Les intrigues du Soulier d’Or

Créé en 1954, le plus célèbre trophée de notre football a toujours suscité envies, jalousies et coups fourrés. Les couronnements n’ont pas toujours été basés sur le seul mérite.

L’élection du Soulier d’Or a- t-elle parfois été bidouillée par une partie de ceux qui votent ? Cette question revient chaque année sur le tapis. Ce monument unique s’est toujours nourri d’une lumière bien méritée mais, hélas, parfois aussi d’obscurité.

Wesley Sonck a récemment répondu à notre interrogation en expliquant sa préférence dans les colonnes du journal organisateur, Het Laatste Nieuws :  » Thibaut Courtois doit gagner ! Moi, j’accorderais des points à des joueurs ne pouvant pas l’inquiéter.  » Un connaisseur comme lui, et qui votera quand il aura mis un terme à sa carrière, aurait donc écarté Matias Suarez, Guillaume Gillet, Sinan Bolat, etc. Pas un point pour eux car ils pourraient griller l’ancien gardien de but de Genk dans la dernière ligne droite !

Par manque d’éthique sportive, le petit Sonck fausserait le jeu, dévaluerait sans hésiter une seconde l’or de la plus belle chaussure qui soit. C’est inquiétant, nulle et antisportive comme attitude mais combien de votants n’agissent-ils pas de la même façon depuis des années ? A commencer par ces journalistes qui poussent prioritairement les joueurs des clubs qu’ils suivent habituellement… Et avant d’être écartés du vote, de nombreux dirigeants n’ont-ils pas opté que pour les joueurs de leur club ? Constant Vanden Stock, lui, ne désignait jamais un des siens et cela coûta un sacre à Luc Nilis. C’était l’exception qui confirmait la règle, hélas, trois fois hélas.

Soyons clairs : une poignée seulement de bulletins mal intentionnés peut changer le cours de l’histoire. Et expliquer en partie les absences incompréhensibles au palmarès du Soulier d’Or de Louis Carré, Denis Houf,Laurent Verbiest, Jef Mermans, RogerClaessen, Nicolas Dewalque, Raoul Lambert, Ludo Coeck, René Vandereycken, JuanLozano, Georges Grün, Nilis, etc.

Ces vedettes ont parfois été prises de vitesse par des héros d’une saison, des joueurs poussés comme Lucien Olieslagers (Lierse, 1959) ou Gilles De Bilde en 1994 (Alost-Anderlecht) qui, curieusement, justifia surtout ce choix étonnant (une demi-saison en D1) après son élection. Ne serait-il pas utile de publier les votes (si pas dans un journal, où la place peut manquer, sur un site internet) pour éradiquer les pressions amicales ou intéressées, les grenouillages ou les arrangements entre amis ?

Les organisateurs y ont déjà pensé mais se sont heurtés au veto des… arbitres ! Les hommes en noir craignaient cet affichage de leurs préférences. Ridicule, évidemment et, pour le bien du Soulier d’Or, il faudrait peut-être éviter de consulter les arbitres (seuls les catégories A votent) s’ils ont peur de leur ombre. Le public a le droit de savoir qui vote pour qui.

Bref, on retiendra que le Brugeois Lambert n’avait pas la gueule de l’emploi et que Claessen (le Standarman du siècle), était trop bad boy pour les jurés bcbg de l’époque. Mais aujourd’hui, un joueur comme Roger-la-Honte cartonnerait dans tous les médias et aurait beaucoup d’or aux pieds. La qualité de la concurrence ne peut pas tout expliquer à son propos.

Le Soulier d’Or est devenu un événement télévisuel incontournable en Flandre. Les peoples de tout poil s’y fixent rendez-vous en robes de soirée et smokings. Les petits fours sont excellents et il faut surtout se montrer et exister face aux flashes des photographes et caméras derrière lesquelles se cachent plus de 1,5 millions de téléspectateurs. Big business pour la chaîne VTM qui appartient pour une moitié au groupe du journal organisateur (De Persgroep) et pour le reste à Roularta Media Group.

2009 : le cas Jova

En 2009, suite à des attaques du Laatste Nieuws jugées excessives contre Axel Witsel après l’affaire Wasyl, Sclessin décida de mettre le journal à l’index et de ne pas envoyer de délégation à la cérémonie de remise du Soulier d’Or. Cela constituait un problème pour VTM car Milan Jovanovic était cité parmi les grands favoris. L’attaquant du Standard était mal pris : pouvait-il répondre à l’invitation et se désolidariser de son club ? Non. Toute l’après-midi et en soirée, VTM remua ciel et terre, alerta tous les amis de Jova pour le faire changer d’avis. Et les médias furent mis au parfum avant le début de l’émission : Jova gagnait !

Une grappe de cameramen se dépêcha devant son domicile de la Place Saint-Lambert. Il n’était pas là mais, nerveux, ému, survolté, il avait rejoint Lucien D’Onofrio au Fil à la Pâte, un resto situé à deux pas de la Place Cathédrale où Sport/Foot Magazine le retrouva. Et c’est dans la cuisine de cet établissement que Jovanovic suivit son sacre à la télé. C’était fou, irréel mais D’Ono tenait sa revanche et paya quelques bouteilles de champagne. Jova prit finalement possession de son Soulier d’Or quelques mois plus tard au Château du Lac à Genval. C’était évidemment la première fois qu’une star faisait faux bond.

2005 : le cas Conceiçao

Les maîtres de cérémonie tremblèrent pourtant à deux autres occasions. Soulier d’Or 2005, Sergio Conceiçao patienta à Bruxelles et déferla vers le podium à la dernière minute après avoir appris la grande nouvelle. Deuxième, il ne serait probablement pas venu, ce qui n’est pas sympa, sportif ou tout simplement poli à l’égard de celui qui aurait gagné.

1995 : le cas Bodart

On ne peut pas oublier l’immense peine qui s’empara de Gilbert Bodart en 1995. Le gardien du Standard avait été remonté de justesse par le stoppeur australien du Club Bruges, Paul Okon. Une injustice flagrante dans la mesure où le kangourou avait récolté un paquet de points pour une période de l’année civile au cours de laquelle il joua peu et se consacra surtout à sa WAG et vedette du petit écran, Phaedra Hoste.

Moins bling-bling mas déterminant depuis des années au Standard, Gilberto avait eu le malheur de louper un match, Belgique-Danemark. Ses opposants tenaient un bâton pour le frapper et ne pas lui accorder cette récompense. C’était une injustice flagrante mais le Liégeois resta digne, félicita Okon et signa un grand match quelques jours plus tard au Cercle Bruges : sa réaction est restée gravée dans les mémoires.

1994 : le cas Staelens

En 1994, Lorenzo Staelens ne digéra pas le triomphe assez incompréhensible de Gilles De Bilde et son absence dans le Top 5, et jura ses grands dieux qu’on ne le reverrait plus jamais à ce bal-là. Cinq ans plus tard, son accession au panthéon du football belge fut aussi étonnante que celle du ket mauve. De Bilde avait été couronné pour sa fraîcheur et Staelens, semble-t-il, pour services rendus au football belge tout au long d’une belle et longue carrière.

La mode change sans cesse mais le bougre avait dit fermement :  » Je ne viens pas.  » Un animateur de VTM, Luk Alloo, trouva la parade :  » Et si tu ne parviens pas à rentrer chez toi, tu changeras d’avis ?  » Staelens accepta : il était pris au piège. Le jour de l’élection, Alloo emballa toute la maison de Staelens, transformée en immense boîte. Lorenzo prit finalement un hélicoptère qui le déposa au pied du podium.

1984 : le cas Scifo

Enzo Scifo était encore tout jeune. Son talent était déjà scintillant mais son avènement lui coûta cher. A partir de ce moment-là, il fut jalousé, mis sur la sellette par son équipier René Vandereycken au Mexique en 1986, régulièrement descendu ou ignoré par Rik De Saedeleer, immense commentateur sportif de la VRT.

Enzo avait-il le tort de venir de La Louvière et de prôner un trop beau jeu ? Il s’était pourtant contenté de jouer pour faire la différence.

1980 : le cas Ceulemans

Durant une longue période, on décernait cette récompense dans un restaurant bruxellois, au Vieux Berchem ou au Cygne  » à la Grand-Place. En 1980, Jan Ceulemans avait pris très tôt le chemin de la capitale qu’il ne connaissait pas bien.

Le Caje gara sa voiture quelque part entre la rue de l’Etuve et la plus belle place du monde. Il patienta durant de longues heures dans son automobile avant d’apprendre la nouvelle en écoutant les infos à la radio : c’était bon, il pouvait se rendre au Cygne, la Grand-Place et le Soulier n’attendaient que lui.

1978 : le cas Pfaff

Sacré Jean-Marie Pfaff ! Indiscutable et brillant portier de Beveren, Zean-Marie fit la tournée des popotes, caressa les journalistes dans le sens du poil et organisa mieux sa campagne électorale que Barack Obama. Mais il aurait été porté aux cieux sans cela et son show était plus que déplacé.

1976 : le cas Rensenbrink

Johan Boskamp (RWDM) avait innové en devenant le premier joueur étranger à figurer en tête de liste en 1975. Une juste sanction mais pourquoi l’Anderlechtois Robby Rensenbrink a-t-il dû attendre 1976 pour chausser le Soulier d’Or ? Mystères et boules de gomme…

1964 : le cas Puis

A Anderlecht, Paul Van Himst, le meilleur joueur belge de tous les temps, s’est offert quatre Souliers d’Or. Wilfried Puis un en 1964. Jan Pulinx du Laaste Nieuws frappa un jour de semaine à la porte du vestiaire que le coach, Pierre Sinibaldi, ouvrit :  » Excusez-moi, mais j’ai un Soulier d’Or pour Wilfried….  »

Puis n’avait pas le temps, devait s’entraîner et rangea simplement le trophée dans son armoire. Un peu plus tard, il organisa le verre de l’amitié au stade mais trois de ses équipiers seulement prirent la peine d’y assister et de le féliciter, ce que Puis ne digéra jamais.

1963 : le cas Nicolay

L’Europe joua son rôle à partir du début des années 60. Jef Jurion, magnifique milieu d’Anderlecht, gagna son surnom ( Mister Europe) et le Soulier d’Or 1962 après avoir marqué le but de la qualification (1-0, après le 3-3 de l’aller) contre le Real Madrid.

Très curieusement, il fallut attendre jusqu’en 1963 pour qu’un représentant du Standard ( Jean Nicolay) soit choisi. Les Rouches avaient pourtant déjà gagné des titres et des matches européens. Pour célébrer son succès, Nicolay demanda à la secrétaire du Standard de mettre quelques bouteilles au frais. Et Nico sabra le champagne avec ses équipiers après l’entraînement. A la fin du mois, son fixe piqua du nez et le patron de Sclessin Roger Petit lui expliqua :  » Mais c’est normal, Jean, j’ai déduit le prix du Moët et Chandon « .

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Jean-Marie Pfaff organisa mieux sa campagne électorale que Barack Obama

Lorenzo Staelens retrouva sa maison emballée et prit un hélicoptère pour aller chercher son Soulier d’Or

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