Les leçons du passé

Le Caje a retrouvé son poste à Westerlo et a fait table rase de l’épisode brugeois.

En vrai sportif, à 50 ans, Jan Ceulemans reste affûté. Cet été, il a même réussi l’ascension du Mont Ventoux en 1 h 58 :  » Quand j’ai été viré au Club Bruges, j’ai eu le temps de m’entraîner ! J’ai beaucoup roulé à vélo. J’adore. J’ai profité de ces 14 mois de chômage pour faire ce que j’aime. J’ai découvert un autre monde. Je n’avais vécu que pour le football depuis l’âge de 16 ans. J’ai rechargé mes accus, j’ai l’esprit plus clair. Depuis un bon moment, j’avais retrouvé l’envie d’entraîner. Encore fallait-il qu’un club m’embauche….  »

Cette année académique vous a donc fait du bien ?

Jan Ceulemans : Etre limogé n’est pas agréable mais j’ai réussi à tourner la page au bout de quelques mois. Je ne me suis pas beaucoup intéressé au football. J’ai bien assisté à quelques matches mais sans plus. J’ai consacré du temps à ma famille, le week-end. Par contre, les négociations financières avec Bruges ont été beaucoup plus longues que je ne le pensais. Je m’y suis donc consacré, en prenant mon temps. Tant que ce n’était pas en ordre, je n’ai pas prêté attention à l’intérêt éventuel d’autres équipes.

Qu’avez-vous ressenti ?

J’ai été délesté d’un stress incroyable. Je suis professionnel depuis l’âge de 17 ans. J’ai vécu toutes ces années au même rythme, avec cinq oui six semaines de vacances pendant lesquelles je m’occupais des transferts en vue de la saison suivante. Je suis allé voir le Lierse et Westerlo mais j’étais constamment invité au Kuipke et quand on dit oui à quelqu’un, on ne peut dire non à un autre. Durant les mois qui ont suivi mon renvoi, j’ai surtout été terrassé par la déception. J’ai tout remis en question puis j’ai tenté de vivre sans stress.

A quelles conclusions avez-vous abouti ?

J’ai tiré certaines leçons, du moins je l’espère ! Le monde du football est ainsi fait. Il vous expose à des surprises. Je sais désormais que je dois m’attendre à tout. Je vais me livrer à 200 % avec Westerlo mais sans me mettre martel en tête.

Vous avez déclaré à un journal :  » J’ai prouvé au Club Bruges que je suis un bon entraîneur « . N’est-ce pas excessif ? Compte tenu des circonstances, vous n’avez pas démontré que vous n’étiez pas un bon coach pour Bruges mais de là à affirmer le contraire…

Chacun doit établir son bilan. Je ne vais pas répondre sinon nous allons rouvrir le chapitre Bruges. Chacun a le droit de se forger sa propre opinion et de l’exprimer. L’essentiel à mes yeux, c’est que je sais ce que j’y ai réalisé avec le matériel dont je disposais et tout ce qui est arrivé. Je ne pouvais faire plus. J’ai tenté de former un groupe, en espérant que ça marche. Evidemment, ce poids est plus facile à porter quand vous avez pu participer à la prise de décisions.

Les bons et les mauvais

Vous avez signé pour trois ans à Westerlo.

On dit qu’il est toujours dangereux de revenir dans un ancien club mais ce n’est pas toujours comme ça. J’ai un avantage : je sais comment le club fonctionne. Je connais encore beaucoup de gens, dont certains que j’ai demandés, comme Nico Van Kerckhoven, Tom Van Imschoot, Bernt Evens et Ronny Gaspercic. Il est important d’embaucher des footballeurs dont vous êtes sûrs, à 95 %, qu’ils conviennent à un club, sportivement et humainement. C’est encore plus facile ici car on a encore des Belges. A un niveau supérieur, les clubs jettent souvent leur dévolu sur des étrangers, ce qui complique tout. Je suis convaincu de leurs qualités footballistiques mais je ne connais pas leur mentalité alors que c’est un facteur déterminant en football. Les grandes équipes fonctionnent autrement que celles du ventre mou.

Vous avez appris à Bruges ce que c’était de travailler avec des inconnus ?

On peut s’informer sur ceux qu’on va transférer auprès de gens auxquels on fait confiance mais que va me dire le manager d’un étranger ? Dira-t-il, par exemple : – Il ne sait pas jouer et il a un sale caractère ?

Dans quelle mesure avez-vous votre mot à dire dans les transferts de Westerlo ?

Le transfert de Rachid Farssi était déjà conclu. On m’a consulté à propos de Gunther Vanaudenaerde et de Joris Van Hout. Un moment, il a été question d’Eric Deflandre mais ça ne s’est pas fait, pour diverses raisons. Le club estimait qu’avec le seul Marc Wagemaekers à droite, il s’exposait à des problèmes, d’autant que le garçon a été souvent blessé la saison passée. On a donc cherché un autre back. J’ai cité Van Audenaerde. J’ai aussi insisté pour avoir un attaquant, puisque Patrick Ogunsoto risquait de partir et que la saison passée, Bart Van den Eede a peu joué à cause de blessures. Je ne veux pas prendre le risque de perdre deux avants. De tous les noms évoqués, j’ai trouvé que Van Hout était le plus approprié.

Pourquoi avoir suggéré Vanaudenaerde ? A Bruges, il figurait parmi ceux qui n’avaient pas la mentalité requise et il a d’ailleurs été renvoyé.

Je ne sais pas. On raconte tellement de choses. Il y a sûrement du vrai et encore plus de faux là-dedans. Il a joué 25 matches environ, y compris en Coupe d’Europe et il ne manque certainement pas de talent.

Chacun a le droit d’entamer un nouveau chapitre sans être jugé sur le passé mais allez-vous modifier votre approche à son égard ?

Ce n’est pas nécessaire. Il se trouve dans un autre environnement, avec d’autres coéquipiers. Il est logique qu’il ait cherché la compagnie de gens de son âge. Ici, il doit s’intégrer. Il est seul, c’est une des raisons pour laquelle il a signé. Je n’ai pas eu de problèmes avec lui. Je sais ce que j’ai vécu, je sais qui sont les bons et les mauvais. L’opinion des autres ne m’intéresse pas.

Bruges vous a notamment reproché de ne pas être assez sévère avec les joueurs qui manquaient de professionnalisme.

On voit comment ça a marché, presque deux ans plus tard… Mais je ne veux plus parler de ça.

Dans une interview, vous avez émis certaines critiques, notamment à l’égard de Michel D’Hooghe, laissant entendre qu’il n’était pas fiable. Quelles ont été les réactions ?

Il n’y en a pas eu et d’ailleurs, je n’ai rien dit. C’était interdit et je me suis tenu à cette règle. C’est vous qui avez lu cette critique, moi j’ai lu l’article autrement. Tout est question d’interprétation…

Pulsomètres

Vous avez déclaré que vous étiez bien armé. Les entraîneurs n’ont-ils pas toujours besoin d’un joueur supplémentaire ?

Il faut aussi pouvoir dire que quelque chose est bon. Si ce n’est pas le cas, je serai le premier à m’adresser à Herman Wijnants, le grand patron. Mais si ce noyau est épargné par les blessures, il devrait normalement réaliser une bonne saison. Personne n’est parti, nous avons trois transferts dont je suis convaincu qu’ils peuvent constituer une plus-value. J’avais suivi Westerlo à quelques reprises et Herman Helleputte et d’autres m’ont dit que le noyau recelait des qualités. Il ne faut donc pas enrôler dix hommes mais simplement renforcer les postes qui en ont besoin, ce que nous avons fait.

Une autre citation :  » Nous avons un millième de % de nous classer parmi les quatre premiers. Avec un brin de chance, nous pouvons êtres cinquième ou sixièmes. S’il y a des blessés, huitièmes ou neuvièmes « . Donc, dans des conditions normales, Westerlo sera septième ?

Logique, non ? Peu d’équipes sont à même de se glisser entre Anderlecht, le Club Bruges, le Standard et Genk. Notre place exacte en dessous dépend de nombreux facteurs. Reprenez les classements des dix dernières années : quels autres clubs ont terminé parmi les quatre premiers ? Nous devons essayer de bien nous classer et de réussir notre parcours en Coupe. Si la chance nous sourit, c’est le seul moyen de nous qualifier pour une Coupe d’Europe.

Les méthodes de travail ont-elles changé depuis votre premier passage à Westerlo de 1999 à 2005 ?

Elles ont progressé. Nous avons plus de contacts avec le staff médical et nous nous entraînons plus scientifiquement. Nos conditions de travail sont plus que décentes.

Vous faites allusion aux pulsomètres et à l’analyse des résultats que réalise Frank Dauwen ?

Nous en avions déjà avant mais nous les utilisions peu. Nous verrons ce que ça donnera, en matière de condition physique et de prévention des blessures. Un de nos principaux objectifs est de délester l’infirmerie en évitant aux joueurs d’être trop souvent dans le rouge. Il faut s’entraîner dur mais sans dépasser ses limites, en restant légèrement en dessous.

Etait-ce un problème ?

Je l’ignore. Les blessures sont inévitables, même en appliquant à la lettre les recommandations médicales. Nul n’est à l’abri d’une entorse ou d’une triple fracture de la cheville, pulsomètre ou pas. Mais on peut éviter les blessures liées à la surcharge.

Frank Dauwen étant devenu adjoint à plein temps, vous pouvez superviser l’ensemble ?

Il va analyser les matches par vidéo. C’est très intéressant. C’était déjà le cas l’année dernière. Frank se consacre de plus en plus à ce genre de choses. Je suis content qu’il m’accompagne sur le terrain et réalise des analyses vidéo. Tout ne doit pas changer non plus. Westerlo travaille bien puisqu’il est en D1 depuis dix ans – six ans avec moi, deux avec Herman et auparavant, deux avec Jos Heyligen.

Barry Hulshoff entraîne les Espoirs, qui doivent émerger davantage en équipe fanion. Il connaît Frank Arnesen, le manager sportif de Chelsea depuis qu’ils ont travaillé ensemble à l’Ajax. Cette collaboration va-t-elle s’intensifier ?

Tout est possible. Barry s’occupe surtout des Espoirs, avec lesquels il essaie de former une bonne équipe. C’est aussi nouveau. On verra si c’est une bonne solution ou pas. On ne peut avoir chaque saison une génération qui produit trois ou quatre footballeurs aptes à être incorporés à mon noyau, encore moins à l’équipe fanion. J’espère que nous aurons de bons jeunes mais ce n’est pas simple. Ceci dit, un entraîneur principal ne doit pas trop se mêler du fonctionnement de l’école des jeunes car il n’est qu’un passant.

Herman Wijnants avait dit, quand vous avez rejoint Bruges, qu’il aurait préféré vous garder à vie. N’espériez-vous pas davantage qu’un contrat de trois ans ?

Non ! Ce n’est pas nécessaire. Je suis satisfait avec ce contrat et je suis suffisamment réaliste pour savoir que mon séjour peut être plus bref que trois ans, si les résultats ne suivent pas.

Qu’avez-vous qui a fait défaut à Helleputte ?

Posez la question à Herman… Nous avons joué cartes sur table dès le début. Je suis droit dans mes bottes, à 200 %. C’est l’essentiel. J’ai d’ailleurs attendu qu’il ait signé au Lierse avant de discuter avec Westerlo.

Vous aviez une certaine aura. A-t-elle pâli ?

Pas du tout.

A Bruges, vous avez répondu :  » Les gens me connaissent ainsi, il ne faut pas changer « . Vous sembliez redouter de perdre votre charisme ?

Je suis resté le même homme.

50 ans

Il n’y a pas eu de match amical pour vos 50 ans ?

Malheureusement, non.

Vous avez également dû déclarer forfait pour celui organisé à l’occasion des 50 ans du gardien russe Rinat Dassaev.

C’est un peu ma faute. J’ai attendu trop longtemps pour demander mon visa. Je l’ai obtenu mais il n’y avait plus de vol disponible. Je n’avais pas pris ce problème en compte. Je le regrette car cela aurait été une belle fête. J’aurais essayé de rejouer, ce que je ne fais plus, normalement. Dans le passé, j’ai souvent été invité à disputer des matches européens de ce genre mais cela ne m’a jamais vraiment intéressé. Cette fois, je me suis dit que c’était fantastique d’être encore invité après tant d’années, de jouer avec Eric Gerets et de passer trois jours à Moscou en plus. C’est aussi l’occasion de revoir des gens qu’on a perdus de vue. Mais bon, j’ai commis une erreur.

Votre génération, très douée, a fourni étonnamment peu de grands entraîneurs. Or, Guy Thys vous laissait la bride sur le cou car vous aviez tous un grand sens tactique.

C’est pourtant la génération qui a fourni le plus de coaches. Si vous vous en tenez à la catégorie des grands entraîneurs, évidemment… Mais qu’est un grand coach ? Quelqu’un qui arrive au bon moment dans un bon club et y dispose de bons footballeurs.

Prenez Franky Vander Elst. On dit qu’il n’a pas réussi, qu’il manque de fanatisme.

C’est facile à dire. L’essentiel est d’avoir un bon groupe, doté de talent, mû par un objectif dont on est convaincu qu’il est réalisable. Si vous échouez malgré tout, alors là, oui : on a le droit de dire que vous avez été mauvais.

Quelle évolution doit suivre votre carrière, maintenant ?

Je procède à une évaluation annuelle. Si j’ai la chance d’honorer mes trois ans de contrat ici, nous aviserons.

A votre âge, la plupart de vos collègues entraînent un grand club ou sont devenus directeurs techniques.

Ou entraînent une équipe moyenne comme Westerlo. C’est aussi simple que ça !

par raoul de groote

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