» Les Hollandais s’imaginaient que j’allais défendre… « 

Après six mois aux Pays-Bas, le coach liégeois a convaincu les plus sceptiques de son talent. Twente a été brillant en Ligue des Champions et est candidat au titre.

Michel Preud’homme arrive à sa conférence de presse hebdomadaire avec une demi-heure de retard. Les Pays-Bas n’y sont pas habitués mais l’entraîneur est d’excellente humeur. Quelques jours plus tôt, le FC Twente a ponctué son aventure en Ligue des Champions d’un spectaculaire 3-3 contre Tottenham, sans Bryan Ruiz, dont la longue indisponibilité constitue le principal thème de la conférence. Il n’y a pas trace de la moindre méfiance en Preud’homme, qui pense même voler au secours de son visiteur belge en lui expliquant qu’ici, les footballeurs polyvalents s’appellent des joueurs  » multifonctionnels  » et que les infiltreurs  » pénètrent « .

Le scepticisme avec lequel les voix influentes du journalisme hollandais l’ont accueilli est oublié…

Ils se demandaient ce qu’un Belge, ancien gardien, venait faire à Twente…

Michel Preud’homme : J’étais prévenu. La presse néerlandaise a la réputation d’être plus agressive et c’est exact ; mais souvent, la Belgique n’a connaissance que de ses pires aspects. Je suis arrivé ici pendant le Mondial. Quand j’ai lu et entendu les critiques dont leur équipe nationale, vice-championne du monde, faisait l’objet, je me suis demandé ce qu’on allait dire de moi. Je suis venu avec une autre mentalité, prêt à accepter davantage de choses qu’en Belgique, où j’étais critiqué dès que je restais sur deux ou trois matches sans victoire. Je le supportais difficilement, estimant que la Belgique devait quand même bien connaître mes méthodes de travail…

Lors de ma première conférence de presse hollandaise, j’avais déclaré : Vous pensez qu’un gardien n’est capable que de défendre mais je n’ai eu que quatre défenses devant moi : celles du Standard, de Malines, du Benfica et de l’équipe nationale belge. Par contre, j’ai étudié des centaines de schémas offensifs des meilleures équipes d’Europe. J’en sais donc davantage sur le football offensif que sur le défensif. C’était bien dit, non ?

Entre les lignes

Vous avez d’emblée gagné la Coupe Johan Cruijff, qui oppose le champion au tenant de la Coupe, face à l’Ajax. Cela a-t-il contribué à faire taire les critiques ?

N’oubliez pas que nous avons ensuite réalisé deux nuls blancs. Selon moi, c’est surtout notre style de jeu qui a convaincu tout le monde. La Belgique a la réputation d’une nation défensive, à cause de son passé. Sur ce, un ancien gardien de but débarque et les gens s’imaginent que je vais défendre alors que je suis un entraîneur offensif. Même si nous n’avons pas gagné, notre style de jeu a séduit les gens. Cela a été plus déterminant que la victoire en Supercoupe.

Il paraît que vous jouez plus en profondeur que votre prédécesseur, Steve McClaren ?

Quand je parle de profondeur, les gens pensent à des longs ballons. Ce n’est pas exact : Barcelone joue aussi en profondeur. C’est ce que j’essaie de faire, en tenant compte du bagage de mes joueurs. Parfois, nous construisons trop le jeu, comme contre Tottenham, où des pertes de balle ont provoqué deux buts, mais globalement, nous jouons bien.

Apportez-vous quelque chose au football néerlandais ?

Je ne puis le dire moi-même. Le président voulait que j’apporte à Twente ce qu’il avait vu au Standard et à Gand. Je lui ai demandé ce qu’il voulait dire : Eh bien, passer le ballon et, tac-tac-tac, jouer vite et marquer ! Il trouve que mes deux équipes précédentes rayonnaient de plaisir de jouer, ce qu’il voulait revoir ici. Les joueurs répètent souvent, dans les interviews, qu’ils apprécient notre football.

Alors qu’ils ont été champions en mai !

Oui, mais on peut le devenir de différentes manières. Durant ma première saison à Gand, je n’ai pas pu réaliser ce que j’ai fait la seconde année. Idem au Standard. Quand on veut aller trop vite, on s’expose aux problèmes. Twente avait une bonne base et a été sacré grâce à elle. Maintenant, je peux essayer de lui apporter un plus. Nous avons inscrit neuf buts en Ligue des Champions : pour une première participation, contre des équipes telles que Tottenham, l’Inter et le Werder Brême, c’est excellent.

Vous avez également encaissé de nombreux buts.

Oui, mais l’Inter et Tottenham en ont encaissé onze aussi.

Un superbe héritage

Le Standard courait après un titre depuis 25 ans et Gand rêvait de rejoindre l’élite. Vos défis étaient clairs mais ici ? Twente est déjà champion.

Ce club est très ambitieux. A terme, il veut devenir le numéro un des Pays-Bas et je fais partie de ce processus. L’étape suivante est de terminer parmi les quatre premiers chaque année. Le stade va être agrandi pour atteindre une capacité de 30.000 sièges. Twente n’a plus le plus gros budget mais il est sans doute le club le plus sain des Pays-Bas. Ici, on peut effectuer du bon travail, sans jeux politiques. La direction et l’entraîneur sont étroitement liés. C’était aussi le cas au Standard et à Gand.

Joop Munsterman, le président de Twente, a parlé du top5 lors de votre présentation mais si vous terminez troisième, tout le monde dira que c’est moins bien que la saison précédente.

Il faut quand même bien que quelqu’un entraîne l’équipe championne ? (Rires)

McClaren trouve peut-être que vous récoltez les fruits de son labeur ?

Je ne crains pas de reconnaître que j’ai reçu une excellente base. Je profite partiellement du travail de mon prédécesseur mais la question est : comment gérer cet héritage ? On peut l’anéantir ou essayer de le perfectionner.

Bölöni et Dury ont-ils apporté quelque chose à vos anciennes équipes ?

Je pense que Dury y est parvenu. Je ne suis pas Gand de près mais j’ai quand même discerné certaines choses. Il place ses accents, très bons pour l’évolution de Gand.

Avec Twente, vous avez déposé votre carte de visite en Europe alors que le club n’émarge pas plus que Gand au cercle des grands clubs traditionnels. Gand pourrait-il réaliser la même chose en Ligue des Champions ?

Pas encore. Gand peut-il acheter un joueur de cinq ou six millions ? Twente a embauché Ruiz, Rosales et Janko alors que le footballeur le plus cher de Gand coûte un million. Cela se reflète sur les qualités de base, même si Gand possède de très bons joueurs – c’est normal, c’est moi qui les ai choisis ! (Rires) Mais le budget de Gand s’élève à 15 millions contre 36 ici. Cela revient à demander si Gand peut égaler Anderlecht. Normalement pas, si les deux clubs font bien leur travail. Souvent, il s’agit moins des qualités individuelles des joueurs que de la profondeur du noyau. El Ghanassy, Suler, Thijs, Jorgacevic ou Lepoint ne sont pas moins bons que les joueurs de Twente mais que faire quand il faut les remplacer ?

Encore un Belge

Durant une de vos dernières conférences de presse, vous avez déclaré être plus fort avec Ruiz tout en ayant résolu le problème posé par son absence.

Nous pouvons le résoudre temporairement mais à terme, nous sommes meilleurs avec Bryan. Quand il s’est blessé, Twente a sorti son plan catastrophe. Nous savons qu’il y aura sans doute un match où il aurait pu faire la différence mais Twente ne se résume quand même pas à Ruiz.

S’est-il rapproché de l’élite internationale aux Pays-Bas ?

Chaque expérience enrichit un joueur. J’avais 35 ans quand j’ai rejoint le Portugal et j’y ai appris des choses. Bryan reste sur une superbe année mais il peut encore progresser. L’étape suivante est de devenir plus régulier et de placer davantage son empreinte sur un match. Il le sait car nous en avons discuté.

Connaissiez-vous Nacer Chadli ?

Non. Mes adjoints m’ont raconté qu’ils connaissaient un bon joueur d’AGOVV. Un Belge. J’ai répondu : Oh non, pas encore un Belge ! Les gens pourraient penser que je ne prends que des Belges. Je dois donc être prudent. Cependant, ils étaient convaincus et ils m’ont donné un DVD. J’y ai découvert un joueur dont je pouvais avoir l’utilité mais je n’imaginais pas que ce serait à ce point. Il semble que beaucoup de clubs l’ont visionné mais je raconte souvent l’histoire d’Onyewu. Tout le monde pouvait le voir à l’£uvre à La Louvière, mais seul le Standard l’a enrôlé, parce qu’il était convaincu de son talent. Et pourquoi ai-je été sortir El Ghanassy du banc de l’équipe B de Gand ? Parce que j’étais convaincu de pouvoir en faire quelque chose…

Vous avez toujours été critique à l’égard des compliments dont le football néerlandais est l’objet. Son niveau est-il supérieur à celui de la Belgique ?

Soyons clairs : je n’ai jamais été critique à l’égard du foot hollandais, mais sur ceux qui le béatifiaient. L’école néerlandaise est excellente mais elle n’est pas la seule. Je luttais surtout contre ce préjugé. L’infrastructure est nettement meilleure, c’est clair. L’administration est plus performante aussi. On s’intéresse beaucoup à la technique individuelle des jeunes : la bonne passe, le bon contrôle, le bon centre. Tac-tac-tac. Un peu comme les équipes espagnoles. A Gand et au Standard, j’ai commencé par des exercices de simple passing. Les joueurs étaient surpris. Je leur ai promis que s’ils y arrivaient, nous arrêterions immédiatement. Nous n’avons plus jamais cessé ces exercices de passes.

On prétend les joueurs néerlandais réactifs. Est-ce exact ?

Ils veulent tout comprendre. Cela me convient car ainsi, nous parlons football. Cet état d’esprit a progressivement émergé à Gand mais il est plus naturel ici. Par exemple, Theo Janssen veut toujours connaître tous les détails tactiques. J’apprécie cette interaction et discuter avec les joueurs ne me pose pas problème.

Les compliments de Redknapp

Etes-vous plus calme ? Votre président ne voulait pas voir de réactions excessives au bord du terrain de votre part.

Je continue à gesticuler. Il m’arrive aussi de sortir de ma zone, obligeant mes adjoints à me rappeler à l’ordre. Je présente alors mes excuses au quatrième arbitre. En Belgique, j’aurais hurlé : Fous-moi la paix ! Je continue à réagir mais je m’arrête plus tôt qu’avant…

Restez-vous en contact avec vos anciens adjoints de Gand ?

Avec presque tous, je n’en dirai pas davantage.

Qu’est-ce qui s’est passé avec Jos Daerden ?

Les journaux ont dit qu’on l’avait viré de l’équipe 1 en lui présentant une belle porte de sortie, mais ce n’est pas comme ça qu’il faut comprendre les choses. D’abord, j’ai attiré Jos ici comme adjoint. Mais à un moment donné, notre entraîneur des Espoirs a reçu une offre d’Emmen et nous avons eu un problème. Qui pouvait dès lors entraîner l’équipe B de la même façon que l’équipe 1 ? Seulement Jos. Et d’un autre côté, je ne pouvais pas me défaire d’un de mes adjoints néerlandais car j’aurais aussitôt perdu leur connaissance du foot hollandais et de ses clubs en profondeur. La direction a estimé cette décision correcte. Le plus difficile a été de l’expliquer à Jos car l’affaire peut prêter à équivoque mais ce n’est pas le cas. Si le club n’est pas content de quelqu’un, il le renvoie. Jos n’a pas apprécié le changement mais il l’a rapidement accepté.

On raconte que le courant ne passait pas entre lui et les joueurs ?

Est-il passé entre tous mes joueurs et moi ? Certainement pas. Si cela avait le cas avec Jos, ce n’aurait été que normal.

Quel a été votre meilleur moment, durant ces six premiers mois ?

Les déplacements à Eindhoven et à Brême. En Allemagne, nous déplorions tellement de blessés qu’on nous avait classés comme perdants d’office. Comme le Werder change souvent de système, j’avais dispensé ma théorie sur base de deux tactiques. J’ai vu mes joueurs réagir immédiatement quand Brême est monté sur le terrain en losange. Ils ont reconnu la tactique et s’y sont adaptés. Cela m’a procuré une immense satisfaction : ils ont compris mes explications et nous avons gagné 0-2… mais le score aurait pu être de 2-6.

On vous a félicité pour ce qu’a montré Twente en Ligue des Champions…

Harry Redknapp, de Tottenham, m’a décerné un superbe compliment : I don’t say that very often, but you played fantastic football. Je l’ai remercié. A ce niveau règne une très grande convivialité. Quand j’ai salué Rafa Benitez à Milan, pendant l’échauffement, j’ai parlé de ses nombreux blessés. Il m’a immédiatement pris par le bras et m’a raconté tout ce qui s’était passé depuis qu’il est à l’Inter.

Sur les traces de Gerets

Le Standard, Gand, Twente : votre parcours paraît atypique. Quel est votre plan de carrière ?

Je n’en ai pas et n’en ai jamais eu. C’est la vie qui décide pour vous, en général. J’avais trois possibilités : rester à Gand, aller en Arabie Saoudite ou signer à Twente. J’ai suivi mon instinct, qui me dictait de venir aux Pays-Bas. C’est aussi simple que ça. Nous avons peu de prise sur les événements et dès lors je suis mon instinct. J’aime les défis ; je resterai peut-être un an, peut-être cinq, je n’en sais rien. Ou peut-être dirai-je, après Twente, que j’arrête. Je suis ainsi fait. Ce sont les 20 % d’inconnu me concernant dont parlait Ivan De Witte, le président gantois.

C’est votre côté tzigane. Etes-vous en quête de reconnaissance ?

Ce n’est pas de la reconnaissance. Dans une interview, le président gantois a déclaré que j’étais loyal à l’égard de mon employeur. C’est vrai : je veux rendre beaucoup à celui qui me fait confiance. Signer pour trois ans et mener ensuite la belle vie n’est pas mon genre. Je pourrais dire que j’ai atteint un bel objectif en quittant la Belgique pour le champion des Pays-Bas mais en fait, je ne fais que commencer. Cela n’a rien à voir avec une quête de reconnaissance. Quand les gens croient en vous, vous embauchent et vous paient bien, vous leur rendez quelque chose. C’est simplement logique.

La Belgique a un autre entraîneur de club qui représente beaucoup à l’étranger : Eric Gerets. Voulez-vous marcher dans ses traces ?

Non, ce n’est pas dans mon caractère. Tant mieux si cela arrive mais je n’ambitionne pas de laisser une carte de visite que j’aurais déposée avec Twente, selon vous. Je n’ai pas ce sentiment. Par contre, j’ai répondu à ceux qui prétendaient que j’ai quitté le Standard par peur de jouer la Ligue des Champions. Cet élément a joué mais pas le besoin de délivrer ma carte de visite, de faire mes preuves ou de marcher sur les traces d’Eric.

Appréciez-vous encore quelque chose en-dehors du football ?

Mon travail m’accapare plus que jamais. Je découvre beaucoup de choses, je veux connaître tous les joueurs, toutes les équipes. Depuis cet été, je n’ai joué que deux fois au golf. Même à la maison, je suis collé à mon ordinateur. Je dors, je mange et je travaille.

PAR JAN HAUSPIE

 » Voilà ma réponse à ceux qui ont prétendu que j’avais quitté le Standard par peur de la CL. « 

 » Ici, je dis sorry au quatrième juge alors qu’en Belgique, j’aurais hurlé : -Fous-moi la paix ! « 

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