LES HÉRITIERS DE PUSKAS

La Hongrie ne s’était plus qualifiée pour la phase finale d’un championnat d’Europe depuis 1972. Une qualification étonnante dans la mesure où la culture du sport n’est plus très développée en Europe centrale.

L’an dernier, dans un kiosque de la citadelle de Budapest, nous avions encore trouvé un maillot floqué au nom de Puskas. Ferenc Puskas a été le capitaine de l’équipe nationale hongroise qui, au début des années 1950, était considérée comme la meilleure formation du monde. C’était il y a plus de soixante ans mais pour les Hongrois, ça reste LA référence.

A l’époque, Laszlo Fazekas (ex-Antwerp) était encore sur les bancs de l’école primaire mais il s’en souvient comme si c’était hier. En 1953, la Hongrie s’était imposée 3-6 dans un stade de Wembley archi-comble, infligeant à l’Angleterre sa première défaite à domicile depuis 30 ans. Le public local avait applaudi à tout rompre les Magic Magyars. Et le retour, à Budapest, avait été tout aussi épique :  » 7-1 ! J’ai assisté à ce match au stade, avec mon père. Nous étions 90.000 ! « , dit-il.

Un an plus tard, lors de la Coupe du monde en Suisse, la Hongrie bat l’Allemagne de l’Ouest (8-3) avant d’éliminer le Brésil en quarts de finale (4-2) et l’Uruguay en demi (4-2 également). En finale, elle mène rapidement 2-0 face à l’Allemagne de l’Ouest mais se fait finalement remonter (2-3). Un drame !

Après cela, cette fantastique équipe nationale a été dissoute : suite à une tournée en Amérique du Sud, la moitié des joueurs ne sont pas rentrés au pays. Puskas a mis son talent au service du Real Madrid, qui a remporté cinq fois d’affilée la Coupe d’Europe des Clubs Champions.

Les Hongrois ont encore atteint les quarts de finale des Coupes du monde 1962 et 1966. En 1978, 1982 et 1986, ils ont été éliminés au premier tour. Depuis, ils ne se sont plus jamais qualifiés pour la phase finale d’un grand tournoi. Leur dernière participation à un championnat d’Europe remonte déjà à 1972. Laszlo Fazekas en était. De 1968 à 1983, il a porté à 92 reprises le maillot de l’équipe nationale, inscrivant 24 buts. Par la suite, ce fut la décadence.

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX

 » Par le passé, si nous ne remportions pas dix médailles d’or aux Jeux Olympiques, c’était la catastrophe « , dit-il.  » Pas mal pour un pays qui compte moins d’habitants que la Belgique. A l’époque du communisme, le sport était la seule façon de se distinguer dans un pays où il fallait marcher droit. Nous y accordions beaucoup d’importance car, lorsque les résultats étaient bons, les gens travaillaient mieux. C’est, du moins, ce qu’on prétendait. C’est vrai que, petit, je ne manquais pas une minute des matches de l’équipe hongroise. C’était notre grand avantage : nous avions des idoles.

Aujourd’hui, le monde a changé, les jeunes ont d’autres choses intéressantes à faire et ils sont très influençables. Il n’y a plus de service militaire, ce qui nuit à la discipline et engendre un manque de caractère. Les Hongrois ont toujours été opprimés – par les Turcs, les Habsbourg ou les Russes. C’est peut-être pour cela qu’aujourd’hui, ils se laissent vivre. Et puis, le football a tellement évolué que les clubs de l’ancien bloc de l’Est ne peuvent plus rivaliser avec les riches clubs occidentaux. En Hongrie, l’assistance lors des rencontres ne dépasse pas les 3.000 personnes de moyenne. C’est peu.  »

A Budapest, on assure qu’on y travaille. Viktor Orban, le Premier ministre, adore le football et joue même encore dans un petit club. Il veut refaire de la Hongrie une grande nation du football et fait en sorte que le sport soit royalement subsidié. L’opposition l’accuse cependant de corruption et de mégalomanie. Selon elle, seul le pouvoir l’intéresse. Quoi qu’il en soit, des millions d’euros ont déjà été consacrés à l’aménagement de terrains, synthétiques ou non, ainsi qu’à la construction et à la rénovation de stades. Pour Steven Vanharen, préparateur physique belge du MTK Budapest, ce n’est cependant pas qu’une question d’infrastructures.

 » Le problème du football hongrois est identique à celui que nous avons connu en Belgique il y a dix à quinze ans « , dit-il.  » Nous avons dû comprendre que nous faisions fausse route, que certaines choses, comme la formation des joueurs et des entraîneurs, devaient changer. Ce qu’il faut, c’est une nouvelle philosophie, une vision à laquelle tout le monde adhère. Et ici, ce n’est pas encore le cas. Quand on parle de foot avec un Hongrois, il parle de Puskas. Un joueur extraordinaire, bien entendu mais c’était il y a plus de cinquante ans. Ici, on vit encore énormément dans le passé. Si les Hongrois veulent aller de l’avant, ils doivent faire table rase, tirer les conclusions et redémarrer avec une nouvelle philosophie.  »

VIVEMENT UN PLAN !

Pour lui, les Hongrois aiment le foot.  » Mais d’un point de vue économique, le pays souffre. Les gens n’ont plus les moyens de s’offrir un abonnement et le nombre de spectateurs chute. On sent pourtant qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que le public revienne. Lors de notre match de Coupe d’Europe contre Vojvodina, il y avait près de quatre mille personnes. Pour la Hongrie, ce n’est pas mal du tout. Seul Ferencvaros fait mieux. Je pense que si la fédération a un plan, qu’elle le suit et que les équipes de jeunes progressent, il y aura automatiquement plus de monde dans les stades. Car il existe une tradition et une culture du sport dans ce pays.  »

Selon Florian Urban, international à quarante reprises, le football hongrois est dirigé par des incompétents. L’ex-joueur de Malines et d’Anderlecht possède la licence UEFA PRO d’entraîneur, il a effectué un stage à Anderlecht et entraîne actuellement deux équipes d’âge ainsi qu’une équipe première à un niveau inférieur en Hongrie.  » Le problème du football hongrois, ce sont les dirigeants fédéraux « , dit-il.  » Ils ne comprennent rien au football, n’ont aucun feeling. Je pense même qu’ils sont incapables de réaliser deux jongles (il rit).  »

 » La saison dernière, il y avait seize équipes en D1 mais à deux journées de la fin, ils ont décidé qu’il n’y en aurait plus que douze et qu’il y aurait donc quatre descendants. Maintenant, ils veulent revenir à quatorze. Dans ce pays, le champion de quatrième division doit encore jouer un tour final pour monter. Au cours des dix dernières années, on a lancé de nombreuses écoles de jeunes mais pourquoi aucun joueur n’arrive-t-il en Premier League ou même en D1 hollandaise ?

Investir dans les terrains pour les jeunes et dans l’infrastructure, c’est bien mais pourquoi construire de nouveaux stades ? Pourquoi un stade aussi grand pour le MTK Budapest qui joue devant 500 personnes ? Je me dis qu’on ferait mieux de d’abord relancer le football et puis de construire les stades quand le public suivra. Mais en Hongrie, on fait l’inverse : on construit des stades dans lesquels il n’y a rien à voir.  »

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTO EPA

 » Ici, quand on parle de foot, on évoque toujours Puskas. Les Hongrois ne vivent pas dans le présent.  » STEVEN VANHAREN, PRÉPARATEUR PHYSIQUE BELGE DU MTK BUDAPEST

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