoires n’ont aucune saveur.  »

Pourtant, entre les lignes, et parfois distinctement, on peut s’apercevoir que la rivalité entre Wout et Mathieu est plus grande que les apparences le laissent supposer.

On s’en est encore aperçu à Overijse, le 11 décembre : Van der Poel avait le regard livide et les bras croisés, avant de monter sur la deuxième marche du podium. Quelques mètres plus loin, Van Aert jubilait. Pas un mot pour son rival. Sur la ligne d’arrivée d’autres cross, on a aussi aperçu le champion du monde en train de discuter avec Laurens Sweeck ou Tom Meeusen, sans un regard pour Van der Poel.

La rivalité entre leurs pères respectifs, Adrie et Henk, est encore plus grande : les deux hommes ne peuvent pas se sentir.  » Une interview commune ? Il n’en est pas question « .

GRANDE DIFFÉRENCE

Deux pères qui s’ignorent, deux champions qui s’entendent beaucoup moins qu’ils ne le prétendent : comment est-ce possible ? Pour le comprendre, il faut se plonger dans leur passé commun en cyclo-cross. Ça commence en septembre 2009, lorsque Van der Poel et Van Aert se sont trouvés pour la première fois ensemble sur la ligne de départ d’un cross officiel, à Essen. Le Néerlandais était un débutant, le Belge entamait sa deuxième saison. Malgré tout, c’est VDP qui l’a emporté. Van Aert n’a terminé qu’à la sixième place. Une tendance qui se poursuivra durant toute la saison : Mathieu collectionne les victoires, Wout est déjà très heureux avec une place sur le podium.

Ce n’est que deux saisons plus tard, en 2011/12, lorsque les deux hommes courent à nouveau dans la même catégorie (les Juniors), que le citoyen de Lille – en province d’Anvers – parvient plus ou moins à concurrencer le Néerlandais. A Ruddervoorde, il bat VDP pour la première fois, et au Championnat du Monde à Coxyde, il remporte la médaille d’argent derrière un VDP au sommet de son art, qui a remporté 22 des 25 cross auxquels il a participé.

À partir de là, le rapport de force commence à s’inverser. Van Aert, dont le développement physique s’est effectué plus tardivement, s’affirme durant la saison 2012/13. Il est alors un Espoir de deuxième année et parvient à faire vaciller l’indétrônable VanderPoel de son socle, en réalisant une démonstration à Gavere et à Baal. Une rivalité commence à naître. Laurens Sweeck s’impose sur le Koppenberg,  » avec la complicité de Wout et de Mathieu, qui se sont regardés en chiens de faïence.  »

Deux semaines plus tard, le jeune Van Aert, alors âgé de 19 ans, démontre tout son talent en menant la vie dure à Sven Nys lors du cross de Niel. Un peu vexé par PaulHerijgers, qui avait plutôt tendance à considérer Van der Poel comme  » le nouveau Nys « .  » Mathieu n’est pas meilleur que moi « , déclare le Campinois.

Après une première victoire chez les professionnels à Otegem – là aussi il était hyper-motivé après avoir été disqualifié au Championnat de Belgique à Waregem – Van Aert lance une première pique à son concurrent avant le Championnat du Monde Espoirs à Hoogerheide, disputé sur un parcours dessiné par le père Adrie van der Poel.  » Officiellement, Adrie affirme ne tenir aucun compte de la présence de Mathieu, mais je suis sûr qu’un père ne dessinera jamais un parcours qui ne convient pas à son fils. Je serai donc l’outsider, Mathieu aura tout à perdre.  » De fait : à Hoogerheide, VDP craque sous la pression et paie les frais d’un programme chargé sur la route, couronné notamment par un titre mondial chez les Juniors. Van Aert en profite et enfile son premier maillot arc-en-ciel.

La saison suivante, en 2014/15, Van Aert et Van der Poel concourent pour la première fois ensemble chez les professionnels. A Gieten, le Néerlandais devient, à 19 ans et 8 mois, le plus jeune professionnel à remporter une épreuve comptant pour le classement. Un mois plus tard, Van Aert l’imite sur le Koppenberg, alors qu’il n’a que 20 ans. Il remporte huit autres victoires dans la foulée, mais hésite à s’inscrire en Seniors ou en Juniors lors du Championnat du Monde à Tábor. En fin de compte, il opte pour l’élite,  » pour apprendre « . Ce qui a le don d’irriter Adrie van der Poel, qui n’a pas oublié le Championnat du Monde précédent, à Hoogerheide.  » Lorsqu’on se profile comme l’outsider alors qu’on est l’homme de la saison, on est un faux cul.  »

Mathieu impressionne également, une semaine avant le Championnat du Monde, en remportant une épreuve de la Coupe du Monde disputée à… Hoogerheide. Il confirme sa grande forme à Tábor : il s’échappe irrémédiablement dès le premier tour. Van Aert, nerveux, se bat avec sa chaîne. Il parvient malgré tout à revenir, mais VDP finit par s’imposer et devient le plus jeune champion du monde de tous les temps.

INSINUATION DE DOPAGE ?

Tout le monde attend avec impatience le duel qui s’annonce pour 2015/16, mais Van der Poel doit faire l’impasse sur la première partie de la saison après une opération au genou. Van Aert surclasse la concurrence, ce qui amène Adrie van der Poel à faire une déclaration pleine de sous-entendus :  » Wout est devenu trois fois plus grand et six fois plus large. Qu’est-ce que ça signifie ?  » Plus tard, il niera avoir insinué que son rival se dopait, mais cette déclaration est restée en travers de la gorge de Van Aert et surtout de son père Henk.

Le Campinois enfile son premier maillot tricolore au Championnat de Belgique disputé à Lille, dans son jardin, mais c’est Van der Poel qui part avec les faveurs des pronostics au Championnat du Monde à Zolder. Cela ne perturbe pas Van Aert, qui remporte son premier titre mondial chez les professionnels.

Van der Poel a donc refusé l’interview commune avec son rival, demandée par la plupart des journaux flamands pour présenter le Championnat du monde :  » On est déjà opposés toute l’année, pourquoi y ajouter cette confrontation dans les médias ? « . Il admet aussi que la rivalité avec Van Aert est devenue beaucoup plus exacerbée.  » On se respecte, mais pour autant, nous ne sommes pas amis.  »

PAR JONAS CRETEUR – PHOTO BELGAIMAGE

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