» Les joueurs veulent se remplir les poches « 

Du haut de ses quarante ans, l’Anversois jette un regard éclairé sur le présent et le passé.

Les temps sont durs pour Glen De Boeck. Après avoir engrangé les succès avec Anderlecht comme joueur et avec le Cercle Bruges en tant qu’entraîneur, l’Anversois doit composer depuis un an avec une conjoncture moins favorable. A son renvoi du Beerschot en cours de campagne passée, se sont ajoutés cette saison des débuts difficiles au Venlo VV, qui occupe les tréfonds du classement parmi l’élite du football néerlandais. L’ex-international n’en garde pas moins la foi :  » On a pris un point à domicile face à l’Ajax et au PSV. C’est la preuve qu’on a des ressources « , dit-il.

Qu’est-ce qui vous a poussé en direction de Venlo ?

Glen De Boeck : Trois semaines à peine après mon limogeage au Beerschot, ce club m’avait contacté pour remplacer son coach Jan Van Dijk. A l’époque, je n’étais toutefois pas prêt à relever ce challenge, car ma mésaventure au Kiel m’avait complètement vidé. Je ne tenais pas, non plus, à m’engager une nouvelle fois à la hâte, comme je l’avais fait chez les banlieusards anversois. A défaut d’obtenir ma signature dans l’immédiat, la direction me proposa d’effectuer une évaluation de son équipe-fanion. Je les ai visionné une demi-douzaine de fois jusqu’à la fin de la saison. Chemin faisant, j’ai reçu d’autres offres. De Charleroi, notamment. J’ai eu trois entrevues avec son président, Abbas Bayat, et je n’avais plus qu’à signer là-bas. Mais le Sporting zébré ne me disait rien qui vaille et je me suis abstenu. Avec le recul, je me dis que j’ai été bien inspiré. J’ai eu quelques touches en Grèce et à Chypre aussi, auxquelles j’ai renoncé pour des raisons familiales. Venlo était finalement la destination idéale : c’était l’assurance de goûter à une compétition étrangère, ce qui ne m’était encore jamais arrivé en vingt années de professionnalisme. Et j’avais également l’avantage appréciable de pouvoir rester fidèle à mon terroir puisque la ville frontalière hollandaise est située à une bonne heure à peine de chez moi.

Quelles étaient vos conclusions au bout de ce screening ?

Le VVV était tout sauf un collectif. Après un bon départ, une place à mi-classement après deux journées, le team a chuté de manière vertigineuse, au point de faire de la corde raide dès la mi-championnat. Pour tenter d’inverser la tendance, sept joueurs ont été embauchés sur base locative lors du mercato de janvier. Certains ont eu besoin d’un temps d’adaptation, tandis que d’autres l’ont joué solo, histoire de se mettre en évidence. Dans ces conditions, Venlo n’avait d’équipe que le nom. J’ai conseillé de procéder au grand nettoyage cet été et pas moins d’une douzaine de joueurs sont partis. Ils ont été remplacés par autant d’éléments qui, eux, présentent tous l’atout de s’être inscrits dans la durée et de faire valoir une tout autre motivation. Pour bien faire, il aurait fallu pouvoir compter sur l’un ou l’autre renfort supplémentaire en défense, car c’était le maillon faible tout au long de 2010-11 avec 79 buts encaissés au total. Mais le club n’a qu’un budget limité pour les transferts. Le PSV a investi pour 30 millions à l’intersaison. Nous sommes loin du compte. Mais ça ne nous a pas empêchés de contraindre la bande à Dries Mertens à un partage 3-3 chez nous à la mi-septembre.

 » Venlo doit se défaire de son étiquette de club-ascenseur « 

Plus tôt, dans vos installations, vous aviez réussi un autre draw fameux : 2-2 face à l’Ajax.

Nous avions entamé la compétition par un autre résultat tout aussi positif : un 0-0 face au FC Utrecht. Jusqu’ici, nous avons donc pris trois points face à des formations qui visent toutes le top-6. Les autres étaient du même tonneau comme Vitesse, le FC Twente, Heerenveen. La seule exception, c’était l’ADO La Haye, un concurrent direct, qui nous a battus 2-0. La semaine prochaine, c’est un autre grand nom qui nous attend, Feyenoord. Ensuite, nous aborderons un calendrier plus favorable avec des matches contre le RKC Waalwijk, le NAC Breda, l’Excelsior, le FC Groningen, De Graafschap et Heracles Almelo. C’est dans ces confrontations-là que nous devrons prendre absolument des points. L’objectif est de ne plus flirter avec la descente, comme il en allait souvent par le passé. Le VVV a toujours été le club-ascenseur par excellence. Il faut se défaire de cette image. La région a du potentiel, avec ses 120.000 habitants. Elle mérite d’avoir un pensionnaire de l’élite stable. Mon objectif, durant mes deux années de contrat, est d’y contribuer. A domicile, les résultats tendent à prouver que nous sommes un giant-killer. Mais en déplacement, l’équipe joue parfois de manière trop naïve. Il faut resserrer les boulons derrière sans trop toucher, pour autant, à l’inclination naturelle, portée sur l’offensive comme partout ailleurs ici aux Pays-Bas.

Le championnat néerlandais est-il si différent ?

Certains me demandent parfois si Venlo est réellement à l’étranger, dans la mesure où j’y suis à égale distance d’Anvers qu’à l’époque où j’étais à Bruges. Ma réponse est oui. Dès qu’on franchit la frontière, on aborde une autre culture footballistique. Ici, même les sans-grade jouent crânement leur chance lorsqu’ils rencontrent des formations huppées. La preuve par nos résultats. Cette approche me plaît. En Belgique, il est plutôt rare d’évoluer en 4-3-3 lorsqu’on vise le maintien.

Venlo est votre première expérience professionnelle à l’étranger. N’avez-vous jamais été tenté de vous expatrier comme joueur ?

Anderlecht, c’était l’assurance de remporter le titre une saison sur deux et de disputer chaque année une compétition européenne. J’ai eu des opportunités mais, à salaire plus ou moins identique, je me serais alors retrouvé dans des clubs qui ne jouaient ni la 1re place dans leur pays, ni la Ligue des Champions ou l’Europa League. Dès lors, le choix était vite fait. Les temps ont changé aussi. A mon époque, il y avait encore de véritables clubmen. Je songe à Olivier Doll ou Walter Baseggio, qui ont été mes équipiers au RSCA durant pas mal d’années. Aujourd’hui, cette notion a quasiment disparu. A part Olivier Deschacht, il n’y a plus personne qui porte cette étiquette au Sporting. Les mentalités ont changé également. Avant, les joueurs songeaient essentiellement à faire une belle carrière. Maintenant, ils sont surtout soucieux de se remplir les poches. A mon époque, cette perspective n’était réservée qu’à ceux qui progressaient dans la hiérarchie nationale ou internationale. Maintenant, il y a moyen de gagner royalement sa vie dans des clubs que la plupart des joueurs auraient snobé autrefois. Je songe aux représentants de la Russie profonde ou encore à ceux des pays du golfe Persique. Ces destinations ne laissent plus indifférents alors qu’elles étaient encore impensables il y a quinze ou vingt ans. Le Terek Grozny ou l’Anzi Makhachkala, c’est une réalité à laquelle je n’ai jamais été confronté.

 » Je ne vois plus les Mauves battre Manchester United ou le Real Madrid de sitôt « 

En revanche, vous vous êtes frotté au Lokomotiv Moscou. Quels souvenirs en avez-vous gardés ?

Le match aller restera à tout jamais gravé dans ma mémoire puisqu’il coïncidait avec les événements tragiques du 11 septembre 2001. On était présents physiquement sur le terrain, mais notre tête était ailleurs. Le retour sortait de l’ordinaire aussi puisqu’on a été battus 1-5 au Parc Astrid. Jamais Anderlecht n’avait subi une telle dégelée européenne sur son terrain. Avec le recul, je me dis que la rentrée dans le rang du Sporting, en Coupe d’Europe, a commencé ce jour-là. Car le club n’a plus jamais fait de perfs par la suite à ce niveau. Pour moi, 2001 aura été une année-charnière non seulement pour le RSCA mais aussi pour le football belge tout court. Je me souviens qu’on avait été particulièrement malmenés par un jeune gamin de 17 ans, Marat Izmailov. Les dirigeants avaient voulu, dans la foulée, l’attirer au stade Constant Vanden Stock. Mais il n’était déjà plus abordable sur le plan financier. Au lieu qu’un jeune Russe aboutisse chez nous, c’est finalement le contraire qui s’est produit ensuite avec l’exil de joueurs comme Nicolas Lombaerts ou, récemment, Mehdi Carcela ou Jonathan Legear. Depuis, il est clair qu’on ne joue plus, financièrement, dans la même catégorie.

Le dernier grand Anderlecht était-il celui de l’an 2000 ?

Tout à fait. Je ne vois plus de sitôt les Mauves battre Manchester United, le PSV, le Dynamo Kiev, la Lazio Rome, Leeds United et le Real Madrid, tout ça au cours d’une seule et même campagne. Mais au bout de cette saison-là, le déclin a commencé. Jan Koller, Tomasz Radzinski, Bart Goor et Didier Dheedene sont partis et Anderlecht a été pris au dépourvu. La direction voulait à tout prix engager Nenad Jestrovic et Ahmed Hossam mais elle n’a finalement obtenu que le puncheur serbe. Mido avait préféré l’Ajax Amsterdam. Le Sporting s’est rabattu sur Ode Thompson, qui n’était vraiment pas du même calibre. Et pour occuper le flanc gauche, on avait fait appel à l’Egyptien Tarek El Saïd. Un garçon qui ne s’est jamais imposé et qui est retourné au Caire après une saison à peine. Des cas pareils, le RSCA en a connu beaucoup. Pour moi, une bonne partie de la misère aura été due ces dernières années à des étrangers qui ne se sont jamais adaptés. Je pense au Brésilien Triguinho par exemple ou au Français Fabrice Ehret. A l’analyse, je remarque que les Mauves n’ont jamais été aussi forts que lorsqu’ils s’appuyaient sur des produits du club ou des éléments de valeur, venus d’ailleurs, mais qui connaissaient le championnat. La preuve par l’équipe de l’an 2000, précisément. Filip De Wilde avait fait ses classes à Beveren, Bertrand Crasson, Walter Baseggio et Alin Stoica avaient transité par Neerpede, Lorenzo Staelens et Alexandar Ilic venaient du Club Bruges, moi de Malines, Didier Dheedene et Tomasz Radzinski du Germinal Ekeren, Yves Vanderhaeghe de l’Excelsior Mouscron, Besnik Hasi et Bart Goor du Racing Genk et Jan Koller de Lokeren. Tous ces gars connaissaient la musique. Je ne comprends pas pourquoi le club n’a plus écrémé le marché pendant des années. Cette saison, il s’y est remis en recrutant à l’étranger des gars qui avaient un passé en Belgique comme Milan Jovanovic et Dieumerci Mbokani, ainsi que la star brugeoise Ronald Vargas. Je mets ma main au feu qu’Anderlecht sera champion dans ces conditions. Mais il est regrettable qu’il n’ait pas procédé de la même façon ces dernières années. Sans quoi il aurait été champion 5 fois d’affilée.

 » Au Beerschot, mes ennuis ont débuté le jour même où j’ai signé mon contrat « 

Le Sporting aurait aimé attirer Kevin De Bruyne. Mais il est impayable.

Il est financièrement hors de portée aujourd’hui, c’est vrai. Mais qu’est-ce qui empêchait le Sporting de l’acheter il y a trois ou quatre ans ? La réputation du médian de Genk n’était déjà plus à faire dans les sélections nationales de jeunes. Pourquoi ne pas l’avoir pris à ce moment, au même titre que d’autres jeunes talentueux comme Axel Witsel ou Steven Defour ? Je comprends qu’Anderlecht ne puisse pas dépenser 10 millions aujourd’hui pour des garçons de ce talent. Mais s’il les prend en catégories d’âge, il ne payera pas un euro pour eux. Ce qu’il a fait l’année passée en recrutant un autre joueur de Genk, Dennis Praet, est, à mes yeux, la voie à suivre.

Le Racing a perdu Thibaut Courtois, Eric Matoukou, Joao Carlos et Marvin Ogunjimi ces derniers mois. Le Standard, lui, s’est séparé de Steven Defour, Axel Witsel et Mehdi Carcela. N’est-ce pas le lot des clubs belges ?

Je peux admettre qu’Anderlecht n’avait pas de plan B il y a dix ans. Mais aujourd’hui, les clubs doivent quand même être plus prévoyants. Il ne fallait pas être grand clerc, à Sclessin, pour s’attendre aux départs conjugués de ces trois joueurs. Idem au Racing. Et encore ils peuvent s’estimer heureux que Kevin De Bruyne et Jelle Vossen soient restés. Pour le même prix, ils auraient fort bien pu aboutir ailleurs eux aussi.

Vos anciens complices, Frankie Vercauteren et Michel Preud’homme, ont signé respectivement à Abu Dhabi et en Arabie Saoudite. Vous vous imaginez imiter un jour leur exemple ?

Il ne faut jamais dire jamais. Tout comme on ne peut rien planifier non plus dans ce métier. En signant au Beerschot il y a un an, je pensais réellement m’inscrire dans la durée là-bas. Trois mois plus tard, c’était déjà terminé pour moi au Kiel.

Que s’est-il passé là-bas ?

Mes ennuis ont débuté le jour même où j’ai paraphé mon contrat. Je l’avais négocié avec une seule personne, Herman Kesters, et l’autre homme fort du club, Jos Verhaegen, ne l’a jamais admis. Si le clivage s’était limité à ces deux hommes, il n’y aurait pas eu de problèmes, vraisemblablement. Des notes discordantes, ça existe dans chaque club. Mais là, c’étaient toutes les composantes du club qui étaient divisées en deux : la direction, les joueurs, et même le staff médical ! Dès l’instant où c’est la foire partout, il n’est pas possible d’arriver à une cohésion sur le terrain. Je l’ai vérifié à mes dépens. Le Beerschot, c’est mon grand regret.

Il y en a d’autres ?

Il y a un autre épisode qui me chagrine toujours aujourd’hui : la tentative de putsch contre Aimé Anthuenis à Anderlecht. J’étais l’un des seuls à soutenir l’entraîneur à fond. Jusqu’au jour où la plupart, dans le vestiaire, m’ont dit qu’ils en avaient assez de lui et que j’étais prié de faire passer le message. Je me suis rendu dans son bureau et je lui ai fait part du mécontentement quasi général. Sa réaction ne s’est pas fait attendre : il a fait irruption dans la pièce occupée par les joueurs et a demandé qui voulait sa peau. Aucun doigt ne s’est levé et c’est moi qui ai porté le chapeau. Alors que si quelqu’un avait toujours pris fait et cause pour le coach, c’était bien moi. J’ai été déçu par pas mal de monde sur ce coup-là.

Vous n’en avez pas moins rebondi par la suite, comme joueur et comme coach. Le Cercle, c’était une amorce idéale ?

Les Vert et Noir constituent franchement une aubaine pour un coach qui débute dans le métier. Georges Leekens en avait déjà fait l’expérience il y a un quart de siècle et, à présent, c’est Bob Peeters qui fait figure de coming man dans le métier. Le Cercle a de tous temps respiré la sérénité. C’était déjà le cas avec l’ancien président, Paul Ducheyne, et il en est toujours ainsi, aujourd’hui, avec Frans Schotte. Je dis et je maintiens que s’il règne une entente dans les hautes sphères du club, elle sera perceptible aussi au niveau de l’équipe. Au Beerschot, on était loin de ce topo. La zizanie régnait partout. Voilà pourquoi tout y a foiré.

PAR BRUNO GOVERS

 » La notion de clubman a complètement disparu aujourd’hui « 

 » Je regrette la tentative de putsch contre Aimé Anthuenis « 

 » Les Mauves étaient forts lorsqu’ils s’appuyaient sur des Belges « 

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