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 » LES HOLLANDAIS NE SONT PLUS DES MODÈLES « 

Les Diables Rouges affrontent des Pays-Bas en crise. Que se passe-t-il chez l’ancien maître du football ? Johan Derksen, analyste TV réputé, ne mâche pas ses mots.

Les curieux sont pressés de savoir qui ils vont entendre à la télévision ce soir. Johan Derksen ne recevra pas Johan Boskamp, qui fête son anniversaire. Les deux hommes se connaissent depuis près de 60 ans.  » Nous avons fait notre service militaire ensemble. Nous avons aussi joué l’un contre l’autre. Jan n’a jamais changé en toutes ces années. On se sent bien avec lui.  »

Le football néerlandais déteste son programme Voetbal Inside sur RTL.  » C’est la seule émission indépendante. Nous disons tout. Quand je regarde les chaînes belges, je vous trouve trop gentils. En cas d’insomnie, il faut regarder un talk-show belge sur le football.  »

L’émission du jour présente l’affiche Feyenoord-Ajax, qui s’est achevée sur un nul.

Cette affiche représente-t-elle encore quelque chose ?

DERKSEN : Feyenoord est bon depuis quelques saisons, après avoir frôlé la faillite. Il a vendu ses joueurs les plus chers mais il a eu la chance que Wim Jansen, l’ancien médian, ait six joueurs prêts pour l’équipe Première. Sans ses problèmes, Feyenoord aurait acheté six étrangers. Les jeunes ont été si bons qu’ils ont été monnayés. Johan Cruijff a toujours clamé que l’Ajax devait améliorer sa formation. Il a été conspué mais maintenant, il y a six bons jeunes. Encore quelques bons matches et ils partiront.

Quel est le niveau du football néerlandais comparé à celui d’il y a dix ou quinze ans ?

DERKSEN : Nous nous amusons mais il faut réaliser que le borgne est roi au pays des aveugles. Le niveau est lamentable. Ça me paraît différent en Belgique. Je n’ai pas décelé une grande différence de classe lors du match Ajax-Standard. Les Néerlandais qui ont du talent jouent à l’étranger. Nous n’avons plus que des compatriotes de second rang et des étrangers de troisième zone car les bons veulent se produire en Ligue des Champions. Nous n’avons pas de clubs à ce niveau et quand ils s’y produisent, ils sont éliminés à la Noël. Il y a du spectacle mais si, pendant un match entre deux clubs néerlandais, on zappe sur le championnat allemand ou anglais, on se demande ce qu’on voit, tellement la différence est énorme.

A quoi est-ce dû ?

DERKSEN : Tout va de travers pour le moment alors qu’avant, nous avons eu quelques belles générations. Pas grâce à la fédé ni à la qualité de nos écoles. La levée de Cruijff et Van Hanegem, puis celle de Van Basten-Gullit. Maintenant, le bon Dieu a émigré en Belgique. Plus personne ne prenait au sérieux le patron de la Fédération, Bert van Oostveen. Le patron technique de Zeist, Jelle Goes, n’est pas en place parce qu’il a une vision mais parce qu’il est ami avec Guus Hiddink. Il n’a jamais joué au football. Depuis peu, nous avons un directeur technique que je trouve déplacé à ce poste. Un homme charmant et un gourou auto-proclamé, Hans van Breukelen. La première chose était de chercher un team manager pour l’équipe nationale. Le premier candidat était le coach de l’équipe néerlandaise de water-polo puis il s’est amené avec un patineur et un coach de hockey. Danny Blind est sélectionneur. Il a été un bon footballeur mais il ne convient pas à ce poste. Il a entraîné un an. L’Ajax. Il a été si brillant qu’il a été viré au bout d’une seule saison. Il vous glisse entre les mains comme un poisson et il prend toujours le parti du pouvoir.

Pourquoi n’est-il pas un bon sélectionneur ?

DERKSEN : Hiddink, son prédécesseur, n’était pas bon, pas affûté. Blind a réussi l’impossible en faisant encore pire. Nous avons loupé l’EURO alors que nous étions versés dans une poule ne comprenant que des républiques bananières du football. Il n’avait pas un bon matériel joueurs mais Van Gaal a terminé troisième du Mondial avec le même groupe.

Van Gaal est un type épouvantable mais on ne peut pas dire qu’il soit un mauvais coach. Il savait que nous avions peu de joueurs de classe. Il a donc établi une défense impassable et dès que les Pays-Bas avaient le ballon, ils le passaient en vitesse à Arjen Robben, quand il n’était pas blessé, pour une fois. Les Pays-Bas ne parlent que de l’école hollandaise. Le football offensif, c’est bien quand vous avez Cruijff et Van Basten. Pour l’heure, c’est irréaliste. Hiddink ne supporte pas Van Gaal et il a donc refusé de reprendre son système mais les joueurs n’étaient pas à l’aise avec tous les espaces qui restaient dans leur dos. Tout a foiré. Je ne comprends pas que Blind, qui était à côté de Van Gaal sur le banc au Brésil, qui connaît la tactique qui a conduit l’équipe à la troisième place, veuille jouer les grands coaches. Donc, l’été dernier, nous sommes restés à la maison. Ça a engendré une fameuse perte de recettes commerciales.

VANDEREYCKEN

Blind peut-il faire quelque chose ? En regardant l’équipe, on se demande qui pourrait jouer avec les Diables Rouges.

DERKSEN : Très peu. Comme jadis, seul René Vandereycken aurait eu sa place chez nous. Vos Diables Rouges sont titulaires dans de grands clubs européens alors que nos internationaux font banquette dans des clubs un peu moins cotés.

Alors qu’on attendait beaucoup de Memphis Depay lors de son transfert à Manchester United.

DERKSEN : Je suis très déçu, comme Louis van Gaal, qui a tout fait pour le transférer. Il était le plus grand talent du pays mais qu’a-t-il montré en Angleterre ? Des bolides coûteux, des manteaux et des chapeaux de star. Il a cru en sa propre célébrité. Chez nous, on se prend pour un héros dès qu’on tape dans un ballon et qu’on dribble un arrière gauche. Il a sous-estimé le professionnalisme anglais.

Quels joueurs doivent porter votre équipe nationale ?

DERKSEN : La vieille garde. Wesley Sneijder est un bon médian et n’est pas usé. Robben est tout le temps blessé mais quand il est en bonne santé, il est le seul à être titulaire dans un grand club. La défense est épouvantable. Elle commet de telles erreurs individuelles, à chaque match, que j’ai pitié de Blind. Elle n’a pas le niveau.

N’est-ce pas le lot des petits pays, qui dépendent d’une bonne génération, de temps en temps ?

DERKSEN : C’est le sort des petits pays dénués de vision, qui se reposent sur le hasard. Ils s’attribuent les succès et les entraîneurs hollandais sont demandés partout. Vous avez enrôlé les coaches les plus fous.

Hans Croon a gagné la Coupe d’Europe avec Anderlecht.

DERKSEN : Ils ont la même valeur que leur matériel joueurs. S’ils ont trouvé du boulot dans le monde entier, c’est grâce à l’équipe nationale, à Wim Jansen, Cruijff, Van Hanegem, Wim Suurbier, Johan Neeksens. C’était l’équipe idéale. On surnommait Rinus Michels le Général. Un soir, à Barcelone, je suis allé prendre un verre avec Cruijff et Piet Keizer. Le vin leur a délié la langue : Michels n’était qu’un ballon gonflable. Il parlait beaucoup mais les joueurs décidaient de la tactique dans le couloir. Ils m’ont dit, littéralement : -Si nous avions joué comme Michels le voulait, nous n’aurions jamais rien gagné. Ces deux joueurs, fins tacticiens, décidaient tout mais Michels posait devant les caméras, en héros.

ZIYECH

Parle-t-on encore du 4-3-3 et des ailiers ?

DERKSEN : Nous avons longtemps voulu attaquer mais l’école hollandaise ne rapporte rien face aux équipes qui jouent le contre. Ce sont les joueurs qui déterminent le système. Il faut étudier la qualité de son noyau et composer la meilleure équipe possible. Si on n’a pas d’ailiers, on joue avec deux avants. Ici, on a longtemps procédé en 4-3-3 en alignant un arrière droit si on n’avait pas d’ailier. Nous nous croyons supérieurs aux autres. Nous osons même critiquer l’Angleterre et l’Allemagne !

Suivez-vous le football de la Ligue des Champions ou vous en tenez-vous au rôle de modèle que vous avez longtemps eu ?

DERKSEN : Nous ne sommes plus des modèles. Nous n’avons pas une seule équipe capable de jouer en Ligue des Champions. Le PSV a obtenu un bon résultat contre l’Atlético et Feyenoord vient de battre Manchester United mais parce que José Mourinho avait aligné son équipe B. Ça dit tout : des réserves contre Feyenoord.

Nous sommes bons pour l’Europa League mais nous mourons de honte en Ligue des Champions. Le Bayern n’est pas en forme mais il bat quand même le PSV. C’est pareil chez vous. Quand je vois que Ruud Vormer est titulaire au Club Bruges… Chez nous, c’était un joueur pour un club de province. Mais c’est un chouette type et sa femme est intelligente.

Qui sont les grands talents néerlandais ? Vincent Janssen ?

DERKSEN : Il n’est pas mal mais il y a un fossé entre l’AZ et Tottenham. Il est quand même l’avant des Pays-Bas. La star de notre football, c’est Hakim Ziyech.

Il intéressait Anderlecht mais il a préféré l’Ajax.

DERKSEN : Il avait aussi préféré Twente à Feyenoord. Les Marocains sont fiers. Ziyech a joué en Espoirs et aurait pu jouer en équipe A mais il a cru que Blind n’avait pas besoin de lui et il a tergiversé avant d’opter pour le Maroc. Il est le meilleur footballeur sur nos terrains. Blind aurait dû discuter avec lui, dans l’intérêt du football néerlandais.

COACHES DE SECOND RANG

La Belgique continue à vanter la formation néerlandaise. Vous avez formé un tiers de nos internationaux.

DERKSEN : Tous les Belges n’ont pas eu du succès. Le NEC a eu un chouette gars qui pouvait faire une chose : lancer le ballon loin. Mais il a tout marqué et est devenu le meilleur buteur : Björn Vleminckx. Non pas que ça soit difficile : les attaquants jouissent d’une énorme liberté chez nous.

Quel Belge vous a surpris ?

DERKSEN : Dries Mertens. Je pensais qu’il craquerait physiquement mais il résiste, même en Italie. Un jour, je commentais un match de Willem II avec Willem van Hanegem. Nous avons parlé pendant une heure et demie d’un joueur dont nous n’avions jamais entendu parler : Mousa Dembélé. Comment aucun club belge ne l’avait-il repéré ? Par contre, Wesley Sonck, que je trouvais bon footballeur, ne s’est jamais bien senti à l’Ajax, dont il devait arpenter le flanc. Quand on investit dans un joueur pareil, c’est pour l’aligner à sa meilleure position mais non, l’Ajax devait jouer avec trois avants.

Il y a peu d’entraîneurs étrangers aux Pays-Bas.

DERKSEN : S’ils apportent un plus, comme Ernst Happel et Tomislav Ivic autrefois, c’est parfait. Mais souvent, nous avons les déchets des autres compétitions. Le dernier étranger à avoir apporté quelque chose aux Pays-Bas, c’est ce Norvégien de chez vous, Trond Sollied. En un an, il a gagné la Coupe avec Heerenveen, qui n’avait jamais rien gagné.

Vous avez aussi eu Michel Preud’homme à Twente.

DERKSEN : Il se contentait de faire du théâtre devant son dug-out. Dommage car il a été un gardien fantastique. Mais les Pays-Bas n’ont pas apprécié son comportement grotesque. Les entraîneurs néerlandais ne se comportent pas comme ça.

Ce n’est plus nécessaire puisque vous avez déjà un arbitre-vidéo. Est-ce positif ?

DERKSEN : Tout à fait. La décision ne peut pas dépendre d’un homme qui a peut-être eu une dispute avec sa femme la veille, alors qu’il y a tant d’intérêts en jeu. Avant, les erreurs se remarquaient moins mais maintenant, avec 27 caméras autour du terrain… Les arbitres sont très contents. Ils n’ont pas envie de revoir dix fois leur gaffe à la télévision.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Nous nous amusons mais le borgne est roi au pays des aveugles.  » – JOHAN DERKSEN

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