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LES MAUX BLEUS

Ils sont beaux, ils sont grands, mais ils ne gagnent pas. Eux, ce sont les Français à Roland-Garros. Le marasme tricolore à la Porte d’Auteuil pose la question de la dominance psychologique dans le sport de haut niveau. Tentative d’explications.

« Il n’y a plus de Français à Roland-Garros. C’est une véritable déroute. La pire depuis 10 ans. De quoi donner la migraine aux responsables du tennis français.  » La rengaine est connue, elle fait même l’ouverture des journaux télévisés depuis plusieurs années maintenant. Depuis 1983, chez les hommes, date de la dernière victoire française dans le tournoi masculin des oeuvres d’un certain Yannick Noah ; depuis 2000 chez les femmes et le succès de la Franco-Américaine Mary Pierce dans le tableau féminin.

Au point que, dix-huit ans plus tard, l’hécatombe française à la Porte d’Auteuil est devenue un sujet de railleries récurrent dans les talks-shows hexagonaux. À chaque édition ses souffre-douleurs. L’an dernier, ce sont ainsi les hommes qui se sont attiré les moqueries répétées du facétieux public tricolore en ne parvenant à hisser que 6 de leurs 19 représentants au second tour.

La palme en la matière étant toujours l’apanage de l’édition 2010. Cette année-là, hommes et femmes avaient uni leurs fragilités respectives pour ne pas qualifier un seul des 36 engagés français en deuxième semaine. Depuis, forcément, la critique s’abat à chaque nouvelle déconvenue bleu-blanc-rouge. Quitte à parfois faire preuve de mauvaise foi.

Ont-ils le niveau ?

 » On peut, en effet, poser la question autrement  » soulève d’entrée Arnaud Di Pasquale, ancien Directeur technique de la Fédération Française de Tennis entre 2013 et 2017.  » Et si on en demandait trop aux Français à Roland ? Est-ce qu’on n’oublie pas parfois que la plupart d’entre eux ne sont pas des spécialistes de la terre battue ?

En tant que DTN, j’ai beaucoup travaillé pour que nos jeunes, entre 12 et 18 ans, puissent évoluer durablement sur terre pendant l’hiver. Ce n’était pas le cas avant et cela ne l’est pas encore assez aujourd’hui. Il s’agit pourtant d’un écolage indispensable. Vous serez, par exemple, étonné d’apprendre qu’un Andy Murray, considéré comme un spécialiste du gazon, a beaucoup plus joué sur terre plus jeune que la majorité du contingent français actuel.

D’où ma question : quelqu’un s’est-il déjà demandé s’il y avait, aujourd’hui, un sportif français réellement capable de remporter le tournoi ? Pour moi, la réponse est claire, il n’y en a pas. Mais le problème, c’est que le grand public français a une perception erronée du niveau réel de nos joueurs et que cela créé un aspect déceptif annuel.  »

Savent-ils gérer la pression ?

Difficile de donner tort à Arnaud Di Pasquale, ancien double huitième de finaliste à Roland-Garros. De fait, si les Français placent dix hommes dans le top 100 mondial, pour 4 femmes, actuellement, pas un seul ne figure en haut de la liste des prétendants au Graal suprême sur la terre ocre de la Porte d’Auteuil.

Suffisant pour justifier l’absence des Français tout en haut de la pyramide, pas pour les disculper de ces innombrables roustes aux allures de mauvaises blagues subies en début de quinzaine.

La preuve qu’indépendamment de la simple question du niveau global du tennis hexagonal s’en pose une autre : et si la pression liée à un événement dont l’audience cumulée culminait en 2017 à 33,3 millions de téléspectateurs était de nature à paralyser les Français au moment de se rendre sur le court ?

Comment expliquer sinon la débâcle de Jo-Wilfried Tsonga, forfait cette année, au premier tour, l’an dernier, contre Renzo Olivo, un anonyme argentin, 91e mondial à l’époque, mais aujourd’hui retombé au-delà de la 200e place au classement ATP ?

 » Le tennis, c’est le sport de combat par excellence et ce jour-là, Jo n’était pas prêt pour la baston « , analyse Christophe Bernelle, ancien joueur de tennis professionnel (185e mondial en 1983) devenu psychiatre. Le tennis, c’est aussi contraignant que le golf sur le plan mental, mais en plus dur parce qu’en face il y a un adversaire qui cherche à vous mettre des coups.  »

Une différence d’éducation ?

 » Pour gagner, il vous faut un état d’esprit irréprochable  » poursuit le psy.  » C’est-à-dire qu’il faut entrer sur le court en s’octroyant le droit de perdre. Accepter de perdre, cela permet de ne pas avoir peur de perdre. Cela peut paraître étrange, mais conscientiser cette possibilité, c’est se dire qu’il n’y aura pas mort d’homme en cas de défaite et cela permettra de jouer plus libéré.

C’est ce que n’est pas parvenu à faire Jo l’an dernier et ce qu’il manque en règle général au tennis français. Tout l’inverse d’un Rafael Nadal et des Espagnols en règle générale. C’est peut-être là une différence d’éducation avec la France où, dès le plus jeune âge, on s’interdit de perdre contre un moins bien classé, sinon, c’est la honte. C’est sans doute une explication de la fragilité mentale en France.  »

Dépassionner l’événement pour le rendre accessible. Une recette immuable au dosage toujours approximatif. Surtout quand il convient de le faire devant son public, souvent sa famille. En France, cela ressemble fort à un devoir de mémoire envers ce que les tricolores appellent les  » sports co « .

Ces sports d’équipes qui ont fait la grandeur sportive de la France et fait dire un jour à Michel Platini dans les colonnes du magazine SoFoot qu’il y avait, dans l’ADN du sport français, une relation très forte entre les sportifs et leur public.  » C’est dans les structures du sport tricolore, on gagne souvent en France. Le handball, le football… C’est marrant, c’est une psychologie très française.  »

La hantise du grand oral

Comprendre qu’en France, il y aurait, pour les Français, une habileté toute particulière à se sublimer sur ses terres pour créer l’événement. Comme la France de Platini en 1984 ou celle de Zidane en 1998 voir, en handball, les Barjots de Jackson Richardson en 2001 ou les Experts version Nikola Karabatic en 2017.

Autant d’exploits retentissants, à mille lieues des performances tennistiques françaises qui ont créé l’encombrante jurisprudence de la perfection au moment de la rencontre d’un sportif français avec son public.

 » En cela, Roland-Garros, c’est un peu le grand oral du sport français, confirme Arnaud Di Pasquale, aussi adoubé en France pour cette médaille de bronze ramenée des Jeux de l’an 2000 à Sydney. Et comme pour tout examen, si tu n’es pas prêt au moment de t’y présenter, tu sais que tu vas prendre le bouillon. À l’inverse, si tu arrives en ayant fait les efforts nécessaires, cela peut te transcender.  »

Exceller jusqu’à atteindre les sommets. Connaître un jour d’éclat et faire abstraction de ces facteurs extérieurs souvent si difficiles à manier, c’est tout à fait ce que n’est pas parvenu à faire le même Christophe Bernelle en 1983 au moment de retrouver Mats Wilander au deuxième tour du tournoi parisien.

Le blocage du Central

 » Notre problème, à nous, Français, c’est qu’on se raconte une histoire « , analyse 35 ans plus tard Bernelle.  » À l’époque, j’avais 20 ans, et je me projetais. Or, c’est strictement interdit en tennis. Avant même de monter sur le court face à Wilander, qui est tout de même le vainqueur sortant à l’époque, je rêvais de voir mon nom imprimé en grosses lettres en une de L’Équipe le lendemain. De faire la tournée des 20 h sur France 2 et TF1…

Une vraie lubie en France. Sauf, que c’est tout ce qu’il ne faut pas faire. Forcément, je n’ai pas joué et j’ai pris une pilule (6-1,6-1,6-3, NDLR). C’est le pire souvenir de ma carrière parce j’étais paralysé du début à la fin. Zéro plaisir, je n’ai pas passé une seule première. C’est la seule fois de ma carrière où j’ai senti mon bras trembler sur chaque lancée. Une horreur.  »

Trente ans plus tard, un autre Français fera connaissance avec  » le blocage du Central « . Ce 7 juin 2013, jo-Wilfried Tsonga se présente face à David Ferrer en demi-finale de ce qui doit alors – au vu d’une écrasante majorité de l’opinion publique – n’être qu’une formalité sur la route de la finale où Rafael Nadal attend déjà le Français.

 » C’était la finale rêvée pour toute la France « , rembobine Arnaud Di Pasquale.  » Il faut remettre dans le contexte, on est trente ans tout juste après le sacre de Noah. Tsonga vient de sortir Federer en quart et l’attente du public est colossale. Évidemment, les médias ont fait leur boulot et monté tout ça en épingle.

Résultat : Tsonga a complètement craqué sous la pression. En soi, il n’y a évidemment pas de mal à perdre contre Ferrer, un vrai spécialiste de la terre, mais là, il passe complètement à côté de son match. C’est frustrant, mais tellement français.  »

Pas d’espoir sans crainte

Ce jour-là, Tsonga encaisse un douloureux 6-1, 7-6, 6-2 et la France du tennis comprend que la génération dorée des Mousquetaires 2.0 – Monfils, Gasquet, Tsonga et Simon – ne gagnera probablement jamais son tournoi.

 » Ce match, c’est avec les innombrables défaites d’ Amélie Mauresmo – qui a longtemps personnifié le mal français à Roland -, la plus grande déception tricolore des dernières années « , avoue Bernelle.

Et le psychiatre de citer Spinoza :  » Il n’y a pas d’espoir sans crainte et pas de crainte sans espoir. Ça explique beaucoup de choses. Surtout quand on sait qu’en France, on est les champions du monde de la starification. Demandez à Nadal si quelqu’un vient le faire chier quand il rentre sur son île (à Majorque, NDLR). Non, il n’y a personne, il est tranquille.

En France, quand Yannick Noah gagne Roland en 1983, six mois plus tard, il part vivre à New York parce qu’il était sur le point de se jeter dans la Seine. Il n’en pouvait juste plus d’être considéré comme un Dieu.  »

Depuis, Big Apple a vécu et les joueurs de tennis français ont préféré l’exil fiscal en Suisse. Le problème, c’est que personne ne les a jamais pris pour des Dieux…

Le dernier triomphe d'un tennisman français à Roland-Garros, c'était Yannick Noah en 1983.
Le dernier triomphe d’un tennisman français à Roland-Garros, c’était Yannick Noah en 1983.© BELGAIMAGE

L’exception collective

Si les tennismen tricolores peinent à remettre la main sur la Coupe des Mousquetaires depuis trop longtemps, la France n’en reste pas moins l’une des nations les plus titrées en Coupe Davis. Un paradoxe ? Pas tant que ça au vu de l’impressionnant vivier du tennis français. Dernier exemple en date, la victoire des hommes de Yannick Noah sur la Belgique de JohanVan Herck en finale de la Coupe Davis 2017, à Lille. Un succès à domicile arraché au meilleur des cinq manches grâce à la victoire de Lucas Pouille sur Steve Darcis dans l’ultime rencontre.

 » Ce match, c’est la preuve de l’importance de l’entourage dans la construction d’un succès « , assure Christophe Bernelle. Sans Yannick Noah, Lucas Pouille ne le gagne probablement pas parce que, là aussi, comme à Roland, il avait beaucoup plus à y perdre qu’à y gagner. Sauf qu’on l’a vu conquérant et positif dans son attitude malgré sa lourde défaite contre David Goffin, le vendredi.  »

Au final, un succès aisé du Français en trois sets et une dixième Coupe Davis dans l’escarcelle des Bleus. La troisième du Yannick Noah capitaine, la quatrième du gourou du tennis français, devenu le préparateur mental le plus coté de l’Hexagone depuis un week-end de l’automne 1991, resté dans les annales du sport français.

Cette année-là, pour sa première année à la tête de l’équipe de France de Coupe Davis, Noah transcende ses troupes et ramène à la France un saladier d’argent boudé depuis 59 ans par les Bleus. Le tout sur un rythme enivrant de  » Saga Africa  » et au bout d’une finale disputée dans une ambiance de feu à Lyon contre les États-Unis des intouchables Pete Sampras et André Agassi.

La preuve que les Bleus de la petite balle jaune sont aussi capables de briller à domicile. La preuve surtout de l’importance d’un coach mental dans le sport individuel. Battu par l’improbable tandem composé de Xavier Malisse et d’ Olivier Rochus en finale du double masculin en 2004 à Roland-Garros, Fabrice Santoro et Michaël Llodra, pourtant archifavoris cette année-là, ne diront certainement pas l’inverse.

Lucas Pouille n'a jamais su dompter la terre battue de la Porte d'Auteuil.
Lucas Pouille n’a jamais su dompter la terre battue de la Porte d’Auteuil.© BELGAIMAGE

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