Les fous des Diables

Ils rêvent d’envahir la Grand- Place de Bruxelles comme en 1986. Qui sont ces supporters venus du nord et du sud du pays ?

C’est désormais en rangs de plus en plus serrés que les fous des Diables arrivent de Tournai et de Diepenbeek, de Charneux et de Diegem, de Charleroi et de Gand, d’Arlon et d’Ostende ; unis et les regards enchantés comme ceux des pèlerins qui se rendent à pied à Saint-Jacques de Compostelle. Après dix ans de solitude et de déceptions, ils chantent, font parler d’eux en bien, collaborent avec les supporters adverses pour créer un chouette climat dans les stades, faire la fête.

Leur enthousiasme avait marqué les esprits lors du match amical disputé à Gand, face à la Finlande. Et ils étaient fidèles au poste en Autriche, vendredi, puis pour recevoir l’Azerbaïdjan à Bruxelles. A Vienne, Johan Strauss (1804-1849) leur aurait probablement dédié sa magnifique Marche de Radetzky, qui précéda le coup d’envoi du concert des Diables Rouges placés sous la direction de Georges Leekens. Ces milliers de sympathisants font un bien fou aux joueurs.

 » J’apprécie beaucoup leur apport « , explique Daniel Van Buyten.  » Nous avons absolument besoin de ce soutien populaire. Une équipe s’accroche, se dépasse quand le douzième homme chante et nous pousse dans nos derniers retranchements. Il y a un changement d’atmosphère et le public belge partage notre projet. Cela faisait longtemps que l’équipe belge n’avait plus été soutenue à ce point, surtout à l’étranger.  »

Il faut remonter jusqu’au match amical Belgique-France (1-2), organisé en 2002 avant de prendre la direction du Mondial au Japon et en Corée du Sud pour retrouver cette ferveur. En 9 ans, le profil de notre équipe nationale a changé. A Paris, Robert Waseige avait aligné quatre joueurs évoluant à l’étranger : Van Buyten (Olympique de Marseille), Bart Goor (Hertha Berlin), Marc Wilmots et Nico Van Kerckhoven (Schalke 04). Depuis, le phénomène a pris de plus en plus d’ampleur. Bon nombre de jeunes Belges sont formés loin de nos stades. Les grands clubs étrangers ou les nouveaux riches font de plus en plus souvent leurs emplettes en Belgique.

Privé de Marouane Fellaini (Everton) et gardant Eden Hazard (Lille) sur le banc, Leekens a lancé huit  » étrangers  » dans la bagarre au Stade Ernst Happel : Simon Mignolet (Sunderland), Van Buyten (Bayern Munich), Vincent Kompany (Manchester City), Jan Vertonghen (Ajax), Timmy Simons (Nuremberg), Moussa Dembélé (Fulham), Nacer Chadli (Twente) et Kevin Mirallas (Olympiacos) en fin de match. Au vu des offres qui déferleront bientôt sur Romelu Lukaku, Axel Witsel et Steven Defour, ce courant ne cessera de prendre de l’importance.

 » Pour nous, ce n’est pas le plus important « , signalent deux jeunes étudiants venus de Slovénie où ils sont en Erasmus. Ils se sont tapé trois petites heures de train et ont déniché deux lits dans une auberge de jeunesse de Vienne. Un grand plaisir se lisait dans leurs yeux.  » En 1992, le Danemark a été sacré champion d’Europe avec 80 % de joueurs évoluant dans l’un ou l’autre grand championnat étranger. Le football se mondialise de plus en plus et les meilleurs Diables Rouges sont condamnés à voyager, à jouer loin de leurs frontières. Il s’agit d’un appauvrissement pour la D1 mais pas du tout pour les Diables. Nous sommes même très fiers des succès de nos internationaux à l’étranger.  »

 » Notre dream team « 

Ce sentiment est entièrement partagé par Erik Reynaerts (un solide Malinois, actif au sein de la Fédération des supporters des clubs professionnels et de la Fédération nationale des supporters : D2, D3, Promotion, équipe nationale) :  » Les amateurs de football ont changé. Ils ne s’intéressent pas qu’aux vedettes de leur club. Ils savent tous que Kompany est devenu un monstre sacré en Angleterre. Vince est le patron de la défense du club le plus riche au monde pour le moment : Manchester City. Et il ne s’arrêtera pas là. Hazard réussit des trucs dingues à Lille. Tout le monde adore Dembélé et Lukaku ou Witsel qui sont dans l’attente d’un très grand transfert. La qualité est là, indiscutable, et nous avons des stars du top niveau. Mais quand pouvons-nous les voir de près ? Tout le monde n’a pas le temps ou les moyens de se rendre à Manchester ou Munich. Alors, il reste l’équipe nationale pour approcher et apprécier nos stars. On va au foot comme on se rendrait à un concert de rock. Il y a du vrai talent sur le terrain. Quand cela tourne, c’est un régal.  »

Plus de 2.000 supporters étaient présents à Vienne et ils seront de plus en plus nombreux. Certains étaient venus de la région de Tournai pour admirer Hazard dans un autre contexte que celui de Lille. Ils étaient un peu déçus par l’absence de leur idole sur le terrain mais ne regrettaient pas d’avoir effectué le déplacement.  » Il s’est passé quelque chose et nous étions là « , nous ont dit certains d’entre eux.  » Ce sont des souvenirs qui resteront gravés dans nos mémoires. Un pays existe : les Diables Rouges l’ont prouvé ; nous aussi. Par ces temps de crise politique, c’est important. La Belgique attend un nouveau gouvernement depuis longtemps mais elle a une équipe nationale. « 

Au stade Happel, il n’y avait qu’un peuple, celui des Diables Rouges avec des francophones répondant en néerlandais aux chants des supporters flamands  » Waar is da feestje ? Hier is da feestje « . Et c’est en ch£ur, qu’ils reprenaient :  » Tous ensemble, tous ensemble « . Un supporter y alla de sa petite remarque :  » Les politiciens belges auraient dû nous accompagner à Vienne. Ils auraient compris des tas de choses. Leekens Premier ministre, Leekens Premier ministre, Leekens, Leekens, Leekens Premier ministre.  »

Le sud du pays est aussi très présent dans les rangs des supporters. Raymond Hens (Charleroi) est chargé de la sécurité. Il connaît le public des Diables Rouges sur le bout des doigts. Emu par le bon comportement des supporters à Vienne, il précise :  » A peu de choses près, on peut affirmer qu’il y a presque autant de francophones que de néerlandophones. Pourtant, les clubs du sud se font rares en D1. Les supporters flamands n’ont que l’embarras du choix le week-end. J’ai croisé des gens venus de la Province de Luxembourg. Tout le monde n’est pas supporter du Standard, d’Anderlecht ou de Charleroi. L’équipe nationale leur offre finalement la possibilité de suivre un grand match. Enfin, et c’est très important ; on peut joindre distraction, amusement, et culture générale. A Vienne, beaucoup ont fait la fête au stade avant de passer un week-end dans la capitale où il y a tant de choses à voir : théâtres, musées, beautés architecturales, etc. Vienne n’est finalement pas loin et c’est un des avantages du football le vendredi.  »

 » Leekens nous respecte « 

Le Devils Fans Charneux est le club de supporters le plus fidèle des Diables et les suit à domicile et en déplacement depuis 2003. Patrick Van Brabant et ses amis étaient de l’aventure à Cologne, Saint-Marin, Lisbonne, Nuremberg, Teplice, Helsinki, Turku, La Corogne, etc. Vendredi passé, ces douze fidèles ont décollé de l’aéroport de Cologne à 7 h du matin. A leurs yeux, Leekens a mis les choses au point en Autriche. Il a gagné cette bataille comme Napoléon s’est imposé à Wagram (sur le Danube), pas loin de Vienne, en 1809.  » Leekens est en tout cas un grand stratège « , affirme Hens.  » A Vienne, l’équipe nationale s’est finalement imposée à la Leekens. Je veux dire par là que cette équipe a su être solide, attendre son heure et a bien géré les événements du match.  »

Un supporter liégeois embraye :  » Le chemin de la qualification sera forcément long et périlleux. On ne peut que constater une chose : la fédé a perdu beaucoup de temps, d’argent et de crédibilité avec Dick Advocaat. Cet épisode de l’histoire des Diables Rouges a été ridicule. Nos clubs n’atteindront plus jamais une finale européenne. L’équipe nationale était notre étendard. Advocaat n’en était absolument pas digne et nous a trahis. Leekens a su trouver les mots pour créer une ambiance. Avec lui, nous nous sentons utiles, importants même : il nous respecte.  »

Le duo Leekens- Marc Wilmots est bien perçu :  » Ils ont tous les deux un gros vécu. Leekens a un solide parcours et le réveil de l’équipe nationale devrait être la cerise sur son gâteau. Wilmots est plus jeune et a de l’énergie à revendre. Nous n’avons pas oublié ses grands matches de la Coupe du Monde 2002, les joueurs non plus. Ils sont sur la même longueur d’onde et ce sont de fameux battants. L’équipe nationale avait besoin de cette formule.  »

En Autriche, la Belgique a dû se passer en dernière minute de Silvio Proto, Toby Alderweireld et Lukaku. Ces problèmes n’ont pas mis le feu à la baraque. Cette tranquillité a épaté les supporters :  » Il faut au moins deux joueurs pour chaque place. Proto et Jean-François Gillet rendront encore des services, c’est certain, mais Mignolet a probablement décollé en Autriche.  »

L’ancien portier de Saint-Trond a célébré ses débuts internationaux comme ce fut le cas de Michel Preud’homme en 1979. Paul Van Himst précisait à son propos :  » Simon a sorti deux arrêts importants, surtout à 0-1. Si les Autrichiens avaient égalisé, le match aurait pu être très différent. Je l’ai trouvé très à l’aise dans le trafic aérien. C’est un gardien de but très sobre qui ne plonge pas pour la galerie. Le meilleur de tous les temps, Lev Yachine, ne se lançait jamais dans des actions spectaculaires. Mais il était toujours bien placé.  »

En parlant de Mignolet, les supporters hésitaient entre Christian Piot et Peter Schmeichel en guise de comparaison. Après Autriche-Belgique et Belgique-Azerbaïdjan, les regards se tourneront désormais vers Belgique-Turquie du 3 juin prochain.  » Nous préparerons cette rencontre avec la plus grande attention « , souligne Reynaerts.  » Ce match sera probablement décisif dans la bataille pour la deuxième place. Il faudra créer une ambiance infernale. Nous sommes capables de le faire mais ce ne sera pas facile. L’équipe nationale turque déplace toujours beaucoup de monde. Nous accueillerons ses supporters avec respect mais il ne faut pas que leur équipe ait l’impression de jouer à domicile. Le déplacement en Allemagne, le 11 octobre sera passionnant aussi.  »

Quand la fédé investit dans ses fans

La fédération a compris le changement. Elle a investi 10.000 euros pour entourer les supporters en Autriche. Il fut un temps où l’Union belge renvoyait les billets aux fédérations adverses. Tout est désormais plus structuré. Vendredi passé, chaque autocar belge qui franchissait la frontière autrichienne était obligé de le signaler par SMS.

 » Personne n’a été abandonné à son sort « , précise Reynaerts.  » Il suffisait de former un numéro d’appel pour obtenir tous les renseignements nécessaires. Nous ne nous endormirons pas sur nos lauriers.  » La cellule marketing de l’Union belge se frotte les mains car cette popularité retrouvée est aussi le fruit de son travail. Ce service s’est beaucoup investi durant les années difficiles. L’absence de grands résultats compliqua la donne. Malgré cela, ils ont cru et ont élargi le portefeuille des sponsors. Ces derniers y ont cru, ont misé sur les joueurs, en premier lieu, et sur les supporters.

De son côté, Wilmots avait noté avec intérêt l’initiative de deux clubs du Brabant flamand et du Brabant wallon, soutenue par la Fondation Roi Baudouin. Les jeunes des deux clubs échangeront leurs jeunes qui s’entraîneront dans la langue de l’autre communauté.  » C’est le miracle du football « , explique Reynaerts.  » Nous sommes soudés derrière l’équipe nationale. A Vienne, nous avons distribué 1.000 drapeaux et 1.900 chapeaux.  » Les fous des Diables Rouges ont les mêmes rêves :  » Cette équipe nationale peut se qualifier pour l’Euro 2012 mais elle arrivera à maturité en 2014. Et nous ne pouvons pas rater le Mondial brésilien. « 

PAR PIERRE BILIC À VIENNE – PHOTOS: REPORTERS – IMAGEGLOBE

 » La fédé avait perdu beaucoup de temps, d’argent et de crédibilité avec Advocaat. Cet épisode de l’histoire des Diables Rouges a été ridicule. « 

 » Nous accueillerons les supporters turcs avec respect mais il ne faut pas que leur équipe ait l’impression de jouer à domicile. « 

 » Il reste l’équipe nationale pour approcher nos stars. On va au foot comme on se rendrait à un concert de rock. « 

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