© ÉMILIEN HOFMAN

 » LES ISLANDAIS NE PRENNENT PAS DE RISQUE AVEC LES TROLLS « 

Au départ, le passage de Jonathan Hendrickx en Islande devait être furtif. Finalement, il y est resté trois saisons. Le temps pour lui de prendre de l’expérience tout en s’immergeant totalement dans la culture d’un pays où glaciers, trolls, neige, sexe et bière font bon ménage. Témoignage.

Le terrain de golf d’Hafnarfjörður a un côté chimérique. Sur la gauche, une chaîne de montagnes. Devant, la mer, intrépide. Au sol, ces champs de lave lunaire. Tout autour, un vent qui souffle sans relâche pour prouver que l’hiver n’est pas fini. Sur la droite, une dizaine de cabanes de pêcheurs tentent tant bien que mal de préserver le côté traditionnel du patelin avec leurs tôles qui mélangent sans structure des teintes vertes, bleues, blanches et rouges.

Pourtant, derrière, l’industrie a pris le dessus. Il faut dire que cette bourgade de 25.000 habitants est le premier point commercial du pays en termes de produits de la pêche. Ce développement économique a d’ailleurs poussé les autorités à créer de nouveaux quartiers en dehors du centre-ville pour accueillir une population toujours grandissante.

C’est dans un de ceux-ci, le Mosahlid – d’où on devine via une nouvelle montagne les prémisses de la magnifique réserve naturelle de Reykjanesfolkvangur – que Jonathan Hendrickx (23 ans) est installé. Cela fait près de trois ans que le Liégo-Namuro-Brabançon formé au Standard de Liège a émigré en Islande.

En pleine préparation du futur championnat, Jonathan reçoit chez lui, tranquillement posé dans son divan. En short. Et avec des dizaines d’histoires à dévoiler sur son pays d’adoption… Avant de revenir s’imposer en Europe occidentale ?

Près de dix ans avant l’Islande, tu as connu un premier éloignement familial en signant au Standard de Liège. Comment l’as-tu vécu ?

JONATHAN HENDRICKX : Je suis rentré à l’internat à 12 ans. Les 3-4 premiers mois ont été très difficiles, c’est là que j’ai senti que j’étais fort attaché à ma famille. Mais après la période d’adaptation, je pense que les mois suivants ont été les plus beaux de ma jeunesse. On a pu faire quelques belles conneries. Je me souviens que lors d’un des derniers repas avant les vacances de Noël, Clint Alliet (ex-Malines, ndlr) s’était amusé à écrire « Joyeux Noël ! » avec de la mayonnaise sur toutes les fenêtres du réfectoire. Quand l’éducateur a demandé qui avait fait ça, il a répondu « C’est pas moi ! » en levant la main dans laquelle il tenait le pot de mayo (rires).

Tu es de 1993, comme Michy Batshuayi. Tu es rentré en même temps que lui en équipe première ?

HENDRICKX : Avant lui, même. J’ai fait mes premiers entraînements sous Dominique D’Onofrio quand j’avais 16 ans. À ce moment-là, je savais qu’au niveau maturité physique, j’étais très loin des autres. J’évoluais d’ailleurs en équipe nationale « future », qui regroupe les jeunes qui ont un retard physique. J’ai joué pendant deux ans avec les U21 liégeois où militaient aussi Ezekiel, Batshuayi, Mpoku, Nacho… et puis José Riga m’a intégré dans le noyau A et m’a même repris en 1/16e de finale d’Europa League contre le Wisla Cracovie.

Qu’est-ce qui explique que ton compteur soit resté bloqué à une sélection chez les Rouches ?

HENDRICKX : À cette époque-là, Regi (Goreux, ndlr) venait de revenir et Daniel Opare était le titulaire. J’étais donc le troisième choix. J’aurais pu revendiquer plus, mais Jean-François De Sart, alors directeur sportif, croyait plus en certains joueurs… et imposait ses directives à Riga. Et puis, j’ai aussi pris la décision de partir plutôt que de rester un an supplémentaire au Standard où j’aurais joué avec la réserve, les week-ends. J’ai donc signé au Fortuna Sittard, ce qui m’a permis de jouer près d’une cinquantaine de matchs avec des adultes. Deux ans plus tard, j’avais plus d’offres de l’étranger que de Belgique : il y avait notamment l’Atlético Madrid B, Perugia et le Dinamo Bucarest.

 » AVEC HAFNARFJÖRðUR, JE N’AURAIS AUCUNE CRAINTE DE JOUER CONTRE LOKEREN OU MALINES !  »

Mais tu rejoins FH Hafnarfjörður. Comment un Belge qui joue aux Pays-Bas peut-il bien être scouté par une équipe islandaise ?

HENDRICKX : Je ne suis pas sûr que les Islandais regardent le championnat des Pays-Bas. C’est surtout dû au travail d’un agent qui savait que FH cherchait un latéral droit et qui leur a fourni des vidéos de moi. Trois jours plus tard, ils confirmaient leur intérêt. Alors, je suis venu ici car je voulais voir les infrastructures et le niveau de jeu. C’était hors de question que je me retrouve champion d’Islande chaque année en gagnant tous les matchs 6-0, je n’aurais rien appris. Finalement, j’ai rapidement vu que le niveau était plus élevé que ce que pensent les gens, et je dis ça honnêtement. Je rêverais même d’affronter une équipe belge en Europa League. Je n’aurais aucune crainte de jouer contre Lokeren, Malines ou Courtrai, par exemple.

Débarquer seul dans un lieu totalement inconnu, ça ne t’a pas fait penser à l’internat ?

HENDRICKX : En arrivant au mois de juillet, j’ai directement été dans le bain vu que le championnat est décalé. Je n’ai pas vraiment eu le temps de prendre conscience du changement : on jouait tous les trois-quatre jours, on est parti en Biélorussie et en Suède pour l’Europa League… C’est quand l’intensité est retombée que je me suis rendu compte de l’ampleur de ce voyage, bien plus déroutant que l’internat. Ici, j’étais seul face à mes responsabilités. Et à 3.000 kilomètres de ma famille.

Et puis, l’hiver est arrivé…

HENDRICKX : C’était catastrophique, je ne m’attendais pas à ce choc. Par moments, c’était de la survie : tu peux te retrouver calé à 10 h du matin avec 60 centimètres de neige devant ta porte, dans le noir, avec un vent incroyable… Un jour, alors que j’étais sur la route, une tempête de neige a éclaté. J’ai fini comme tous les autres : bloqué dans un tas de neige. J’ai dû abandonner la voiture et revenir à la maison à pied. Ce jour-là, j’étais à deux doigts de craquer. Aujourd’hui, je suis habitué et le club me soutient en m’accordant des jours supplémentaires de congé en Belgique. Mais ce contexte de vie a aussi forgé mon caractère, ça m’a donné une force que je n’aurais peut-être jamais eue en restant en Belgique. À 23 ans, j’ai une énorme maturité comparé à certaines personnes plus âgées que moi.

En dehors des conditions climatiques, tu as aussi eu l’occasion de découvrir une magnifique culture…

HENDRICKX : Cascades, aurores boréales, glaciers, sources naturelles d’eau chaude, etc. J’ai vu des trucs que je n’aurai plus l’occasion de recroiser. Et puis, au niveau humain, le fait de vivre sur une île au milieu de l’océan, sans voisin à moins de deux heures de vol, a donné aux Islandais une force de caractère et d’entraide. D’où leur côté chaleureux et accueillant. Ils essaient toujours de tirer vers le haut, d’aider ceux qui sont dans le besoin – c’est pour ça qu’il y a très peu de pauvreté – et du coup il n’y a pas d’insécurité. Des exemples ? Les policiers se baladent sans arme et les gens ne ferment pas leur porte à clé la nuit. En parlant d’ouverture, c’est aussi un peuple qui n’a pas beaucoup de tabous. Le sexe est un sujet abordé très normalement ici, il n’y a d’ailleurs aucun débat sur l’homosexualité. Mais il y a tellement peu d’habitants sur l’île que le sexe peut parfois « poser problème ». Pour éviter que des gens de la même famille se reproduisent entre eux, il existe des sites internet qui dévoilent les arbres généalogiques des familles du pays.

 » APRÈS TROIS ANS ICI, ON ME VOIT DIFFÉREMMENT EN EUROPE  »

Autre particularité islandaise : les croyances.

HENDRICKX : Ils ont de vraies croyances en tout ce qui est trolls, fées, etc. J’ai toujours eu du respect pour ça, mais je n’y crois pas… même si j’ai déjà eu des moments de doute. La légende dit que les trolls sont transformés en rochers dès que le soleil se lève. Or, en me promenant dans le pays, j’ai déjà croisé sur le bord de la route des rochers qui avaient une forme humaine et même de la mousse sur la tête, comme des cheveux et de la barbe. Les autorités aussi prennent tout ça au sérieux : quand elles doivent construire une route ou un bâtiment, elles vont consulter des sortes de voyants pour être sûres que ça ne va pas gêner des trolls. Même s’ils ne savent pas prouver que ces êtres existent, les gens préfèrent ne pas prendre le risque. Et puis, ça aide aussi un peu au niveau touristique (clin d’oeil).

Au niveau foot, est-ce que tu as senti une réelle évolution personnelle depuis ton arrivée ?

HENDRICKX : M’éloigner de tout le monde uniquement pour le foot m’a donné l’occasion de m’entraîner plus et de me perfectionner en plus d’évoluer dans un environnement où on me fait confiance. C’est la première fois que j’ai pu être vraiment constant en club. Du coup, j’ai été élu Joueur de l’Année par les supporters et j’ai fait partie de l’équipe-type du championnat. Ces consécrations sont des sources de motivation supplémentaires qui permettent de regarder vers l’avant.

Il manque toujours un petit quelque chose à FH pour découvrir l’Europa League…

HENDRICKX : Ce serait historique qu’un club islandais se qualifie pour les poules d’une compétition européenne. Mais il faut investir de l’argent, ce que les clubs n’osent pas encore faire. Ils se disent que s’ils n’y arrivent pas, ils vont perdre énormément. Pourtant, si on te demande de gagner le championnat, la coupe, la supercoupe, les amicaux et d’aller en Europa League, il faut aussi s’en donner les moyens… ou snober un des objectifs.

Tu as des nouvelles de Jérémy Serwy (à FH entre 2015 et 2016) ?

HENDRICKX : Il traverse une période plus difficile au niveau footballistique. Aux dernières nouvelles, il n’a toujours pas de club. L’été dernier, il était en fin de contrat et suite à la naissance de sa fille, il a préféré revenir la voir grandir près de sa famille. Il a déjà beaucoup voyagé malgré son jeune âge. C’est peut-être aussi ça qui fait hésiter les clubs, pourtant il pourrait faire du bien à plusieurs équipes…

Tu arrives en fin de contrat dans quelques semaines. Au moment de te recruter, est-ce que les clubs calent encore à cause du mot « Islande » sur ton CV ?

HENDRICKX : Non, c’est plus une question financière. Mon club oublie parfois que ce n’est pas toujours évident de sortir 100 ou 200.000 euros pour un joueur et FH a déjà demandé jusqu’à 300.000 euros pour moi. Avec la même somme, les formations intéressées pouvaient donc aller chercher un gars qui évoluait dans un championnat plus réputé. En 2016, j’ai eu des contacts avec Saint-Trond puis Lokeren, mais ils ont décliné en voyant le prix demandé. Là je suis dans ma dernière année de contrat et le club ne peut plus espérer récupérer quoi que ce soit parce qu’ils ont été trop gourmands. Je sais qu’après trois ans ici, on me voit différemment en Europe : on sait que je suis un joueur confirmé et avec un CV correct puisque j’ai été titulaire dans une équipe deux fois championne d’Islande et presque qualifiée pour les poules de l’Europa League. On verra ce qui va se passer dans les prochains mois, mais je sais que ce sera le début d’une nouvelle expérience.

PAR ÉMILIEN HOFMAN EN ISLANDE – PHOTOS ÉMILIEN HOFMAN

 » Il n’y a pas d’insécurité. Les policiers se baladent sans arme et les gens ne ferment pas leur porte à clé la nuit.  » JONATHAN HENDRICKX

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