« LES INDIVIDUALITÉS ONT FAIT LA DIFFÉRENCE »

Emilio Ferrera ne croit pas à une hégémonie du Real Madrid et est confiant en l’avenir du Bayer Leverkusen.

Conformément à la logique, le Real Madrid s’est imposé face au Bayer Leverkusen. Mais non sans mal…

Emilio Ferrera: Si la finale s’était déroulée en deux manches, comme en Coupe de l’UEFA autrefois, je n’aurais pas accordé la moindre chance aux footballeurs allemands. Dans le passé, d’ailleurs, les deux teams s’étaient rencontrés à deux reprises en cours de compétition et, par deux fois, les Madrilènes avaient émergé sur l’ensemble de ces matches: 1-1 et 3-0 en 1997-98; 2-3 et 5-3 en 2000-2001. Mais une apothéose sur terrain neutre, c’est différent. Et le Bayer Leverkusen en a fourni la preuve en gênant résolument le Real grâce à un pressing haut. Son entraîneur, Klaus Topmöller, a parfaitement compris que s’il voulait avoir une chance de s’imposer, il ne pouvait absolument pas permettre aux Madrilènes de développer leur jeu construit avec un ballon transitant par les différents secteurs. L’arrière-garde des Merengue a dû souvent parer au plus pressé dans ses passes avec un déchet impressionnant à ce niveau.

Durant les 20 premières minutes, le ballon est souvent revenu comme un boomerang et, ce n’est pas un hasard si le médian récupérateur Claude Makélélé vola la vedette. Le Real a vraiment eu la chance, à ce moment-là, d’ouvrir le score sur sa première escarmouche digne de ce nom, grâce à la fébrilité incroyable du gardien adverse. Et alors qu’il était à nouveau malmené, en fin de première période, il a bénéficié d’un autre cadeau du ciel sous la forme du deuxième but, inscrit par Zinedine Zidane. Les Espagnols ont fait la différence par leurs individualités qui ont trouvé le moyen de conférer un plus à leur équipe. Et c’était là, précisément, la différence avec le Bayer Leverkusen, chez qui il aura manqué d’un rien qu’un Michaël Ballack ou un Oliver Neuville tirent d’une même manière la couverture à eux.

Oliver Neuville était l’un des hommes en vue du côté allemand en début de partie. Mais il s’est complètement éteint dès l’instant où Dimitar Berbatov est monté au jeu. Ce changement était-il réellement pertinent?

A mon sens, oui. Après que le Bayer Leverkusen fut revenu au score et ait à nouveau assuré sa domination, son coach a vraisemblablement senti que c’était le moment ou jamais d’exercer une pression plus forte encore sur l’adversaire. Et les Allemands eurent la plupart du temps l’ascendant dans le jeu. Dommage pour eux qu’ils n’aient pas pu traduire cette domination par un nouveau but, auquel cas ils auraient été sur le velours. En lieu et place, le goal remarquable de Zidane les aura tués.

Le Bayer était engagé dans une course-poursuite, comme après le premier but mais sans les mêmes ressources qu’en début de match. Pendant une grosse demi-heure, le Real Madrid a alors géré tranquillement les opérations avant de se replier de façon tout à fait inconsidérée en fin de rencontre. Il est heureux qu’ils aient pu compter sur deux arrêts-réflexes d’Iker Casillas au cours de ce laps de temps, sans quoi tout eût été à refaire pour eux.

Il aura fréquemment été question des gardiens tout au long de cette Ligue des Champions…

C’est vrai. S’il y a eu une constante, du début à la fin de cette épreuve, c’est la faiblesse incroyable des keepers. Même les monstres sacrés n’ont pas été à la hauteur: Fabien Barthez, de Manchester United, s’est fait surprendre à deux reprises comme un débutant face à La Corogne, et Oliver Kahn, du Bayern Munich, n’était pas vraiment plus inspiré face au Real Madrid, en quarts de finale. Jusqu’à ce stade de l’épreuve, c’est le Polonais Jurek Dudek, du FC Liverpool, qui m’avait fait la meilleure impression. Mais il s’est à son tour blousé face au Bayer Leverkusen. A mes yeux, il y a manifestement un problème concernant l’évolution des keepers. Dans chaque secteur du jeu, les joueurs ont dû s’adapter en fonction des nouvelles exigences: les défenseurs en sortant judicieusement de leur ligne pour créer le surnombre dans l’entrejeu; les médians en devenant des joueurs all-round, défendant et attaquant tour à tour, et les attaquants en prêtant main forte à leurs coéquipiers dans le travail de récupération du ballon. Vu l’évolution des règles, les portiers ont dû apprendre eux aussi à participer davantage au jeu. Pourtant, bien peu maîtrisent toutes les facettes du métier. Je n’en veux pour preuve que le Real Madrid où Iker Casillas est intraitable sur sa ligne mais exécrable dans les sorties aériennes et où Cesar présente les qualités inverses. C’est quand même incroyable qu’à ce niveau, il n’y ait pas de gardien complet. Quant au but pris par Hans-Jörg Butt, il est vraiment digne d’un épisode des comedy capers.

Zinedine Zidane a été sacré homme du match. A raison?

Rien que pour son but d’anthologie, il mérite cette désignation. Pour le reste, il n’a peut-être pas été aussi saignant qu’à l’ordinaire. Mais n’est-ce pas normal quand on avait déjà 64 matches dans les jambes comme lui, cette saison? Une chose est sûre: son investissement aura été rentable car avant d’être primé en finale de la Ligue des Champions, il avait déjà été nommé meilleur étranger de la compétition espagnole, ce qui ne gâte rien. Pour moi, celui que je considère comme le meilleur joueur du monde est tout simplement à sa place dans la meilleure équipe du monde. J’avoue que je n’aimais guère Zizou sous le maillot de la Juventus. Ce type de football où tout le monde joue avec le frein à main ne lui convenait pas du tout. Dans un football plus ouvert, comme celui pratiqué en Espagne, le Français peut réellement exprimer toutes les facettes de son immense talent. Et, dans ce cas, il constitue un ravissement pour l’oeil.

Le Real Madrid vient de glaner son troisième trophée en Ligue des Champions en l’espace de cinq ans. Est-il parti pour une hégémonie comme à l’époque des Di Stefano, Puskas et Gento dans les années 50 et 60?

Je n’en ai pas l’impression. A cette époque, aucune équipe ne présentait autant de joueurs d’exception que le Real. Aujourd’hui, on trouve des footballeurs de choix partout. Il manque aux Madrilènes trois éléments de grand calibre pour être vraiment souverains: un dernier rempart au-dessus de tout soupçon, un leader en défense et un joueur de poids devant. Si ses dirigeants maintiennent la tradition qui veut qu’une vedette s’ajoute au groupe chaque année, un Lucio, un Crespo ou un Chevchenko s’ajouteront peut-être dans les années à venir. Mais dans le même temps, les Zinedine Zidane, Luis Figo et Roberto Carlos auront dépassé la trentaine et il faudra leur trouver des successeurs également.

Contrairement aux plus grands clubs, qui sont en mesure de conserver leurs stars, le Bayer Leverkusen risque de se retrouver démuni la saison prochaine puisqu’il devra composer sans Michaël Ballack, en partance pour le Bayern Munich et, probablement, sans Zé Roberto, Lucio et Nowotny. Est-ce le début de la fin pour ce club?

A mon avis, non. Si le Bayer Leverkusen a su dénicher des garçons comme eux, il mettra le grappin sur d’autres joueurs de valeur dans les années à venir. C’est tout le mal que je lui souhaite car Leverkusen aura franchement insufflé un vent de fraîcheur dans cette Ligue des Champions. D’ailleurs, s’il y a une leçon à retenir de cette saison européenne, c’est la métamorphose du football allemand qui, grâce à l’apport de joueurs latins, propose autre chose que de la transpiration. Car ce qui est perceptible chez le Bayer Leverkusen l’est aussi au Bayern Munich et au Borussia Dortmund. C’est un constat réjouissant. Il faudrait que l’on en prenne de la graine. Dans ce cas, c’est sûr que le football nous procurera encore pas mal de joies. (B. Govers)

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