© Inge Kinnet

 » Les livres m’ont beaucoup aidé « 

Igor de Camargo (35 ans) a passé la moitié de sa vie en Belgique. Il se sent moitié brésilien, moitié belge mais ses premières heures dans notre pays ont été froides et solitaires. Coup d’oeil dans le rétroviseur.  » Il y a en moi quelque chose qui me dépasse. Dieu. Rien ne peut donc m’abattre.  »

Parfois, il a pensé : j’arrête, je retourne au Brésil. Igor de Camargo opine.  » Au début…  » Il se tait et détourne le regard un instant. Des souvenirs remontent à la surface, qu’il semble vouloir formuler, mais il se retient.  » C’était le début « , répète-t-il en souriant : le chapitre est clos.

De Camargo n’est pas de ceux qui ruminent et ressassent les moments difficiles ou les pensées négatives. Il s’est déjà dépeint comme un optimiste, un homme amical,  » béni par Dieu « . Le rire qui accompagne ses propos en dit long : c’est un homme heureux qui est assis à nos côtés à la table du foyer des joueurs de Malines.

Giocatore ?

Revenons quand même à ses débuts. Igor de Camargo joue à Estrela FC, au Brésil. Le président du club lui parle d’un test en Europe. On y cherche un attaquant dont le profil correspond à celui de De Camargo. On ne mentionne pas le nom du club : Europe suffit au frêle attaquant.  » J’ai dit : directement ! Tout de suite !  » Et De Camargo prend l’avion avec le président.

Le Brésilien hoche la tête en y repensant, 18 ans plus tard.  » C’était spécial « , dit-il en riant. Durant l’escale à Paris, le président annonce subitement un changement.  » Maintenant, tu vas en Belgique, seul. Moi, je dois me rendre au Nigeria.  » De Camargo répète les mots qu’il a entendus.  » Je ne devais pas me tracasser : on allait m’accueillir.  »

Le petit De Camargo n’a que 17 ans quand il se retrouve sur le tarmac de Zaventem, au terme de son premier voyage en avion. Ses valises sont presque plus grandes que lui. Des gens pressés le dépassent de tous côtés, en parlant une langue qu’il ne comprend pas. Il se retrouve seul ici, dans ce pays froid, à près de dix mille kilomètres de son village natal.

 » J’ai regardé à gauche, à droite, encore une fois à gauche et à droite… Personne ne m’attendait. Il n’y avait pas une seule pancarte à mon nom, rien ! C’était vraiment bizarre.  » Puis quelqu’un lui fait face. De Camargo :  » Giocatore, giocatore ? ! « , a crié l’homme. Je ne savais absolument pas ce qu’il voulait dire mais il s’est emparé de mes valises. Je ne savais pas si c’était la bonne personne mais je voulais le suivre. Loin de cet aéroport.  »

L’homme, c’est Domenico La Sala, un Italien d’Eindhoven qui a accueilli Romario et Ronaldo dans son restaurant La Grotta Azzurra quand ils jouaient au PSV. Le patron du restaurant avait tissé d’étroits liens avec les Brésiliens et avait noué des contacts footballistiques au Brésil grâce aux deux stars. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé face à Igor de Camargo à Zaventem.

Les mères ont la larme facile. La mienne a beaucoup pleuré quand je suis parti en Belgique. » – Igor de Camargo

Dans la chorale

Las, les connexions de La Sala s’arrêtent là. Il ne parvient pas à caser l’adolescent brésilien dans un club. L’Italien fait appel à son compatriote Paul Stefani, un manager qui a des relations. De Camargo finit par signer un contrat à Genk et est hébergé par une famille de Maasmechelen.

De Camargo sourit :  » J’ai dû m’y faire.  » Au Brésil, il est dehors tous les jours.  » Pour jouer au football, pour m’amuser et profiter du soleil. Chaque week-end, famille et amis organisaient un barbecue et j’allais à l’école ballon au pied. Ici, il faisait froid. Terriblement froid.  »

Tout est différent de Porto Feliz, le hameau où il est né, à 120 kilomètres à l’ouest de Sao Paulo. Son père Nivaldo enseigne les mathématiques et la biologie à l’université, sa mère Matilde travaille dans un bureau de comptabilité.

Au Brésil, sa journée scolaire débute par de la gymnastique.  » Très tôt. Donc, je dormais avec ma tenue, je préparais mes chaussures à côté du lit, avec un ballon. Chaque soir, je disais à ma mère : – N’oublie pas : demain, je dois jouer au football. Dès que je m’éveillais, j’enfilais mes chaussures, je m’emparais du ballon et je m’en allais. C’est ça, la vie au Brésil. Là, le football est la vie. C’est… complètement différent d’ici.  »

Le football et Dieu sont la base de tous pour beaucoup de Brésiliens, parmi lesquels la famille De Camargo. Ses parents élèvent leurs deux enfants dans la religion catholique : chaque semaine, la famille va à l’église. Igor de Camargo intègre très tôt la chorale. Celle-ci devient un cercle d’amis.

 » Les camarades que j’ai conservés viennent de l’église. Nous avons chanté ensemble pendant notre jeunesse. Je ne le fais plus mais j’aimerais m’y remettre. Quand je chante, je me sens libre, surtout à l’église. Je fais quelque chose de bien.  »

La Bible et les livres

Giovanna est une de ses amies. Elle a fait partie de ce groupe. Longtemps, ils ne sont que des copains, même quand De Camargo émigre en Belgique. Deux ans plus tard, leur relation devient plus sérieuse et au bout de deux autres années, Giovanna débarque en Europe.

 » Elle était mannequin au Brésil, pour différentes marques de vêtements, mais elle a renoncé à sa carrière pour moi… Ce n’était pas évident mais sa présence était très importante pour moi. Elle m’a toujours soutenu. Dans les moments difficiles, elle me dit : – Hello, relève la tête ! Tu as un objectif à atteindre !  »

Le couple vit ensemble depuis seize ans et a deux enfants : un fils, Enzo (neuf ans), et une fille, Gabriela (quatre ans). Mais quand le footballeur vivait seul, le froid et le rapide déclin du jour étaient difficiles à supporter. « Être seul ici, sans ma famille… C’était difficile. La famille est la base de tout. Quand on a un problème, on se tourne vers son père ou sa mère. Pour eux aussi, c’était pénible. Mon père le montrait moins mais ma mère… Les mères ont la larme facile, hein. Elle a beaucoup pleuré.  »

© INGE KINNET

Il envisage alors d’arrêter. De retourner au Brésil. Il le répète :  » La solitude… J’étais vraiment seul avec moi-même. La solitude me pesait terriblement.  » De Camargo se réfugie dans la lecture. « La Bible, naturellement, présente dans ma vie depuis toujours, mais aussi les livres d’ Augusto Cury et Paulo Coelho, comme Ser como um rio que flui (Comme le fleuve qui coule, ndlr). La lecture m’a beaucoup aidé. Les livres racontaient des histoires grandioses. Ça m’a aidé car j’ai vraiment douté.

Je me sens libéré quand je chante, surtout à l’église. Je fais quelque chose de bien. » – Igor de Camargo

J’étais venu ici pour jouer au football, pour avoir un club, un contrat mais je n’avais pas encore ce contrat.  » Il grimace. « Il n’est pas agréable de s’entendre dire non. Il faut être très fort mentalement, surtout quand on a tout abandonné, à 17 ans, et qu’on se retrouve dans un tout autre univers. Mais je suis béni de Dieu. Je suis si heureux. J’ai reçu tout ce qui se trouvais sur mon chemin, je me suis battu pour l’obtenir. Un non ne suffisait pas. Il me fallait un oui. Confiance, optimisme, Dieu. C’est ce qui m’a aidé.  »

Fier de lui

Il reste fidèle à cette trilogie : De Camargo refuse de se laisser abattre par les moments difficiles. Il redresse son téléphone et place sa main à gauche.  » Ces moments s’arrêtent ici et à partir de là « , dit-il en déplaçant sa main à la droite du téléphone,  » c’est moi. Et là où je suis, il n’est pas question de laisser pénétrer les moments difficiles. Donc, quand il fait froid, je prends une couverture. Et si je me sens seul, je prends un livre.  »

C’est pour ça qu’il dit qu’il n’a eu de moments difficiles qu’au début et que tout a changé. Maintenant, quand il jette un coup d’oeil en arrière, il peut dire :  » Je suis fier de moi.  » De Camargo place sa main sur sa poitrine.  » Il y a ici quelque chose de plus grand que moi. Je l’appelle Dieu. On ne peut pas m’abattre.  »

Igor de Camargo :
Igor de Camargo :  » Dieu, la confiance et l’optimisme, c’est ce qui m’a aidé. « © INGE KINNET

 » Mes idéaux passent avant la victoire  »

Igor de Camargo :  » Dieu est tout pour moi. Je suis catholique et j’assiste toujours à la messe à Bruxelles le week-end. Au fil des années, mon regard sur les religions a toutefois changé. Avec l’âge, je réfléchis davantage à ce que je lis.

Je continue à observer les rituels mais la façon dont je vis ma foi et la forme que je lui donne ont changé. Maintenant, je sens la présence de Dieu en moi bien plus qu’en dehors, dans des directives ou des dogmes. C’est ce qui compte.

Qu’on soit musulman, protestant, catholique, évangéliste, bouddhiste, peu importe : toutes les religions mènent à Dieu. Il y a différents modèles d’autos mais ce sont toujours des autos. Pour moi, il n’y a qu’un Dieu. Il faut chercher sa voie. Comment ? Jésus a dit : – Je suis la voie, la vérité et la vie. Nul ne trouve le père si ce n’est par moi…

Même en football, je trouve Dieu. Il dit qu’il faut être bon envers les autres mais on joue contre un autre pour gagner sa vie. Et on veut gagner. Comprenez-vous cette contradiction ?

Dans les duels, je m’en tiens à certaines conditions. Récemment, j’ai comparu pour la faute que j’ai commise sur Ambroise Gboho, de Westerlo. ( Il a été suspendu pour deux matches suite à son tacle, ndlr.) Mais ceux qui me connaissent savent que je ne ferai jamais de mal à quelqu’un d’autre, pas plus que je ne tricherai. C’est impossible. Je veux gagner, même quand je joue aux cartes avec ma mère, mais pas en sacrifiant mes idéaux.

Cette frontière est Dieu aussi. Il faut être honnête envers soi-même. Prenez ma blessure ces dernières semaines : j’ai dû faire des exercices pour la guérir. Vais-je les faire dix fois ou huit ou six. C’est pareil à l’entraînement : avec quelle intensité vais-je m’engager dans un duel ? Dieu est un miroir. Il m’a appris à mieux me connaître. Chaque matin, en me levant, je me dis que j’ai reçu une nouvelle chance de vivre. Vais-je rire ou pleurer ? Dieu est en tout ce que je fais.  »

« Ce que j’ai appris ici ? La discipline et les frites »

Igor de Camargo a été naturalisé belge en 2005. Il s’est produit à neuf reprises pour les Diables Rouges. Cette décision a comblé ses parents de fierté mais ses amis brésiliens l’ont moins bien pris.  » Ils rêvaient de me voir enfiler un jour la vareuse du Brésil mais ce n’était pas évident. Il y avait tant de bons joueurs », sourit-il.

 » Comme ma famille, mes amis ont fini par comprendre que c’est grâce à la Belgique que j’ai atteint mon niveau en football. Le Brésil ne m’a pas accordé la chance de devenir footballeur professionnel. Naturellement, la situation est différente. Là, il y a mille joueurs pour une place dans un club pro alors qu’ici, il y en a peut-être cinquante ou cent. »

Après toutes ces années ici, De Camargo se sent belge. « Plutôt moitié brésilien, moitié belge. C’est ici que j’ai fait carrière en football, que j’ai joué en équipe nationale et j’ai passé la moitié de ma vie ici. Ça pèse lourd dans la balance. Tout le monde voit un Brésilien en moi mais… je ne le suis plus, en ce qui me concerne. »

Il prend l’exemple de la discipline. « La plupart des Brésiliens qui arrivent ici en ont fort peu. Ils estiment qu’arriver avec quelques minutes de retard n’est pas grave, ce genre de truc. C’était aussi mon cas. Mais ici, j’ai appris la discipline. Et aussi à manger des frites. » Il sourit. « Oui, ça aussi. »

Il parle français et néerlandais et ses deux enfants, nés ici, ont la nationalité belge. « Je pense qu’ils se sentent belges. Ils parlent français car ils sont nés à Liège mais ils commencent à apprendre le néerlandais. A la maison, nous parlons portugais et nous regardons les chaînes belges comme les brésiliennes. »

Au terme de sa carrière, De Camargo envisage de partager son temps entre le Brésil et la Belgique. Il dirige en effet une agence immobilière avec sa soeur, qui est architecte, et sa mère. Il a investi dans l’immobilier dans les deux pays. « Mais tant que les enfants iront à l’école, il ne sera pas évident de passer de longues périodes au Brésil. Je ne sais donc pas ce que nous allons faire. Il se pourrait que je passe le reste de ma vie ici. »

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