LES HÉROS D’EXTRÊME-ORIENT

Pour la première fois, un club du Kazakhstan participera à la phase de poules de la Ligue des Champions. C’est aussi la première fois qu’un club voyagera pendant 11 heures et 20 minutes en avion pour se rendre chez son adversaire.

Le Kazakhstan fait-il partie de l’Europe ou de l’Asie ? A l’ancien siège de la fédération de football kazakhe, derrière le stade central de l’ancienne capitale Almaty à seulement 160 kilomètres de la frontière chinoise, quelques dirigeants fédéraux se sont penchés sur une carte. Géographiquement, l’Europe s’arrête à l’est, dans les monts Oural, mais où se trouve la frontière du continent au sud de cette chaîne de montagnes ? Le long de la rivière Oural, affirme le secrétaire Askar Akhmetov. Or, à l’ouest de cette rivière, se trouve une toute petite partie du Kazakhstan, qui est donc située sur le territoire européen : elle représente un peu moins de 10 % du territoire kazakh.

C’est cet argument que la fédération de football de ce pays a fait valoir, lorsqu’elle a demandé à l’UEFA de changer de continent. Le 25 avril 2002, le Kazakhstan est ainsi devenu le deuxième pays à passer de l’Asie à l’Europe, sur le plan footballistique. Le premier fut Israël, pour des raisons politiques : depuis 1974, plus aucun pays arabe ne voulait encore l’affronter, ce qui a incité la fédération israélienne à demander de pouvoir jouer les compétitions européennes. Ce qui lui fut accordé en 1991.

Lors de son indépendance en 1991, après l’éclatement de l’URSS, le Kazakhstan s’était affilié à la fédération asiatique.  » En fait, nous aurions dû nous affilier directement à l’Europe « , soupira Akhmetov en 2006.  » On ne peut s’améliorer qu’en affrontant des nations plus fortes. Le niveau, en Asie, est très faible et cela ne s’est pas amélioré avec le temps.  »

Personne n’a regretté ce choix. Pourtant, le meilleur ranking FIFA date de la période  » asiatique « . En 2001, le Kazakhstan était 97e. Après quatre ans de football en Europe il est retombé à 140e place et, en 2015, il figure à la 145e place. Mais, estimait le vice-président Sayan Khamitzhanov en 2006,  » il vaut mieux être le cancre d’une très bonne classe, que le meilleur élève d’une classe de cancres. Dans le premier cas, on peut espérer progresser, dans le deuxième cas, pas.  »

UNE CAPITALE ARTIFICIELLE, COMME BRASILIA

Alors que les dirigeants fédéraux s’activent à Almaty, à un millier de kilomètres de là, un nouveau projet voit le jour, au milieu de la steppe asiatique. Le président Nursultan Nazarbaev a en effet décidé de construire une toute nouvelle capitale. Pas aux frontières avec la Russie ou la Chine, mais au milieu du pays. La petite ville provinciale d’Akmola, fondée en 1830 par des cosaques russes et qui comptait 280.000 habitants en 1998, a été rebaptisée Astana en 1999. Ce qui signifie  » capitale  » en kazakh.

En 2006, la ville n’est encore qu’un chantier, et le visiteur venu de Belgique a l’impression d’être le premier client du nouvel aéroport, desservi seulement par Lufthansa en plus de la compagnie nationale. Le trajet depuis la gare de chemin de fer est hallucinant, à travers de larges boulevards dépourvus de maisons, bordés seulement de panneaux indiquant que des édifices allaient être construits. Ce qui, en 2006, donnait encore l’impression d’être un projet mégalomane d’un seul homme, va rapidement devenir ce que le chef de l’Etat avait souhaité : à savoir, une métropole flambant neuve à l’architecture impressionnante, à l’image de Brasilia au Brésil.

Un projet aussi prestigieux avait évidemment besoin d’un club sportif d’envergure. Il fallait une équipe de football qui symbolise le succès et la richesse, à l’image de la ville. Jusqu’alors, le football kazakh ne comptait qu’un seul grand club : Kairat Almaty, la seule équipe kazakhe qui a disputé le championnat soviétique de 1960 jusqu’à l’éclatement de l’URSS en 1991, et qui a terminé 7e en 1986 : le meilleur résultat d’une équipe kazakhe dans l’ancien empire soviétique. Curieusement, Kairat n’a remporté que deux titres dans la nouvelle Premier League kazakhe.

En 2006, Astana possède déjà un club parmi l’élite. Le Néerlandais Arno Pijpers, qui est devenu le sélectionneur national en 1995, se voit proposer de prendre en charge le grand club de la capitale. Pijpers remporte directement la coupe, puis le titre un an plus tard. C’est le troisième et dernier titre du club, qui jouera au total huit matches européens mais tombera en faillite en janvier 2009, et qui ressuscitera en 2010 en deuxième division sous le nom de FC Astana 1964. Pourquoi ? La faillite du FC Astana menaçait tout simplement de vider le tout nouveau stade de 30.000 places, avec toit rétractable. Ce qui était impensable, évidemment.

AUX COULEURS DU DRAPEAU NATIONAL

La solution va venir d’Almaty, où deux clubs de D1, Megasport et Alma-Ata, fusionnent en décembre 2008. Ils entendent l’appel financier de la nouvelle capitale et décident de déménager à l’Astana Arena, où ils joueront sous le nom de Lokomotiv FK Astana, redevenu aujourd’hui le FC Astana : un club qui porte les mêmes couleurs que le drapeau national (jaune et bleu ciel).

En novembre 2009, le nouveau club remporte un premier trophée : la coupe. Mais on lui interdit de participer à une compétition européenne car il n’existe pas encore depuis trois ans. Les débuts européens se produiront en 2013, après la conquête d’une deuxième coupe nationale. Un an plus tard, le club atteint le dernier tour qualificatif de l’Europa League où il est éliminé par Villarreal. Cette même année, en 2014, le FC Astana remporte son premier titre de champion, ce qui l’autorise à participer cet été aux tours préliminaires de la Ligue des Champions.

Une mission impossible, à première vue, mais après seulement 16 matches européens et sept années d’existence, le FC Astana parvient à se qualifier pour la phase de poules. La semaine prochaine, il se déplacera à Lisbonne pour y affronter Benfica. Un voyage de 6.164 kilomètres ; le plus long déplacement jamais effectué par un participant à la plus prestigieuse des compétitions européennes.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il vaut mieux être le cancre d’une très bonne classe, que le meilleur élève d’une classe de cancres.  » SAYAN KHAMITZANOV

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