LES GLADIATEURS DE L’EXTRÊME

La nouvelle discipline-phare des arts martiaux, compilation de différents sports de combat, prend de plus en plus d’ampleur en Belgique. Petit tour dans l’octogone, à la découverte de ce super-sport popularisé aux Etats-Unis.

Déjà, à l’époque, AB3 n’avait pas grand-chose pour elle. Des grilles de programmes un peu faméliques, nourries aux séries poussiéreuses et aux bluettes érotiques un brin ridicules. Pas de quoi affoler la zapette. Sauf le lundi soir. Parce que le lundi, en deuxième partie de soirée, la chaîne diffusait Smackdown ou Raw, les deux plus grands événements itinérants du catch américain. Et surtout quand AB3 s’est mise, toujours le lundi mais un peu plus tard encore dans la soirée, à diffuser des combats de mixed martials arts, le fameux MMA. Et pas n’importe lesquels…

L’UFC ou Ultimate Fighting Championship, l’organisation la plus puissante de la discipline, c’est la Champions League du MMA : que des monstres physiques ou techniques, véritables gladiateurs lâchés dans une cage. De vraies frappes de bûcherons, de vraies soumissions, du vrai sang, de vrais KO terrifiants. Pour nous, en deux temps trois mouvements, le MMA a ringardisé le catch. Comme le punk l’avait fait avec le rock des années 70.

On s’imaginait dans l’octogone, face à la technique d’Anderson Silva, l’agilité de GeorgeSaint-Pierre, la brutalité de Chuck Liddel ou la force alarmante de Brock Lesnar, cet ancien… catcheur. Combien de temps tiendrait-on, avant d’être expédié à travers la cage vers l’hôpital le plus proche ? Autant de temps qu’un profane qui affronterait Mike Tyson dans un ring…

 » Les coups portés au sol donnent cette impression de violence. Mais il faut savoir qu’un coup au sol a moins d’impact qu’un coup porté debout, même si à l’image, c’est impressionnant « , nous assure le Belge Kriss Larcin, 13 combats pro à son actif.

Technique, stratégie, beauté

Cela dit, à ses débuts, l’UFC n’a rien fait pour atténuer cette violente réputation. Bien au contraire. Le 12 novembre 1993, quand le premier événement du genre se tient à Denver, tout est permis. Ou presque. Pas de catégorie de poids, pas de juge, pas de limite de temps… Inspiré par le Vale Tudo brésilien, le MMA va pourtant se codifier au fil des ans, au point d’être aujourd’hui extrêmement réglementé. En Belgique, les accidents existent, comme dans n’importe quel sport. Mais ils sont (très) rares. Contrairement à la boxe par exemple, où l’essentiel des frappes aboutit dans le visage, les zones d’impact s’étalent sur le tout le corps dans le MMA. Et il est tout à fait possible de gagner un combat sans avoir donné un seul coup…

 » Bien entendu que ça reste dangereux. Mais j’ai regardé du rugby récemment, à la télé. Et je peux vous dire que j’ai trouvé ça hautement inquiétant ! Mais c’est dans les moeurs… Les gens pensent parfois que l’objectif du MMA, c’est de déverser le sang. Mais quand on est dedans, on sait que c’est technique, on sait l’importance de la stratégie. On voit le secret de ce sport. Et sa beauté « , témoigne le combattant amateur Ossama Loukili, 22 ans.

Même discours chez Lucas Veri, 26 ans, qui vient d’intégrer la catégorie Classe B, dans laquelle sont autorisées les frappes au sol :  » Je regardais régulièrement le MMA sur AB3, et sur Internet. Je me suis dit :-pourquoi ne pas essayer ? Et j’ai accroché. A la base, même moi, quand je regardais l’UFC, je me disais que c’était dangereux. Ça frappait au sol, partout, c’était violent. Mais au final, quand on en fait, on sait qu’il y a des règles. Au départ, mes proches avaient peur pour moi, mais maintenant, ils viennent me voir et me font confiance.  »

 » On est tolérés…  »

De fait, le MMA est surtout une discipline technique et exigeante. Le hasard n’y a pas vraiment droit de cité. Entrer dans un octogone ou dans un ring classique (les deux se pratiquent) en ne maîtrisant que le pied-poing, sans avoir aucun rudiment de lutte ou de grappling, vous donne assez peu de chance de l’emporter. Et inversement.

 » Dans le combat, on peut frapper, emmener au sol, projeter, etc. A la base, les gens se battaient. Puis les disciplines se sont spécialisées et perfectionnées dans la lutte, le judo, le muay-thaï, le grappling, le karaté, etc. En oubliant l’ensemble « , explique le très actif Ludo Boulvin (34 ans), président de la Fédération belge de Shooto & MMA. Lui, c’est sur Canal +, bien avant AB3, qu’il a découvert sa passion.  » C’était il y a 17 ans. Je faisais un peu de boxe thaïe en compétition à cette époque. J’ai cherché à pratiquer le MMA, mais il n’y avait rien à se mettre sous la dent en Belgique. Je suis donc allé m’entraîner à l’étranger.  »

Où il côtoiera notamment ces grandes figures du MMA que sont Cheick Kongo ou Alistair Overeem. Doté d’un joli palmarès (notamment champion d’Europe amateur de shooto, en 2006), Ludo partage son temps entre son job dans une grande société pharmaceutique et sa passion pour un sport auquel il s’adonne encore en compétition.

Si le MMA se pratique aujourd’hui de manière sérieuse et encadrée (stages, formations d’arbitres et d’instructeurs, compétitions pro et amateurs, galas de prestige, etc.) en Belgique, c’est en grande partie grâce à sa persévérance et à son acharnement : pas forcément très chaudes à l’idée de populariser un sport jugé trop violent, les autorités compétentes en matière de sport ne sont manifestement pas les plus grandes fans du MMA au monde.  » Disons qu’on est tolérés… Et qu’on se bat pour une plus grande reconnaissance.  »

A ce jour, la Fédération belge de Shooto & MMA a déjà organisé environ 2000 combats. Dans un respect qui ne se vérifierait pas toujours sur les rings d’autres sports de combat. Le degré d’exigence du MMA serait tel qu’il générerait automatiquement beaucoup d’estime entre combattants.

 » J’ai fait 13 combats pro et je suis encore en contact avec 10 des gars que j’ai affrontés. Plus les sports sont durs, plus les combattants se respectent. On sait tous les sacrifices qu’on a faits pour en arriver là « ,raconte Kriss Larcin.

Savoir se battre ne suffit pas

Aujourd’hui, devant la popularité galopante du MMA, les jeunes venus de la lutte, du jiu-jitsu, du karaté, du judo, du muay-thaï, du kick-boxing, de la boxe et d’ailleurs n’hésitent plus à faire le grand saut. En profitant chacun de leur background respectif pour développer leurs talents. Rares sont les combattants inexpérimentés qui parviennent à se mettre directement au MMA. Ou, en tout cas, qui parviennent à s’accrocher.

 » Aujourd’hui, beaucoup de gens se lancent dans le MMA parce qu’ils pensent qu’ils vont apprendre ce qu’on voit à la télé. Mais en réalité, c’est énormément de travail et de sacrifices. Quand ils voient la réalité en face, ça devient plus compliqué pour eux « , lance encore Ossama Loukili. Ce que confirme volontiers Kriss Larcin qui, en mai 2010, ouvrait du côté de Mons une salle spécialement dédiée au MMA :  » La plupart des gens qui viennent pour tenter de reproduire ce qu’ils ont vu à la télé repartent dégoûtés. Ce ne sont pas forcément des fortes têtes, mais ils aiment se battre, ou pensent savoir se battre. Malheureusement, aller cinq minutes au sol avec quelqu’un qui maîtrise des techniques de lutte, par exemple, ça ouvre les yeux… Ce n’est pas le cas avec les combattants venus de la boxe ou d’autres arts martiaux. Eux savent pertinemment bien qu’ils devront accomplir un gros boulot pour arriver à quelque chose.  »

Le succès de la discipline est tel que Kriss a dû engager de nouveaux coaches ! Autant dire que le niveau progresse rapidement, à mesure que les élèves affluent, que les combats s’enchaînent, que l’expérience s’accumule.  » Nous ne prenons personne en dessous de 16 ans. Et il faut avoir un physique acceptable : ce n’est pas tant d’être balaise que d’avoir fait du sport auparavant et d’avoir une bonne coordination. Le MMA regroupe plusieurs disciplines en une, et si on n’a rien fait auparavant, c’est un peu compliqué, parce qu’il y a beaucoup de choses à voir. Chez nous, le plus vieux membre a la quarantaine.  »

Et plus les combattants belges s’entraîneront, plus nos chances grandiront pour les prochains Championnats du Monde amateur de MMA.  » Ça se passera en juillet 2014, à Las Vegas, pendant la UFC Convention, précise Ludo Boulvin.  » Nous allons créer une équipe nationale que l’on va entraîner pendant six mois. Huit combattants belges (un par catégorie) seront de la partie, dans une compétition qui représentera 40 nations. Je ne crois pas qu’on fera mauvaise figure. Quand je vois le nombre de talents qu’on a ici… Si on pouvait faire de beaux résultats là-bas, ce serait une belle reconnaissance.  » Go Belgium !

PAR GUY VERSTRAETEN

 » A la base, les gens se battaient. Puis les disciplines se sont spécialisées dans la lutte, le judo, le muay-thaï, le grappling, le karaté, etc…  »

Ludo Boulvin (président de la Fédération belge de Shooto & MMA)

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