Les lois d’Obélix

Où s’arrêtera la marche triomphale de la plus belle collection de joueurs du monde?

Les festivités du centenaire du Real Madrid avaient commencé le 6 mars 2002, 100 ans exactement après la fondation du Madrid Football Club par deux nobles, les frères Juan et Carlos Prádos, et elles se sont terminées en décembre dernier avec le gala de la FIFA.

Le Madrid FC est vite devenu un club chic destiné aux bourgeois de la capitale ibérique. Ils se pressaient dans les tribunes, en espérant y être reconnus. Un intellectuel madrilène avait absolument besoin d’un sésame du club local pour être reconnu. Supporter fanatique, le Roi Alfonso XIII montrait l’exemple. C’est grâce à lui que le club a reçu l’étiquette de royal en 1920 et est devenu le Real.

Dès les débuts du football espagnol, Madrid a donné le ton. Sous la direction de l’ancien attaquant Santiago Bernabéu, devenu président le 15 septembre 1943, le Real a émergé d’une période moindre pour devenir un grand club. Bernabéu était le patron. Il avait d’excellents contacts avec les politiciens les plus influents et a fait construire un stade imposant qui allait porter son nom. La dernière étape était l’acquisition d’une équipe talentueuse. Cette mission a été une réussite aussi. Dans les années ’50, le Real s’est forgé un brevet d’invincibilité, en Espagne comme dans le monde.

Les performances du Real avaient une influence énorme sur le peuple. Franco, le dictateur, l’avait bien compris. Il s’entendait à merveille avec Bernabéu, qui lui permettait d’utiliser son club pour contenter le peuple…

Bernabéu est décédé en 1978. Progressivement, Barcelone a repris le pouvoir mais le Real est revenu parmi l’élite absolue dans les dernières années de son premier siècle et il n’a pas l’intention d’abandonner sa place. Le Britannique Arthur Johnston a été le premier entraîneur du club. C’est lui qui a introduit la célèbre tenue blanche.

On est loin de tout ça. Aujourd’hui, c’est un clubman modeste, Vicente Del Bosque -surnommé Obélix du fait d’une ressemblance saisissante avec le célèbre porteur de menhirs- qui dirige les vedettes.

Comment gérez-vous un vestiaire rempli de joueurs de classe mondiale dont on ne peut égratigner l’ego?

Vicente Del Bosque: Il faut traiter chacun de manière normale. Les joueurs sont emplis de bonne volonté, corrects, et ils sont de bons sportifs. Evidemment, ils ont leur caractère mais il en va de même dans les autres équipes. Nous n’essayons pas de leur imposer notre volonté. Nous leur expliquons nos objectifs pour les convaincre.

Comment conservez-vous leur amitié quand ils sont sur le banc?

C’est la tâche la plus difficile. Attention, il est aussi pénible d’annoncer à un jeune qui s’entraîne avec enthousiasme et guette sa chance avec angoisse qu’il doit faire banquette, voire rejoindre la tribune. Il est parfois difficile de décevoir un grand joueur aux superbes états de service mais ça arrive, puisque nous avons un noyau large.Liberté

Certains entraîneurs veulent imposer leur système. Vous faites le contraire.

C’est une loi non écrite. L’entraîneur doit s’adapter aux joueurs qu’il a et ceux-ci au style de jeu de l’équipe. Dans ces limites, nous leur accordons la liberté qui leur est nécessaire pour exprimer leur talent, sans toutefois déroger au style de jeu propre au Real.

Quel est ce style?

Celui auquel on identifie le Real: soigné, rapide, d’un très haut niveau technique. Nous n’interdisons pas aux joueurs de briller individuellement mais nous nous appuyons sur quelques principes de base.

Pourriez-vous comparer vos méthodes à celles de Louis van Gaal, votre homologue de Barcelone?

Je ne le connais pas suffisamment pour commenter son travail et je n’aime pas non plus les comparaisons. Chaque entraîneur approche les joueurs à sa façon, selon ses méthodes de travail et sa vision du jeu. Tout ce que je puis dire, c’est qu’il porte un autre regard que moi sur le football.

Quelle est la répartition des tâches, entre Jorge Valdano, le directeur technique, et Florentino Pérez, le président?

Nous collaborons, sur pied d’égalité. Le président est une autorité au club. Valdano est le responsable de l’aspect sportif et c’est moi qui détermine le cours des choses dans le vestiaire comme sur le terrain. Nous essayons tous d’être critiques envers les autres, sans pour autant nous heurter.

Quel est le secret de votre succès depuis que vous avez repris l’équipe en 1999? Deux victoires en Ligue des Champions, un titre, une Supercoupe européenne et une Coupe Intercontinentale, c’est un fameux palmarès.

C’est très simple. Nos succès sont dus à la qualité des joueurs et au fait que nous gardons les pieds sur terre. Je sais ce que le club veut et ce dont il a besoin.

N’avoir travaillé qu’au Real et le connaître comme votre poche constitue-t-il un avantage?

Pas vraiment. Je connais le fonctionnement du club car j’ai vu beaucoup d’entraîneurs défiler et que je suis depuis longtemps en contact avec les joueurs. C’est un mince avantage, intangible. Avec un peu d’intelligence, n’importe quel entraîneur peut travailler dans ce club.

Vous ne donnez pas l’impression d’être accablé par la pression.

éa ne se voit peut-être pas mais je suis en fait quelqu’un de très nerveux. Je suis très anxieux par rapport au résultat, à l’entraînement ou au style. C’est dû à l’intensité avec laquelle les gens vivent le football, ici.Modèle

Avez-vous un entraîneur-modèle?

Oui. Tous les joueurs devenus entraîneurs ont été formés par leurs coaches. Miljan Miljanic a été un grand rénovateur il y a 28 ans. Vujadin Boskov et Luis Molowny ont également eu une grande influence sur le club et moi-même. Evidemment, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, depuis. La fréquence des matches détermine la façon dont on doit entraîner son équipe mais la philosophie de ces entraîneurs se perpétue quand même.

Pourquoi le Real semble-t-il mieux se tirer d’affaire sur la scène internationale qu’en championnat?

Peut-être est-ce dû au respect qu’éprouvent nos adversaires à notre égard. Nous le remarquons lors de nos voyages. En Grèce, en Belgique, en Angleterre ou en Russie, nous soulevons l’admiration et la crainte. Je ne dis pas que le Real est moins estimé en Espagne mais ici, nos adversaires nous connaissent et veulent à tout prix réussir un exploit contre nous. Leurs supporters et même la presse rêvent de les voir poser des problèmes au grand Real.

Quel est le rôle de Ronaldo dans le noyau?

Nous voulons que Ronaldo se sente bien chez nous et qu’il puisse se concentrer sur son jeu. Il donne une dimension supplémentaire à notre jeu. Avant, nous manquions de vitesse et de profondeur. L’essentiel est qu’il reste en bonne santé et qu’il joue régulièrement. Nous ne le forcerons jamais à prester quand il n’est pas en forme, faute de quoi, nous nous nuirions.

Est-ce sur votre demande que Ronaldo a été transféré?

Pas vraiment. Nous cherchions des renforts en attaque et l’occasion s’est présentée. Les négociations ont rapidement montré que son transfert était faisable.

Le Real échoue-t-il s’il ne gagne pas le titre ou la Ligue des Champions?

On nous juge et condamne chaque semaine. Chaque match constitue un examen. Les gens exigent que nous remportions des trophées. Si nous n’y parvenons pas, nous sommes condamnés. Et ça fait mal.

Le Real est-il le meilleur club du monde?

Oui, évidemment. Je le fréquente depuis 34 ans. Ce club est toute ma vie. Le Real est le meilleur si vous observez son palmarès et son impact social. Une personne extérieure est sans doute à même de dresser un portrait plus réaliste mais le monde du football a entériné notre statut.

Chris Tempelman

« Le coach doit s’adapter aux joueurs et eux au style du club »

« Avec un peu d’intelligence, n’importe quel coach peut travailler au Real »

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