Les inséparables

Sous-estimés au départ, les deux milieux de terrain sont des pièces maîtresses de l’équipe limbourgeoise

Ils ne sont pas ce que l’on appelle des joueurs flashy. Leur importance n’apparaît pas au premier coup d’£il pour le grand public. Pourtant, leur rôle est essentiel. Sans eux, Genk ne pourrait pas pratiquer le système de jeu qui fait sa force, avec deux flancs très offensifs et un duo d’attaquants performants qui ne doivent pas trop se soucier de leur tâche de récupération. La complicité qui unit Wouter Vrancken (28 ans, ex-Tongres, Saint-Trond et Gand) et Wim De Decker (24 ans, ex-Beveren, Gand et Germinal Beerschot) est perceptible jusqu’à l’extérieur du stade. Chacun s’en aperçoit, comme cette supportrice qui vient interrompre l’interview pour demander un autographe en lançant :  » On dirait que vous êtes amoureux l’un de l’autre « . Ce qui fait s’esclaffer les deux joueurs. A quelques jours du choc du championnat contre Anderlecht, ils ont analysé la saison de leur équipe.

Vous avez déjà affronté le Sporting à deux reprises : une victoire 1-4 au Parc Astrid en championnat et une défaite 0-1 au stade Fenix en Coupe. Quels enseignements pouvez-vous en tirer ?

De Decker : La victoire en championnat s’est dessinée dans les premières minutes : nous avons très rapidement mené 0-2 et ces deux buts ont conditionné la suite. Le match de Coupe, mercredi passé, s’est déroulé dans un tout autre contexte. Nous avons attaqué dès le départ, afin d’essayer de faire la différence. Anderlecht, sachant qu’il y avait un match retour, pouvait se contenter de gérer et de procéder en contres. Dimanche prochain, ce ne sera plus le cas : les Bruxellois devront venir pour gagner.

Vrancken : D’accord avec Wim. J’ajouterai qu’au Parc Astrid, dans les moments de turbulence que nous avons rencontrés à 1-2, nous avons laissé transparaître la solidarité qui fait la force de l’équipe.

Des critiques salutaires

Vous êtes tous les deux nouveaux dans l’équipe. Quelle était, la saison dernière, l’image que vous aviez de Genk ?

Vrancken : Je savais qu’il y avait de très bons joueurs et un gros potentiel. Ce n’est pas un hasard si j’ai quitté Gand pour le Limbourg : malgré la 4e place conquise l’an passé avec les Buffalos, je savais que je franchirais un palier en signant à Genk. Mais, vu de l’extérieur, j’avais l’impression qu’il n’y avait pas de véritable bloc sur le terrain. Cette saison, c’est tout à fait différent. Lorsque le moteur ne tourne pas à plein régime, on peut toujours se reposer sur certaines bases. Chacun connaît le rôle précis qui lui a été attribué.

DeDecker : Je partage l’avis de Wouter : le collectif n’était pas encore présent la saison dernière. Cette saison, la force de Genk réside dans le parfait équilibre qui unit toutes les composantes de l’équipe.

Genk a toujours été redoutable à domicile. La différence, par rapport à la saison dernière, se marque-t-elle surtout en déplacement ?

Vrancken : A domicile, avec l’appui de son public, Genk restera toujours redoutable. En déplacement, on est sans doute devenu plus réaliste. Avec l’ambiance qui règne dans le groupe, on se serre plus facilement les coudes.

DeDecker : Les deux saisons sont difficilement comparables. Il y a beaucoup de nouveaux joueurs. Certes, l’équipe n’a pas été entièrement renouvelée, mais tout l’axe central est neuf : depuis le gardien Logan Bailly, jusqu’à l’attaquant Ivan Bosnjak (avant sa blessure), en passant par le défenseur central Jean-Philippe Caillet et nous deux. On a aussi pris conscience de la force de l’équipe et on ne ressent plus l’obligation de s’adapter à l’adversaire. On l’a fait une fois cette saison, lors du déplacement à Charleroi où l’on a joué avec cinq défenseurs, et cela a tourné à la catastrophe : 4-1.

A Roulers aussi, vous vous étiez adaptés à l’adversaire : vous aviez abandonné votre 4-4-2 traditionnel pour évoluer en 4-5-1.

DeDecker : C’est exact, mais le changement était moins radical : l’entrejeu était un peu renforcé et on avait modifié l’animation offensive, mais on avait conservé le quatre arrière. Lorsqu’on veut modifier le système défensif, il faut s’y entraîner pendant des semaines. Avant le déplacement à Charleroi, on s’y était seulement entraîné pendant quelques jours. C’était insuffisant.

Vrancken : Lorsqu’on possède une équipe de qualité, il faut jouer en fonction de ses propres forces. C’est plutôt à l’adversaire à s’adapter à nous.

DeDecker : Cela vaut même lorsqu’on affronte des grands : lors des déplacements à Anderlecht et au Standard, on a conservé notre système habituel, et on a vu le résultat. Certes, on a été battus à Sclessin, mais en livrant une prestation convaincante.

La période de préparation calamiteuse avait engendré les pires craintes. Etiez-vous inquiets ?

Vrancken : Non. Je suis toujours parti du principe que la préparation est faite pour… se préparer. Avec le recul, on peut même dire que les critiques ont soudé le groupe. Des articles très négatifs avaient été publiés, dont des révélations provenant d’un joueur anonyme décrivant l’ambiance infecte qui régnait dans le groupe. On a mené une petite enquête interne, sans réellement découvrir qui était la taupe. On est allé trouver l’entraîneur, pour lui expliquer quel était l’état d’esprit réel. Et on a fait bloc. On a voulu démontrer que le monde extérieur se trompait.

De Decker : Mais il faut reconnaître que la victoire contre Zulte Waregem, lors du premier match de championnat, a provoqué un déclic. Car, en cas de contre-performance, le doute se serait véritablement installé.

Vrancken : Ce doute commençait à naître, en effet, mais d’un autre côté, lorsque la période de préparation se déroule sans anicroches, on ne met pas le doigt sur les lacunes. Cette saison, on a pu, juste à temps, corriger ce qui n’allait pas.

Un médian horizontal et un médian vertical

A votre égard aussi, le doute était perceptible.

DeDecker : L’entraîneur et la direction n’ont jamais douté de nous. Les craintes provenaient surtout du grand public et de prétendus connaisseurs.

Vrancken : A chaque interview, la même question revenait : – N’êtesvouspasdeuxjoueursdumêmetype ? Pour beaucoup de gens, on était davantage concurrents que complémentaires. Ajoutez à cela le départ de Koen Daerden et de Steven Defour, et les conclusions étaient vite tirées : l’entrejeu de Genk ne ferait jamais le poids. Aujourd’hui, les opinions ont changé. Entre nous, on a su directement que cela marcherait. Dès les premiers matches, on s’est compris : l’un n’a jamais marché sur les pieds de l’autre, on connaissait exactement notre tâche.

DeDecker : En fait, le jeu de Wouter est plus vertical, et le mien plus horizontal.

Recevez-vous maintenant une reconnaissance longtemps refusée ?

Vrancken : J’ai toujours joué en fonction de l’équipe et je crois c’est le cas de Wim également. Je n’ai jamais accordé trop d’importance à ce que l’on pensait de moi, à partir du moment où l’équipe gagne. Malgré tout, cela fait plaisir lorsque j’entends des compliments de la part de Roger Vanden Stock – le président du plus grand club du pays – alors qu’en début de saison, on me demandait : – Qu’estcequ’unancienjoueurdeSaintTrondvientfaire àGenk ? La rivalité entre les deux clubs limbourgeois est grande et j’ai débarqué avec un préjugé défavorable. Etre arrivé à faire taire mes détracteurs est une belle victoire. Aujourd’hui, dans un rôle un peu plus offensif, je parviens à m’exprimer davantage, mais le rôle de Wim est tout aussi important. On l’a parfois considéré comme la souris grise, parce qu’il passe inaperçu. Mais, lorsqu’il jouait au Germinal Beerschot, Marc Brys a un jour déclaré : -Moins on le voit, mieux il joue !

DeDecker : Exact, je m’en souviens. De par ma position, je me mets moins en évidence qu’un attaquant ou un ailier, mais depuis que je joue à Genk, j’ai l’impression qu’on commence à se rendre compte de mon utilité. Et de ma complémentarité avec Wouter. En fait, on se coache nous-même. Il y a eu des matches où l’entraîneur nous a demandé de jouer l’un à côté de l’autre, mais j’ai répondu à Wouter : – Jepréfèrequandmêmequeturestesunpeudevantmoi ! Je dois pouvoir jouer à l’essuie-glace devant la défense, et lorsqu’on joue sur la même ligne, Wouter et moi, mes déplacements latéraux sont un peu entravés.

Il y a tout de même eu une période où cela fonctionnait moins bien ?

DeDecker : Juste avant le Nouvel An, oui. Cette baisse de régime temporaire était inévitable : aucune équipe ne peut carburer à plein régime pendant toute la saison.

Vrancken : La période creuse a coïncidé avec la blessure d’Ivan Bosnjak. Chacun pensait, alors, que le château de cartes allait s’effondrer et que Genk rentrerait dans le rang. Mais on a eu la chance que Faris Haroun prenne le relais avec bonheur, dans un système de jeu un peu différent, en 4-4-1-1. Aujourd’hui, on s’aperçoit que Faris était peut-être, tout simplement, le chaînon manquant. Je me demande si l’on n’est pas plus fort avec lui.

DeDecker : L’éclosion de Faris fut une surprise pour beaucoup, mais pas pour nous, car à l’entraînement, il figurait depuis longtemps parmi les meilleurs. Et le fait qu’on soit parvenu à rester aussi compétitif qu’avant, dans une occupation de terrain légèrement modifiée, a redonné confiance au groupe : on n’était pas aussi fragiles que certains le pensaient.

Aujourd’hui, quelle est pour vous le véritable point fort de Genk ?

Vrancken : J’en vois deux : l’ambiance dans le groupe et le collectif. Lorsqu’on évoque Genk, rares sont ceux qui mettent en avant l’une ou l’autre individualité. On parle de l’équipe.

DeDecker : Personnellement, je n’en démords pas : l’équilibre qui prévaut dans cette équipe constitue la plus grande force. Cet équilibre est très important dans un sport collectif.

Peut-on y ajouter l’apport des flancs ? Et le fait que, dans chaque portion de terrain, vous pouvez compter sur des duos complémentaires : à gauche, à droite, au milieu, devant et derrière ?

DeDecker : Tout à fait, mais c’est aussi ce que j’entends par une équipe équilibrée : les flancs ne pourraient pas se montrer aussi offensifs s’ils n’avaient pas la certitude qu’ils étaient couverts en cas de perte de balle.

Vrancken : Beaucoup d’observateurs neutres insistent sur le fait que Genk pratique un très beau football. Je considère cela comme un fameux compliment.

Moins d’expérience, mais plus d’enthousiasme

Par votre présence, vous contribuez largement à cet équilibre.

DeDecker : Nous occupons une position centrale, et à partir de là, c’est plus facile de diriger.

Vrancken : On ne s’en prive pas, mais nos remarques sont bien acceptées, et c’est aussi un facteur important. On peut crier sur un partenaire sans que celui-ci ne se vexe : il sait que c’est pour le bien de la collectivité. Chacun monte sur le terrain avec enthousiasme, que ce soit pour un match ou pour un entraînement. Et on est aussi motivé lorsqu’on affronte le Cercle Bruges que contre Anderlecht ou le Standard.

On chuchote qu’à l’entraînement, il vous est arrivé de tackler assez sévèrement Jaja Coelho ?

Vrancken : Lorsqu’un nouveau joueur arrive, il doit se mettre au diapason du groupe. Démontrer, tant à l’entraînement qu’en match, qu’il est prêt à travailler autant que les autres. On n’a pas toujours eu cette impression avec Jaja. J’accepte facilement qu’un joueur traverse une mauvaise période, qu’il adresse de mauvaises passes ou qu’il ne cadre pas ses tirs, mais pas qu’il se comporte en touriste.

Kevin Vandenbergh ne se montre-t-il pas, lui aussi, lymphatique ?

Vrancken : Beaucoup de gens ont une fausse image de Kevin. Il a son style, mais n’est pas un tire-au-flanc et se sent très concerné par le bon fonctionnement de l’équipe. On pense aussi qu’il boude tout le temps. Lorsqu’il est resté sur le banc contre Roulers, alors que Hugo Broos avait introduit le jeune Jelle Vossen, on pensait que Kevin allait exploser. Pas du tout : il est resté très calme.

Quel est, alors, le point faible de Genk ?

Vrancken : Peut-être le fait qu’on possède moins de joueurs capables de forcer la décision sur une action individuelle. Mais on compense cette lacune par une plus grande force collective.

DeDecker : Peut-être l’expérience, aussi. Mais là, on compense par l’enthousiasme de la jeunesse.

L’objectif du début de saison est atteint

Aujourd’hui, Genk est-il ouvertement candidat au titre ?

Vrancken : C’est ce qui apparaît dans les déclarations. En ce qui nous concerne, nous n’avons jamais douté, mais on a toujours douté de nous. Après la période de préparation, on se demandait si Genk était prêt pour le championnat. Or, s’il y avait une équipe qui était prête, c’était bien Genk. Puis, lorsqu’on a engrangé quelques victoires, on se disait dit qu’on allait s’effondrer à la première défaite. Ou qu’on perdrait le match si l’on se retrouvait mené, ce qui n’est pas arrivé souvent. On a démontré le contraire : on s’est très bien repris après les défaites à Charleroi et au Standard.

DeDecker : Cette force de caractère a été démontrée pour la première fois lors du match à Anderlecht. On a fait le dos rond lorsqu’on a été mis sous pression. Et on n’a pas craqué. Après cette victoire à Anderlecht, on a tous pris conscience qu’on pouvait terminer en très bonne position. On ne songeait pas encore au titre. Cela peut paraître surprenant, mais on a toujours envisagé l’avenir match par match. Jusqu’à la victoire à Gand. Aujourd’hui, c’est clair, on ne peut plus se cacher.

Le ticket européen semble déjà assuré, car il y a peu de chances que Gand et Bruges reviennent. Est-ce un soulagement, étant donné que l’objectif du début de saison est déjà atteint ?

DeDecker : Sans aucun doute, cela permettra de continuer le championnat de façon plus libérée.

par daniel devos – photos: reporters/beddegenoodts

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