Les hommes de Picardie

Que faut-il pour que la D1 ne quitte pas pour toujours Mouscron et ses environs?

A Malines, les joueurs de l’Excelsior Mouscron ont prouvé, comme ce fut souvent le cas depuis le début de cette saison, qu’ils ont bel et bien le niveau de l’élite. Le jeu technique et groupé du onze de Hans Galjé, le successeur de Mirolav Djukic, a tranché avec le style haché et sans imagination des gars coachés par Peter Maes. Les supporters des Hurlus étaient là, en nombre, heureux du succès de leurs favoris (0-1), sans oublier de remercier les Malinois qui leur firent parvenir des messages de sympathie en ces temps délicats.

Le football n’est hélas plus un élément de valorisation de la région de Mouscron. Comme nous le disait récemment un ancien dirigeant de ce club :  » L’Excel n’a plus l’image de marque sympathique du petit club familial qui toise les grands de l’élite. Autour de ce club, on ne parle plus que de faillites, de personnages louches, même interlopes, qui circulent près du Canonnier. Les supporters se battent, c’est bien, mais le club constitue un fardeau et de la contre-pub depuis au moins cinq ans. Il y avait la gangrène et il fallait amputer mais ça n’a pas été fait et ce beau club a été fauché par la maladie. On n’aurait jamais dû en arriver là. « 

Comme titra un jour le journal Le Soir, Mouscron a vécu  » 13 ans à crédit « . On a de la peine à imaginer à quel point l’argent a été jeté par les fenêtres. Fin 2003-2004, les dettes s’élèvent déjà à plus de 10 millions d’euros. Etonnant car la grande partie du personnel du club est payée par l’administration communale. De plus, le club touche des droits de télévision, est soutenu par un gros et généreux sponsor (La Poste), vend régulièrement des joueurs à bon prix, etc.

Exemple du mal : les chiffres de 2003-2004

On a pu lire le budget prévisionnel et le bilan de la saison 2003-2004 et constater le mal qui a miné les Hurlus. Mouscron prévoyait un budget en équilibre : 9 millions d’euros de recettes et de dépenses. A y regarder de plus près, on remarque dans les entrées un poste  » compléments  » sans autres spécifications : 4 millions d’euros. Ce montant ne rentrerait jamais dans les caisses et donne une idée de la seule surface financière qui tenait la route dans ce club : entre 4,5 et 5 million d’euros. Le décompte final (recettes : 8.700.000 euros, dépenses : 12.397.600) révélait une perte d’exploitation de 3.600.000 euros qui serait rangée dans un tiroir, couverte par un prêt, le silence ou par rien du tout.

Les salaires des joueurs atteignaient des montants indécents pour un petit club régional. Toutes charges comprises, chacun coûtait entre 220.000 et 650.000 euros aux finances de l’Excelsior. Mbo Mpenza valait une mise annuelle de 650.000 euros mais, pour Mouscron, c’était un luxe pas permis, une vraie folie. Ailleurs, des petits clubs tiennent mieux les cordons de la bourse en dépensant entre 60 et 70.000 euros par joueur. La différence est énorme. Un jour, en pleine période de régime budgétaire, Jean-Pierre Detremmerie (alors président d’honneur mais qui tirait encore les ficelles) offrit une prime de 25.000 euros à l’ensemble de l’équipe première après un succès. L’Excel n’avait pas un sou mais Louis XIV continuait à lancer des pièces d’or pour montrer qui était le patron. En 2004-2005, la dette s’élevait à 12.667.000 euros : le moment de passer par une faillite ?

Lille était intéressé par Mouscron

Le nouveau président, Edward Van Daele et son directeur général, RolandLouf, réduisirent la dette de 3.670.00 euros en un an. A cette époque, Lille se serait déjà intéressé à un projet de collaboration avec les Hurlus. Les Nordistes avaient 40 professionnels et ils pensaient intéressant de placer des jeunes dans un club de D1 où ils auraient acquis plus d’expérience qu’en jouant en CFA. Lille était d’autant plus intéressé que Mouscron pistait aussi, pour trois fois rien, des éléments comme Wilfried Dalmat ou Vedad Ibisevic. Ils ont finalement éclaté ailleurs. Mais Lille entendait entrer dans le capital du club…

 » Moi, je ne me souviens pas de cet intérêt lillois à ce moment-là « , rétorque Van Daele.  » Par contre, le LOSC a rencontré la direction actuelle. Les Français entendaient avoir un droit de regard sur la gestion financière et sportive mais auraient essuyé un refus. « . En réalité, les Lillois auraient été effrayés par une comptabilité délabrée.

Que faire ?

L’avenir est sombre. Et le renouveau passe plus que probablement par un regroupement des forces régionales. Il y a plusieurs voies : liquidation, nouveau départ en D3 (après mise en faillite et règlement des dettes fédérales) ou en P4 (si le déficit fédéral n’est pas gommé), fusion avec Peruwelz (D3) ou Tournai (D2), voire un mariage entre ces trois clubs.

Mais Mouscron n’est pas Malines qui avait su rebondir en D3 suite à une faillite. Malines a un autre palmarès et est planté au c£ur d’une région prospère, généreuse et facile à mobiliser. Ce club a pu compter sur le charisme d’une icône des médias en Flandre : le journaliste Marc Uytterhoeven qui a lancé une opération de sensibilisation. Personne ne possède une telle aura en Wallonie. Samedi, avant le match, le public malinois a rendu un vibrant hommage à un comédien flamand ( Manu Verreth), récemment disparu. A Mouscron, est-ce que tout le monde sait que le grand acteur belge qu’était Christian Barbier est décédé dans le sud de la France la semaine passée ? Or, Barbier a incarné le rôle principal dans une série télévisée qui a eu un immense succès dans les années 60 : L’homme du Picardie. Etonnant quand on parle de la Picardie wallonne avec le c£ur serré.

 » Un malade dans un lit, ce n’est déjà pas évident mais si on en ajoute deux autres, je ne sais pas comment on les soignera tous « , a déclaré Jean-Claude Stocman, le dynamique président de Tournai, précisant même à nos collègues de Vers l’Avenir :  » Je sais ce qu’il faudrait faire à Mouscron. Mais, en cas de grande fusion régionale, que deviendra notre stade Luc Varenne ? On le transforme en chenil ? » Stocman marque son territoire. C’est peut-être la revanche de Tournai, capitale de la Wallonie picarde, qui a été snobée par Mouscron au temps de la grandeur de l’Excelsior.

 » Il faut dépasser l’esprit de clocher « , avance Van Daele, sage parmi les sages.  » Mouscron est moribond depuis longtemps, Tournai et Péruwelz ont des budgets rikiki et leur avenir y est sombre. A trois, ces clubs d’une même région peuvent gérer rigoureusement un budget de 6 millions d’euros, tenir la route en D1.  » Le ministre Président de la Région wallonne, Rudy Demotte, encourage l’idée d’une grande fusion car le Canonnier ne peut pas être bientôt désert. Ce club picard s’entraînerait-il à Tournai ou à Mouscron, jouerait-il alternativement dans les deux stades ? Mbo Mpenza a constitué un comité de soutien et a proposé au CA de l’Excelsior de s’adjoindre les services du Groupe de conseils financiers Capitalium Consult. L’avenir nous apprendra vite ce que ces gens sérieux ont dans le ventre. Samedi, alors que les dirigeants comptaient leurs sous (dettes cumulée : entre 8 et 10 millions d’euros), les vrais hommes de Picardie gagnaient à Malines.

Par Pierre Bilic

« Il faut dépasser l’esprit de clocher. »

(Edward Van Daele, ancien président de Mouscron)

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