Les hommes de sa vie

Le tank de Kinshasa feuillette l’album de sa carrière et pointe ses coups de cour, ses amis, ses ennemis,…

Ali Lukunku (31 ans), c’est… Une carcasse : 1m90, 89 kg. Un parcours chahuté : 15 clubs depuis ses premiers pas de footballeur en 1976 dans une petite équipe de Grenoble. Une marque sur le football belge : plus de 120 matches et 40 buts dans notre D1 avec le Standard, Gand et aujourd’hui Mons. Et quand on a fait deux passages chez les Rouches, connu à deux reprises l’ambiance spéciale de l’AS Monaco et bossé dans l’enfer de Galatasaray, on a forcément croisé des stars et des personnages influents. Nous lui avons demandé de dresser la liste des hommes forts de sa carrière, de ceux qui lui laisseront des souvenirs pour la vie. Et pour éliminer tout risque d’erreur et/ou omission, nous l’avons ensuite nous-mêmes complétée !

Quel est le premier grand nom que vous avez côtoyé dans le foot professionnel ?

Ali Lukunku :JEAN TIGANA. A Monaco, je me suis retrouvé sous les ordres d’un gars pour lequel j’avais eu une estime incroyable quand il était joueur. Il avait disputé des Euros, des Coupes du Monde. Et le noyau de Monaco, c’était une toute grosse cylindrée avec Victor Ikpeba, Sonny Anderson, David Trezeguet, Thierry Henry, Fabien Barthez.

Tigana était-il aussi distant qu’on le dit ?

Oui, il était très froid et très distant, mais il l’assumait. C’était volontaire, il voulait maintenir une barrière entre les joueurs et lui. J’étais plus proche de son adjoint, CLAUDE PUEL. Une bénédiction pour un jeune. Il croyait beaucoup en moi, et quand j’ai dit que je voulais quitter Monaco à cause de mon temps de jeu très limité, il m’a conseillé de rester, de m’accrocher. Mais je voulais absolument jouer et je ne voyais pas d’issue à court terme dans cette équipe qui était en pleine euphorie : le titre, la demi-finale en Ligue des Champions. Bolton, la Genoa, St-Etienne et Ajaccio me voulaient. Et c’est à ce moment-là que j’ai fait une rencontre qui a fait basculer ma carrière…

… c’est-à-dire ?

LUCIEN D’ONOFRIO. C’est Philippe Léonard qui me l’a présenté. Je n’oublierai jamais notre première rencontre : dans un grand hôtel de Monaco, celui où logeait la Juve avant sa demi-finale de Ligue des Champions. La Juventus avait été l’équipe de tous mes rêves quand j’étais gosse parce que j’ai grandi un moment en Italie. Ce jour-là, D’Onofrio m’a scié. Tous les joueurs de la Juve se sont spontanément mis en file indienne pour venir le saluer : Zinedine Zidane, Edgar Davids, Alessandro Del Piero, Filippo Inzaghi,… Il était assis à la table des dirigeants, dont le directeur sportif, Roberto Bettega, celui qui avait été une de mes idoles. J’ai gardé une image très forte de cette scène. D’Onofrio m’a expliqué qu’il y avait une nouvelle direction et beaucoup d’ambition au Standard. J’étais sceptique au départ, surtout que Monaco voulait toujours me conserver. Mais je lui ai finalement fait confiance.

Le premier personnage qui vous a marqué au Standard ?

TOMISLAV IVIC. J’en retiens du bon et du moins bon. Au début, je n’ai pas compris qu’il me transforme d’attaquant en milieu défensif. Je n’étais appelé devant qu’en dépannage. Mais j’ai finalement appris pas mal de choses dans ce rôle inédit. Ivic était très dur à l’entraînement mais nous ne parvenions pas à lui en vouloir car nous savions que c’était son côté perfectionniste qui reprenait continuellement le dessus. J’ai progressé dans un environnement où il y avait des stars internationales : André Cruz, Antonio Folha, Manuel Dimas, Robert Prosinecki. Et des joueurs qui allaient s’envoler vers de grands championnats : Joseph Yobo, Daniel Van Buyten, Ivica Mornar, Vedran Runje, Emile et Mbo Mpenza. Déjà quand Ivic était T1, je côtoyais beaucoup DOMINIQUE D’ONOFRIO, qui s’occupait des blessés. C’est à ce moment-là que j’ai appris à l’apprécier. Il compensait son manque d’expérience au plus haut niveau par une force de travail phénoménale. Je n’ai jamais compris pourquoi les supporters ne l’appréciaient pas trop quand il est devenu entraîneur principal. Il a quand même failli conduire le Standard au titre. Il me faisait souvent confiance, même quand je n’étais pas à 100 %.

 » J’ai dit à MPH que je n’étais pas un joueur d’entraînement et il a vite réagi « 

D’autres personnes qui vous ont laissé un souvenir fort au Standard ?

MICHEL PREUD’HOMME. Après Tigana, c’était mon deuxième entraîneur à avoir fait une grande carrière internationale de joueur. Quand il est arrivé en cours de saison, j’étais titulaire indiscutable et meilleur buteur du Standard. Mais lors du stage de janvier, il m’a fait comprendre que je ne jouerais plus beaucoup parce qu’il ne me voyait pas à l’entraînement. Je lui ai expliqué que je n’étais pas un joueur d’entraînement. Il m’a répondu : -C’est dommage pour toi parce que je ne te connais pas. J’ai compris le message. Lors de l’entraînement qui a suivi, je me suis défoncé. Il m’a remis directement dans l’équipe et j’y suis resté. J’ai cassé la baraque et c’est à ce moment-là qu’Anderlecht a fait le forcing pour me transférer. J’en crevais d’envie. Aimé Anthuenis et Jean Dockx me voulaient, et je pouvais retrouver la Ligue des Champions à laquelle j’avais goûté avec Monaco. Preud’homme s’est battu pour que je reste. Le jour de mon départ en vacances, alors que j’avais pratiquement mis la clé dans le démarreur, il m’a appelé et m’a demandé de patienter à Liège, le temps qu’il fasse le trajet depuis Malines. Il est venu en quatrième vitesse pour me convaincre de rester au Standard. Lors de l’été 2006, il m’a de nouveau récupéré alors que j’étais dans un sale état physique. J’avais subi une grave opération au genou et Gand m’avait licencié. Preud’homme m’a proposé d’accompagner le noyau en stage. J’ai refusé parce que je n’étais pas prêt. Directement, je me suis dit que je venais peut-être de passer à côté de ma dernière chance. Mais quelques semaines plus tard, alors que Preud’homme avait remplacé Johan Boskamp comme entraîneur, il m’a recontacté. Et là, j’ai signé.

Vous n’avez pas cru que cette blessure au genou signifiait la fin de votre carrière ?

C’était grave, oui. Mais NEBOJSA POPOVIC, le médecin du Standard, est heureusement passé par là. Encore un grand homme de ma carrière. Pourtant, nous avons eu du mal à nous entendre au début. Nous nous sommes plus d’une fois pris la tête. Comme beaucoup de footballeurs, j’avais constamment l’impression que le corps médical voulait me faire rejouer alors que je pensais ne pas être prêt. Au fil du temps, nous sommes devenus de vrais amis. Il m’a opéré d’une hernie inguinale avant de me réparer le genou. Et quand j’étais en convalescence, il passait m’apporter de la soupe… Incroyable !

Encore des noms à citer ?

ROBERT WASEIGE. Un Monsieur. Je regrette vraiment de ne pas avoir pu travailler plus longtemps avec lui. C’était un honneur pour moi de côtoyer un coach pareil. Si ça n’a pas marché pour lui au Standard, c’est sans doute parce que son discours était trop riche pour une majorité des joueurs. Je dirais la même chose d’ HENRIDEPIREUX. Lui aussi aurait mérité plus de crédit.

C’est tout ?

Non, il y a mes potes joueurs. GONZAGUE VANDOOREN : nous sommes devenus de grands amis alors que rien ne le laissait prévoir au départ. Il était arrivé au Standard sur la pointe des pieds, c’est à peine si je l’avais remarqué. Mais notre amitié a grandi au fil du temps, et depuis que je suis à Mons, je vais parfois loger chez lui à Mouscron quand je n’ai pas envie de me taper Liège. SIRAMANA DEMBELE : nous sommes devenus potes parce que nous partagions la même chambre et certaines idées. EMILE et MBO MPENZA : sans être des amis intimes, ce sont des gars que j’ai toujours appréciés et l’estime réciproque est restée intacte malgré l’éloignement. Et DANIEL KIMONI : nous n’avons jamais joué ensemble mais il m’a permis de m’intégrer à Liège. Je débarquais seul de Monaco et Philippe Léonard l’a appelé pour lui dire que je m’ennuyais. Aujourd’hui, je ne le considère pas comme un ami mais comme un frère.

Plus personne ?

Je terminerais par LE PUBLIC DU STANDARD. Une relation faite d’amour et de haine. Les supporters m’ont sifflé, certains sont même allés beaucoup plus loin que cela. Il est arrivé un moment où j’avais carrément demandé à Ivic pour ne plus jouer à domicile. Mais j’ai fini par gagner leur affection. En étant bon sur le terrain. J’ai passé six ans au Standard : nulle part ailleurs, je ne suis resté aussi longtemps. Ce club et son public m’ont marqué pour la vie.

 » Guy Roux me voulait : si j’avais signé à Auxerre, j’aurais peut-être fait une autre carrière « 

Je vais maintenant vous aiguiller vers d’autres personnes qui vous ont sûrement marqué mais que vous n’avez pas citées ! Le président de Gand qui vous a licencié alors que vous étiez gravement blessé…

IVAN DE WITTE. Oh la la… La déception totale. Humainement, c’est très triste. Et c’est lui qui dirige la Ligue Pro ! Comment a-t-il pu me faire une chose pareille ? C’était dégueulasse. Il avait su faire le déplacement à Liège pour venir chez moi et négocier mon contrat devant un bon verre. Mais quand je me suis retrouvé avec le genou en compote, il ne savait plus où j’habitais.

Votre entraîneur à Galatasaray…

FATIH TERIM : Monsieur Motivation ! Il vous foutait 300 % d’adrénaline dans le corps. Lors du dernier briefing d’avant-match, il transformait ses joueurs en chiens. Un film a été réalisé sur Galatasaray : encore aujourd’hui, quand je le regarde, j’attrape des frissons.

PHILIPPE LéONARD ?

A Monaco, tout le monde l’appelait Choupette. Un gars très gentil. Nous sommes restés en contacts, et récemment, j’ai failli le rejoindre au Rapid Bucarest. Malheureusement, ça ne s’est pas fait. De mes années en Ligue 1, je conserve le même genre de rapports avec Eric Abidal, que j’ai côtoyé à Lille. Il m’a invité plusieurs fois à des matches de Lyon en Ligue des Champions : il me faisait carrément venir à l’hôtel des joueurs. Maintenant, il m’invite de temps en temps à Barcelone.

IGOR DE CAMARGO, qui vous a barré lors de votre deuxième séjour au Standard ?

Je ne suis pas amer. C’est Michel Preud’homme qui l’avait transféré et il est logique qu’il joue, surtout qu’il est jeune et bon. Il va encore progresser.

GUY ROUX, qui a essayé de vous attirer à Auxerre ?

Il était venu voir mes parents quand je jouais à Valence. A ce moment-là, Monaco, Lens et Auxerre étaient chauds pour me transférer, mais il y avait un accord de collaboration entre Valence et Monaco, c’est comme ça que je me suis retrouvé là-bas. J’en ai parlé récemment avec Frédéric Jay, qui a été formé à Auxerre : si j’avais signé dans ce club, où Guy Roux donnait une chance aux jeunes, j’aurais peut-être fait une autre carrière parce que je me serais probablement imposé plus rapidement au sommet.

OLE-MARTIN AARST ?

Le gentil garçon par excellence. Calme, zen. Dommage pour le Standard qu’il soit parti aussi vite, mais ce fut une bonne chose pour lui car il est redevenu international norvégien. Je le place sur le même pied qu’Harald Meyssen et Eric Van Meir : des coéquipiers très précieux.

SERGIO CONCEICAO ?

Hmmm… Je ne l’ai pas côtoyé longtemps. Il avait une envie folle de se surpasser et de tirer tout le groupe vers le haut, mais ça provoquait des interférences avec ceux qui le ne comprenaient pas.

STEVEN DEFOUR ?

Excellent. Il fait partie des joueurs du Standard actuel qui peuvent arriver très, très loin. Avec Marouane Fellaini, Axel Witsel, Mohamed Sarr, Marco Camozzato, Dante Bonfim. Je suis fier d’avoir joué avec autant de gars de ce niveau-là.

 » J’ai refait le monde avec Trezeguet en sortant d’une boîte de nuit au petit matin « 

THIERRY HENRY ?

Quand je l’ai eu comme coéquipier à Monaco, il était en début de carrière. Il n’avait encore rien de la vedette mondiale qu’il est aujourd’hui. Il était un peu chouchouté par le club et les supporters, et quand vous êtes le chouchou, quand on vous bichonne un peu trop, vous vous prenez… je ne dirais pas pour le centre du monde, mais bon… Cela dit, quel joueur !

DAVID TREZEGUET ?

J’ai partagé plusieurs fois sa chambre. Un gars très posé, humble, tranquille. Je me souviens d’une anecdote précise. J’avais passé la nuit dans une boîte de Monaco avec Philippe Léonard et lui. Nous l’avons quittée au petit matin, quand elle a fermé. Nous étions à pied et Léonard est parti chercher sa voiture pour nous ramener à la maison. En l’attendant devant la boîte, nous avons discuté pendant une heure d’un tas de choses privées : la famille, etc. J’avais un très bon contact avec Trezeguet, comme avec Willy Sagnol.

ALPHONSE COSTANTIN ?

Non, non, non… Je n’ai eu que des problèmes avec lui quand il était directeur du Standard. Autant je conserverai un bon souvenir de Pierre François, qui était toujours disponible quand j’avais des soucis, autant je préfère ne pas parler de Costantin. Je le zappe.

HAKAN SUKUR ?

La classe. Respect total. Je n’ai plus beaucoup joué avec Galatasaray dès qu’il est revenu dans ce club, en provenance de Blackburn, mais ça ne me vexait même pas, tellement c’était logique qu’il soit titulaire. Aujourd’hui, il est toujours dans le coup, à 36 ans. Il me fait penser à Conceiçao : le même style de footballeur, le même caractère, le même sens du professionnalisme. Son retour au Gala a fait chavirer non seulement ce club mais toute la Turquie du foot.

Et MOHAMED DAHMANE, une forte tête comme vous ?

Mais non, je ne suis pas une forte tête ! Dahmane a du tempérament, moi je suis capable de ne rien dire pendant longtemps puis je ne me braque que si certaines choses ne me plaisent pas du tout. On ne m’entend pas trop dans le vestiaire, et quand on m’entend, c’est parce que je rigole, pas parce que je râle. l

par pierre danvoye- photo: reporters/ mossiat

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