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« LES LARMES DE CRISTIANO NOUS ONT DONNÉ DE LA FORCE « 

L’une des surprises de 2016 a été la victoire du Portugal au Championnat d’Europe. Suite à la blessure de Cristiano Ronaldo, c’est Nani qui a porté le brassard de capitaine lors de la finale.  » Depuis cet été, beaucoup de Portugais vont travailler la tête haute « , dit-il.

Il est le plus humble de tous les Portugais qui ont porté le maillot de Valence, dit-on du côté de Mestalla. Alors qu’il est champion d’Europe. Malgré cette consécration, Luis Carlos Almeida da Cunha – mieux connu sous son pseudonyme footballistique Nani – n’a jamais perdu sa modestie. Il a passé ses premières années au Cap Vert, un archipel au large de l’Afrique de l’Ouest, mais il a rapidement déménagé à Lisbonne avec ses parents.

Lorsque tu jouais dans les rues d’Amadora, le quartier de Lisbonne où tu as grandi, tu rêvais déjà de devenir champion d’Europe avec le Portugal ?

NANI : Non. A cette époque, je rêvais seulement de devenir une vedette et d’apparaître à la télévision. Dans un certain sens, ce rêve, je l’ai réalisé.

Quel genre de vie menais-tu dans ce quartier ?

NANI : Ce n’était pas facile tous les jours, mais on s’amusait bien dans la rue. Il suffisait d’avoir un ballon et on dessinait le terrain avec des pierres, des cartables, des bâtons… Ce qu’on trouvait. Mais on parvenait tous les jours à se débrouiller.

Et comment se comportaient tes parents vis-à-vis de toi ? Apparemment, tu ne les voyais pas beaucoup lorsque tu étais enfant…

NANI : Mon père est retourné au Cap Vert lorsque j’avais 7 ans. A cause d’un problème administratif, il n’a plus pu revenir à Lisbonne. Ce n’est qu’à 18 ans que j’ai pu, moi-même, retourner au Cap Vert et le revoir. Ma mère jouait donc un rôle très important. Nous étions neuf à la maison et j’ai toujours dit qu’elle devait avoir des poumons gigantesques, car elle était infatigable. Elle nous a élevé dans des circonstances très compliquées, mais cela ne l’empêchait jamais de sourire. Elle organisait le ménage, nous donnait à manger, nous habillait et veillait à ce que nous ne manquions de rien… Elle s’est énormément investie. Aujourd’hui, c’est une femme joyeuse, quelqu’un de spécial qui rend heureux tous les gens qui la connaissent. En fait, ses enfants lui ressemblent. Notre joie de vivre, c’est à elle que nous la devons. Elle a 60 ans, mais donne l’impression d’être beaucoup plus jeune… A cette époque, ma tante et mon frère aîné ont aussi joué un rôle important. J’ai toujours essayé d’imiter mon frère aîné, d’autant que c’était un excellent footballeur.

On prétend que tu dormais avec un ballon, c’est vrai ?

NANI : J’ai un peu honte de l’avouer, mais en effet, c’est exact. Lorsque j’étais petit, je dormais avec un pouce en bouche et mon autre main autour d’un ballon, même s’il était sale. Je l’utilisais comme un coussin.

 » ON A ÉTÉ SOLIDAIRE D’UN BOUT À L’AUTRE DE L’EURO  »

Voilà bientôt six mois que le Portugal a remporté l’EURO, mais de nombreuses personnes se demandent encore comment cet exploit a pu être réalisé. Tu as une explication ?

NANI : On avait une équipe fantastique, un groupe très soudé qui a très bien travaillé. Mais surtout : on a montré une grande envie de gagner.

L’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie, la Belgique… tous ces pays étaient considérés comme favoris, pas le Portugal. C’était un avantage ?

NANI : Ça nous a sans doute un peu aidé, oui. On a aussi eu la chance d’éviter les grosses équipes, jusqu’en finale. On a eu beaucoup de difficultés dans toutes les rencontres qu’on a disputées. Mais notre plan était : rester suffisamment concentré pour éviter que l’adversaire ne puisse jouer son jeu. Et être prêt à marquer un but de plus que l’adversaire. Ça a réussi.

On vous a reproché de n’avoir gagné aucun match avant les 90 minutes. Mais, d’un autre côté, vous êtes restés invaincus durant tout le tournoi. Cela en dit-il long sur les qualités de l’équipe ?

NANI : Cela démontre surtout qu’on avait une équipe très solide. A chaque instant, on a fait ce qu’il fallait pour gagner le match. C’est une statistique historique et elle dit tout. Même si beaucoup de personnes ne s’en sont pas aperçus, il y avait de très bons joueurs dans notre sélection. Certains étaient encore novices et ont grandi au fil des matches, comme Adrien Silva ou João Mário. D’autres étaient très expérimentés et connaissaient tous les rouages d’un grand tournoi, comme Pepe, Cristiano, Quaresma ou Rui Patrício. D’autres, enfin, étaient encore des enfants mais ont démontré une forte personnalité, comme Renato Sanches. Ce mix s’est révélé bénéfique pour l’équipe.

Fernando Santos a aligné un 4-4-2 sans attaquant de pointe, avec deux hommes sur les flancs, Cristiano et toi. Une solution de fortune ?

NANI : On n’avait jamais essayé cette formule dans un autre tournoi et cela a surpris nos adversaires, qui ont rencontré de gros problèmes dans le marquage individuel. Si l’on suit les consignes de l’entraîneur à la lettre, on obtient généralement de bons résultats.

 » LE BUT D’EDER EN FINALE NE NOUS A PAS SURPRIS  »

Dans l’histoire du football portugais, on recense de nombreux attaquants légendaires, mais vous avez joué sans un véritable numéro ‘9’.

NANI : C’est vrai. Mais le football a beaucoup changé et il n’est plus nécessaire d’avoir un avant-centre type pour marquer des buts. Les joueurs de notre équipe sont très polyvalents et très mobiles, c’est un avantage que d’autres équipes ne possédaient pas.

Le paradoxe veut que ce soit l’unique attaquant de pointe de votre sélection qui vous a offert le trophée. Quel genre de joueur est Éder ?

NANI : Il est très calme et s’est très bien intégré au groupe. On savait tous qu’il allait encore jouer un rôle durant le tournoi. On le voyait à l’oeuvre à l’entraînement, où il marquait les yeux fermés. Son but en finale ne nous a donc pas surpris.

Ton sourire, lors du but, était aussi le sourire de tout le Portugal, un pays qui n’a pas eu beaucoup l’occasion de s’enthousiasmer, ces dernières années.

NANI : Pour notre pays, cette victoire à l’EURO est fantastique. Elle a eu des répercussions positives dans tous les domaines. Pour notre fierté, l’image que nous avons de nous, la vie quotidienne des ouvriers, c’est un rayon de soleil… Enfin, nous avons pu démontrer que ce pays était capable de réaliser quelque chose de bien. Depuis l’été dernier, de nombreuses personnes croient beaucoup plus en elles.

Le Portugal s’est débarrassé de ses complexes ?

NANI : Oui, énormément. Pendant de longues années, on n’a rien gagné et on devait assister, impuissants, aux victoires des autres. On n’existait pas. Et, subitement, on est devenu le pays dont tout le monde parle. Ça a rendu tout le monde fier.

 » ON AVAIT L’IMPRESSION DE JOUER À DOMICILE  »

Et cet événement s’est passé à Paris, la ville qui compte le plus de Portugais en dehors de Lisbonne. Vous avez fêté leur présence, d’une manière ou d’une autre, durant le tournoi ?

NANI : On avait l’impression de jouer à domicile. De nombreuses personnes nous attendaient devant l’entrée de notre hôtel, et nous ont transmis une énergie positive. C’est important. Dans les stades, on sentait le souffle de nos supporters, qui n’ont jamais cessé de chanter. On doit aussi ce titre à tous ces gens qui attendaient, en pleurant, une photo ou un autographe de notre part.

Tu as terminé la finale avec le brassard de capitaine. Tu l’as porté à partir de la 25e minute, lorsque Cristiano Ronaldo a dû sortir sur blessure. Tu as eu quel sentiment, à ce moment ?

NANI : J’ai surtout regretté la sortie de Cristiano. Notre capitaine qui doit abandonner le navire : c’était triste. Cristano est un ami et un collègue, et on connaît tous son importance pour l’équipe. Il est très ambitieux. Et c’est toujours utile d’avoir, à ses côtés dans l’équipe, un homme qui veut tout gagner. Ça a été un dur moment pour nous et pour tout le pays. La manière dont il a quitté le terrain, en larmes… c’est triste. Mais, d’un autre côté, ses larmes nous ont donné de la force, elles nous ont donné l’énergie pour nous transcender et rétablir une situation injuste.

C’est ça qui vous a donné la force pour croire en la victoire ?

NANI : Oui, bien sûr, car Cristiano était le seul qui était déjà présent lors de la finale de l’EURO 2004 (lorsque le Portugal s’est incliné 0-1 à domicile face à la Grèce, ndlr). On a joué pour lui, on a donné tout ce qu’on avait dans le ventre. Et, au fil du match, alors qu’on n’était pas mis en difficultés, on a commencé à croire en nos chances.

Dans ce tournoi, tu estimes t’être montré plus décisif que précédemment ?

NANI : Oui, c’est possible. Lorsque je regarde dans le rétroviseur, c’est effectivement le sentiment qui domine. Je savais que j’étais un joueur important pour l’équipe. Pas tellement en raison de mon expérience, mais surtout en raison du rôle important que l’entraîneur m’a confié. Je devais défendre, attaquer, apporter un soutien, animer le jeu, inscrire des buts et délivrer des assists. Tout ce que j’ai fait s’est révélé important pour l’équipe. Donc, je suis très content.

 » JE SUIS CAPABLE DE TOUT FAIRE  »

C’est au Real Massamá, un club d’Amadora, que tu as commencé ta carrière. Qu’est-ce que tu dois à ce club ?

NANI : Presque tout. Ce club a été important pour ma formation, mais aussi dans d’autres domaines. Il m’a, par exemple, aidé pour obtenir les documents nécessaires à l’obtention de la nationalité portugaise.

Les deux grands clubs de Lisbonne, Benfica et le Sporting, se sont intéressés à toi. Pourquoi as-tu opté pour le second ?

NANI : Je me suis entraîné avec les deux clubs. Un jour avec Benfica, le lendemain avec le Sporting. Cette alternance s’est poursuivie un moment. Mais l’offre du Sporting était plus concrète, et comme j’y comptais quelques amis, je n’ai pas hésité longtemps. J’avais 17 ans.

Entre-temps, tu as atteint la trentaine. Dans quelle mesure ton jeu a-t-il évolué ?

NANI : En premier lieu, je suis désormais un joueur plus complet, capable de tout faire. J’ai appris à ne pas me précipiter, à choisir le bon moment pour réaliser une action décisive. Je me considère encore comme un jeune footballeur. Je me sens capable de jouer encore quelques années. J’ai acquis de l’expérience et elle ne s’achète pas. Dans ce sport, il faut être convaincu que l’on peut encore progresser tous les jours.

Que représente Paulo Bento pour toi ?

NANI : Je l’ai connu comme entraîneur au Sporting et plus tard en équipe nationale. Il m’a beaucoup appris, mais m’a aussi formulé pas mal de reproches.

Des reproches ?

NANI : Vous savez, quand on est enfant, on est parfois distrait… Je n’avais, par exemple, pas de chaussures de football, je les louais auprès d’un copain. Le problème, c’est que j’oubliais toujours de les lui rendre. Ce n’est que lorsque le garçon se fâchait que je le faisais. Un jour, Paulo Bento m’a dit ce qu’il pensait de moi et je n’avais aucune excuse (il rit).

 » MON CLUB FAVORI, C’ÉTAIT LE BARÇA  »

Tu as toujours rêvé de jouer à Old Trafford, paraît-il. Pourquoi là et pas à Bernabéu ou à San Siro ?

NANI : Ce n’est pas tout à fait exact. Je voulais simplement jouer dans un grand club. En fait, mon club favori, c’était le Barça. Mon idole, Luis Figo, y jouait, tout comme le  » phénomène  » Ronaldo. Lorsque j’étais enfant, je ne perdais aucune miette de ses prestations. Plus tard, je suis aussi devenu un grand fan de Deco et de Ronaldinho. Lorsque je suis devenu footballeur professionnel, j’ai toujours eu l’ambition de porter le maillot d’un club de renommée mondiale, que ce soit Chelsea, le Real Madrid ou Arsenal. Mais Carlos Queiroz (à l’époque entraîneur adjoint à Manchester United, ndlr) s’est intéressé à moi, et comme Cristiano Ronaldo était déjà un RedDevil, les portes se sont ouvertes. J’ai signé en 2007, et cette saison-là, nous avons remporté le titre et la Champions League. J’ai beaucoup joué et j’ai converti mon tir au but lors de la séance à Moscou en finale (contre Chelsea, ndlr). C’est là, pour la première fois, que je me suis dit que j’avais réussi.

PAR ROGER XURIACH – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Lorsque j’étais petit, je dormais avec un pouce en bouche et mon autre main autour du ballon.  » – NANI

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