Les grands travaux de Jans

Pourquoi l’entraîneur de Sclessin n’a-t-il pas encore trouvé les bons équilibres avant un voyage jamais évident à Charleroi ?

Il a fallu 211 minutes depuis le début de la saison avant que le Standard ne mette enfin un but. C’est trop long… Ce moment tant attendu résulte d’un beau mouvement orchestré dans un mouchoir de poche par Frédéric Bulot, Nacho Gonzalez et Luis Seijas, qui y a mis un point final avec brio. Ron Jans, le coach néerlandais de Sclessin, a déclaré avant la visite de Waasland Beveren  » que le premier but fera office de déclic « .

Même si son équipe semble engagée sur le chemin du progrès, il reste des interrogations très importantes sur la qualité du jeu, sur la préparation physique et, surtout, quant à une composition plus stable de la division offensive peu à l’aise durant la campagne des matches amicaux, puis sans globules rouges durant les deux premiers matches de championnat. Le stade n’a pas hésité à exprimer son étonnement et les trois buts sont les bienvenus pour adoucir les doutes et les premiers nuages d’orage. Les dangers d’une crise ne sont plus d’actualité mais ce qui reste un faux départ mérite une explication car le Standard doit convaincre vraiment. Pourquoi Jans ne l’a-t-il pas encore fait et quelles sont ses solutions pour y arriver ?

Jans a laissé Marvin Ogunjimi et Dudu Biton, accueillis avec tambours et trompettes lors de leur arrivée à Sclessin, sur le banc pour la visite de Waasland Beveren. Avant cela, ils n’ont pas trouvé le chemin des filets. Le petit Imoh Ezekiel a été excellent à la place préférée d’Ogunjimi et Biton. Jans a eu raison de s’en réjouir contre Beveren même si le niveau de cette opposition-là n’est pas du genre à passionner les stades. On ne peut pas oublier que Beveren a offert deux buts au Standard : un own-goal et un penalty. Il y a moins généreux que les Waeslandiens en D1.

Jans décide en fonction de ses idées et de son feeling

Derrière son sourire, le T1 rouche a en tout cas démontré, en lançant Ezekiel, qu’il ne tient pas compte des noms et des statuts mais bien du mérite et du travail de chacun.  » Nous savions que l’axe central de la défense de Waasland Beveren n’est pas rapide « , souligne Jans, bien tuyauté par son T2, Peter Balette, qui connaît parfaitement la D1.  » La vivacité d’Imoh a été payante, il a marqué des points.  »

Seijas a aussi saisi sa chance et a insisté à juste titre sur un mot souvent utilisé par Jans : confiance.  » C’est primordial et le coach insiste sans cesse sur nos qualités, la patience qu’il faut apporter à la construction devant des défenses renforcées. Il met des nouveaux principes en place. Avec un peu de chance, le Standard aurait pu avoir deux ou trois points de plus. Le stress a forcément joué un rôle après la défaite contre Zulte Waregem. Le Standard est resté calme après le goal de Waasland Beveren. Pour moi, c’est important et mon but égalisateur est tombé rapidement. Au-delà de cela, c’est la conception de ce but qui doit être retenue. A trois, on a trouvé un chemin dans le rectangle adverse. Pour la confiance, c’est d’autant important que le coach insiste pour que nous jouions de la sorte. Il était important que j’égalise de cette façon-là. « 

Jans décide en fonction de ses idées et de son feeling. Dès ses premiers jours à Liège, il a séduit ses collaborateurs par son ouverture d’esprit et sa disponibilité. Ses prédécesseurs les plus récents ont marqué les esprits. Jans est-il comparable à Michel Preud’homme, Laszlo Bölöni, Dominique D’Onofrio et José Riga ? Non, les différences sont importantes. MPH a poussé ses hommes dans leurs derniers retranchements : c’était parfois de la folie sur le banc. Jans est plus serein et ne s’emporte pas jusqu’aux limites de la crise cardiaque comme cela a été le cas de Preud’homme, presque mystique, envoûté par ses émotions.

Bölöni a hérité d’un effectif haut de gamme, taillé pour dominer son sujet en Belgique, et lui a donné une intéressante dimension européenne. Le coach roumain a prodigué prioritairement ses conseils à son équipe de base. Pour lui, les réservistes ne sont alors pas concernés et Bölöni connaît à peine leurs prénoms. Cela ne l’empêche pas d’être extrêmement présents aux entraînements. Il donne de la voix, interrompt sans cesse les phases de jeu. Böloni est animé par le côté autoritaire propre aux coaches venus d’Europe de l’Est. Il impose ses choix alors que Jans les partage, les explique sans s’énerver. Le boulot est différent. Si Bölöni a hérité d’une équipe en place, il n’en va pas de même pour Jans. Le Néerlandais doit mettre du neuf en place avec une préférence affirmée pour le 4-3-1 et le 4-2-3-1.

Notre D1 mise plus sur le physique que sur la technique

Si Bölöni est du genre invasif, grande gueule, Jans, lui, est du style soft qui dès ses premiers entraînements se distingue par le retour à un gros travail ballon au pied. Beaucoup de joueurs le soulignent :  » Tout est placé sous le signe du plaisir de jouer. Le Standard entend mettre au point une équipe qui joue bien au football avec des distances plus réduite qu’avant entre les lignes. « 

D’Onofrio et Riga ont aussi marqué leur passage au Standard. Avec l’apport de Sergio Conceiçao, DD a relancé la mécanique avec hargne après l’ère Bölöni et gagné la Coupe de Belgique après être passé à deux doigts du titre. DD a lancé beaucoup de jeunes. Riga n’a tenu qu’un an mais a eu le mérite de présenter des solutions quand le Standard s’est séparé de stars comme Axel Witsel, Steven Defour ou Mehdi Carcela. Un regard différent, moins régional, est intéressant. Jans arrive d’un championnat, celui des Pays-Bas, où le football est moins engagé, moins défensif avec généralement trois attaquants. Les espaces sont peu nombreux en Belgique. Jans a découvert une D1 qui mise plus sur le physique que sur la technique. Même un coach expérimenté doit intégrer ces réalités sans renoncer à ses grands principes.

Guy Namurois n’est plus là et il faut trouver de nouvelles habitudes. Il y a tout de suite eu du boulot dans la mesure où les principaux renforts ne sont pas arrivés avec une condition physique identique. Biton n’a pas beaucoup joué durant ses six derniers mois passés au Wisla Cracovie, qui n’a pas levé l’option d’achat. Un tel retard ne s’efface pas du jour au lendemain et il en va de même pour Ogunjimi qui, snobé à Majorque, est à la recherche de sensations. Même si c’est inattendu, ces joueurs expérimentés ont besoin de temps pour trouver leur place et cela a un impact sur l’équipe. Ajdarevic n’a pas eu le temps de se reposer en quittant la D1 suédoise pour la Belgique. Tout cela s’est vu sur le terrain. Il est inconcevable que ces renforts ne tournent pas au plus vite au rythme qu’on est en droit d’attendre d’eux. Jans doit y veiller car le Standard ne peut pas se permettre l’échec d’un seul de ces nouveaux. Pour le moment, ils ne répondent pas à l’attente. Et cela explique en grande partie les soucis à l’allumage du Standard. Cette équipe n’a pas encore trouvé tous ses équilibres et le temps presse pour les clubs ambitieux.

Neuf joueurs de la saison passée face à Waasland

Jans a eu la sagesse de ne pas s’obstiner avec eux car il sait que la saison est longue et que le travail du préparateur physique, Carlos Rodrigues, ne peut qu’être payant. En attendant, le Standard a aligné d’entrée de jeu neuf joueurs de la saison passée face à Waasland Beveren. Il y a donc du pain sur la planche à tous points de vue avec les nouveaux qui ne peuvent passer des mois sur le banc. Même si un coach mental ne marque pas de buts, Jans mise sur l’apport d’un surplus de préparation psychologique.

Certains joueurs, comme Bulot, ont l’estomac noué quand ils évoluent à Sclessin. Le regretté Raymond Goethals a parfois dit, avec sa gouaille habituelle, d’un joueur écrasé par le poids des événements :  » Il a tellement le trouillomètre à zéro qu’on ne pourrait même pas lui glisser une feuille de papier à cigarettes entre les fesses « . Sclessin a ses avantages et ses exigences. Même Jans a été ému par l’ambiance qui règne dans l’Enfer des Rouches, c’est tout dire :  » J’ai connu de belles ambiances aux Pays-Bas mais Sclessin, c’est vraiment extraordinaire . »

Malin, Jans sait que ses grands travaux sont loin d’être terminés. Le Standard ne peut pas se contenter d’une place dans le ventre mou de la D1. Le Néerlandais reste calme après une défaite ou un succès. Il ne bazarde pas toute l’épure tactique après un pépin. Il y a eu des doutes mais il a la certitude de bosser à long terme. Le succès acquis face à Waasland Beveren rassure mais ne change rien à ses obligations : cet effectif doit relever au plus vite son niveau de jeu.

Laurent Ciman est d’accord et précise :  » Cela va venir avec les matches, j’en suis certain. Ce n’est qu’une question de rythme et de réglages. Il a rétabli la joie de vivre et de travailler ensemble. L’ambiance est formidable car, en plus de sa compétence, Jans est un homme honnête qui dit A et maintient ce qu’il a dit. Oui, on travaille beaucoup avec le ballons mais notre préparateur physique sait aussi quand il faut mettre la gomme.  »

La défense est-elle assez solide ?

De l’aveu même de l’entraîneur, son secteur défensif est en place et il ne compte pas changer quoi que ce soit.  » J’aime avoir un onze de base stable et ne pas y apporter trop souvent des changements « , clame Jans.  » Or, pour le moment, comme il n’y a personne d’incontournable en attaque, je cherche encore. Par contre, notre organisation défensive est bonne. « 

L’essai Jelle Van Damme en défense centrale a été transformé. L’ancien médian manque parfois encore un peu de repères mais on sent que le tandem Van Damme-Ciman monte en puissance. Les automatismes rentrent et une sensation de solidité se dégage de cette charnière.  » Le duo Ciman-Van Damme, il va falloir le bouger « , confie avec admiration Philippe Albert. Solidité dans le trafic aérien, rapidité de course, les deux hommes ont très bien débuté la saison.

Reste à voir comment la concurrence de Kanu peut perturber cette machine. Trois hommes de qualité, ce n’est pas trop demandé pour un club comme le Standard. Mais, comment le Brésilien va-t-il vivre son transfert avorté à l’Olympiacos ? Certains estiment qu’il pourrait encore partir mais on en doute. Les clubs intéressés ont certainement été échaudés par les tests médicaux ratés. Si Kanu reste à Sclessin, il faudra suivre son état d’esprit. A 100 % concentré sur le Standard, Kanu est un des meilleurs défenseurs du championnat. On ne peut donc pas le snober. Qui fera alors les frais d’un éventuel retour en forme de Kanu ?  » Ce n’est pas encore un dossier brûlant car il n’est pas opérationnel « , affirme Jans.  » Mais quand il le deviendra, il sera le bienvenu. Cela n’est peut-être pas une mauvaise chose pour le club. Désormais, contrairement aux années précédentes lors desquelles des rumeurs de transfert le concernant circulaient, il sait que l’unique solution demeure le Standard. Il peut donc se concentrer à 100 % sur notre club.  »

A priori, Jans a donc trouvé son quatuor offensif avec Reginal Goreux, Van Damme, Ciman et Sébastien Pocognoli en discussion avec Benfica la semaine passée, devant un impeccable Eiji Kawashima.

Faut-il deux attaquants ?

A voir le manque de présence dans le rectangle et surtout les statistiques faméliques après les deux premières rencontres de championnat (0 but marqué), on pouvait se poser la question. Pourtant, Jans ne s’est pas départi de sa ligne de conduite. Pas question de toucher à son 4-3-3 même si beaucoup d’analystes ont l’impression de revivre le débat d’il y a un an, lorsque Riga avait, lui aussi, mis un certain temps avant de passer au 4-4-2 qui s’avéra bien plus productif.

Avant le match contre Waasland, Jans s’est défendu.  » Je ne peux utiliser deux attaquants que si ceux-ci sont à 100 %. Ce qui n’est pas le cas. C’est dommage car je voudrais avoir le choix de pouvoir changer de système.  » L’argumentaire semble bizarre car si on peut penser que si les attaquants (Ogunjimi ou Biton) ne sont pas encore à 100 %, pourquoi alors les laisser seuls devant ? Un attaquant esseulé bouge beaucoup plus et effectue davantage de travail que s’il est épaulé. Jans estime, lui, qu’il sera mieux secondé par des ailiers vifs et une seconde ligne plus en jambes que par un compère d’attaque qui manque de rythme.

Pourtant, on sent que Jans n’est pas encore satisfait par le rendement offensif. Contre le Lierse, le Standard n’a cadré qu’un tir ! Pour modifier la dynamique sans changer le système, l’entraîneur néerlandais a donc mis le jeune Ezekiel, très en verve lors de la préparation, à la place d’Ogunjimi. Choix payant puisque le Nigérian a disputé une bonne rencontre face à Waasland. Mais peut-on confier, sur le long terme, le poste d’attaquant isolé au jeune Ezekiel, le plus frêle et le plus petit des avant-centres ?

Beaucoup restent sceptiques.  » Il a réalisé une bonne prestation mais je le vois davantage dans un rôle de soutien d’attaque « , explique Albert.  » Il écarte encore trop le jeu, s’aventurant dans des zones où il devrait laisser le ballon aux ailiers ou aux défenseurs censés monter. En s’écartant autant, il s’éloigne du rectangle où, du coup, il n’y a plus trop de présence. « 

Imoh, en bougeant davantage la défense adverse qu’Ogunjimi lors des deux rencontres initiales, a donc souvent délaissé la zone de finition. De plus, en couvrant énormément de terrain, il risque de perdre du jus au moment de conclure. Encore une fois, si cette activité débordante est un avantage dans un système à deux attaquants, cela peut devenir un inconvénient dans un système à un avant.

Dans la tête de Jans, l’attaquant doit servir de point d’ancrage devant mais être soutenu continuellement par les ailiers et l’entrejeu. Pourtant, les ailiers posent également question. Bulot, annoncé comme un élément technique, a encore beaucoup de déchets dans son jeu. De l’autre côté, Geoffrey Mujangi Bia a disparu de la circulation après sa piètre prestation contre Zulte Waregem. Ajdarevic a été lancé au Lierse mais il est trop rentré dans le jeu, n’occupant pas assez son couloir.  » Moi, je suis un numéro dix ; ma position est plus centrale mais si l’entraîneur estime que je dois jouer à gauche, je donnerai tout à cette place « , a dit le Suédois. C’est finalement le Vénézuélien Seijas qui a repris le flambeau. Lui aussi aime repiquer dans le centre mais sa vitesse et ses débordements conviennent également à un rôle désaxé. Il a clairement marqué des points contre Waasland.

Enfin, de cette question du 4-4-2 ou du 4-3-3 découle une autre question : faut-il continuer à jouer avec deux médians défensifs ? Pour beaucoup, quand on évolue contre Zulte, le Lierse ou Waasland, on devrait pouvoir se passer d’un médian défensif. Entre Yoni Buyens et William Vainqueur, il y en a un de trop !  » Pour moi, ce n’est pas un problème « , se défend Jans.  » Quand il y a trois médians dans l’entrejeu, un effectue un travail défensif (même s’il doit pouvoir attaquer de temps en temps) et cet homme, c’est Vainqueur. Un est offensif (même s’il doit pouvoir presser) et cet homme, c’est Nacho. Quant au troisième, à savoir Buyens, il doit faire des aller-retour incessants.  » Entre la théorie et la pratique, il y a encore un pas, même si Buyens semble de plus en plus mettre le nez à la fenêtre.

PAR PIERRE BILIC ET STÉPHANE VANDEVELDE-PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » Il était important que j’égalise de cette façon-là.  » (Luis Seijas)

 » J’aime avoir un onze de base stable et ne pas y apporter trop souvent des changements.  » (Ron Jans)

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