« Les filles en ont bavé »

Saint-Servais est champion de Belgique chez les dames. Logique? Pas si sûr!

En battant Waregem en deux manches en finale des playoffs (70-76 en Flandre et 87-75 à Namur), l’équipe féminine de St-Servais est devenu championne de Belgique pour la neuvième fois de son histoire. Après les trois doublés consécutifs coupe-championnat réalisés ces dernières saisons, on pourrait croire qu’il s’agit d’un titre annoncé et attendu. Détrompez-vous.

« Lorsque j’ai été contacté en mai, le président Pierre Olivier, qui est un vieil ami, était désespéré », se souvient Marc Silvert. « Il m’a glissé: -Je n’ai plus d’équipe! Il y avait eu un gros déchirement dans le club. L’entraîneur Marc Foucart était parti à Waregem avec Cathy Populaire et Nele Deyaert. Laurence Thiry et Marie-Anne Caers étaient parties à Flémalle. Laurence Vanmalderen avait traversé la Meuse pour se rendre au Mosa Jambes. D’autres joueuses, comme Cathy Wambe qui se tâtait ou Candice Brus qui avait déjà trouvé un accord avec Waregem, hésitaient quant à leur avenir. Pierre Olivier m’a demandé de lui donner un coup de main pendant un an au moins. A la limite, il fallait essayer d’arriver dans les quatre permiers pour sauver la face. Nous nous sommes mis d’accord sur une poignée de mains. L’aspect financier a été relégué au second plan. Je suis arrivé en professionnel, mais pas comme entraîneur professionnel ».

Marc Silvert, pour ceux qui le découvrent aujourd’hui, est l’homme qui a bâti l’USVO, l’équipe de Valenciennes au sein de laquelle brille désormais Ann Wauters.

« J’ai passé 25 ans là-bas », raconte-t-il. « Lorsque j’ai pris ce club en 1974, il évoluait en… 11e division! J’étais un joueur professionnel de bon niveau (D1 et D2) et j’entraînais les filles trois fois par semaine. Nous sommes montés neuf années d’affilée pour arriver en D2 où, là, nous avons un peu stagné pendant deux ans. Nous sommes montés en D1 en 1985. C’était encore le club d’Orchies, un village situé à 20 kilomètres de Valenciennes. De 1985 à 1991, nous avons disputé quatre coupes européennes à Orchies. Puis est intervenu le déménagement vers Valenciennes. Il a fallu deux ans pour digérer ce changement, puis le club est reparti de l’avant. Il a atteint deux fois le Final Four de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, en 1995 et 1998. Hélas, à deux reprises, nous avons affronté en demi-finale l’équipe qui était favorite et qui évoluait à domicile: Côme d’abord, Bourges ensuite. J’ai quitté Valenciennes en mai 1999, parce que j’étais en rupture totale avec la stratégie des hommes politiques qui gravitaient autour du club. Ils voyaient d’abord le club comme une vitrine. Lorsque je suis parti, il y avait 320 joueuses affiliées et 25 équipes inscrites en championnat. Aujourd’hui, il reste 80 joueuses et 5 équipes. Tout est fait pour l’équipe Première. On m’a intenté un procès pour rupture de contrat. J’ai bon espoir de le gagner. Le divorce consommé, j’ai décidé de m’accorder une année sabbatique. J’ai, pourtant, failli rebondir très vite chez les garçons à Gravelines. L’affaire ne s’est pas concrétisée, tant mieux. L’année dernière, j’ai reçu d’autres propositions de clubs masculins, mais il fallait pour cela que je quitte le Nord-Pas de Calais et cette perspective ne m’enchantait guère ».

Jusqu’à ce que parvienne l’appel, quasiment de détresse, de son ami Pierre Olivier. « Il m’a confié un challenge qui, quoi qu’on en dise, n’était pas aussi facile à relever. Le titre a été vachement apprécié par les dirigeants du club car ils ne s’y attendaient pas du tout. Il y avait les problèmes d’effectifs que j’ai déjà évoqués. J’ai fait venir l’Américaine Ann Lemire: ce ne fut pas un mauvais choix. En octobre, lorsque mon équipe a été battue par Deerlijk en ayant réalisé un 1/18 à trois points, j’ai appelé une joueuse française, Laurence Clauss, dont j’avais pu apprécier les qualités de shooteuse lorsqu’elle évoluait à Strasbourg. J’ai renvoyé une Russe qui ne donnait pas du tout satisfaction. On m’a traité de fou: remplacer une joueuse intérieure de 1m95 par une ailière qui ne shoote qu’à trois points, c’était du non-sens. En fait, j’ai rééquilibré l’équipe. J’ai aussi été confronté au statut amateur du club qui était sans commune mesure avec le professionnalisme que j’avais connu en France. Chacun a fait un pas l’un vers l’autre. De deux entraînements par semaine, je suis progressivement passé à deux entraînements par jour les lundi, mercredi et vendredi, entrecoupés -avec l’aide de mes deux assistants Guy Massart et Jacques Ringlet– de séances de musculation et de shoot les mardi et jeudi. Le paramètre physique a joué un grand rôle dans notre succès. En mars, les filles en ont bavé. Mais elles en ont recueilli les fruits durant les playoffs ».

St-Servais s’est distingué par un jeu rapide et une agressivité défensive de bon aloi. « Cela a toujours été ma marque de fabrique. Mon dada, ce sont les récupérations de balle directes, car elles favorisent le jeu rapide ».

Un style de jeu qui nécessitait une équipe très jeune. « En tout cas, j’avais besoin d’une rotation de huit joueuses. Or, dans mon noyau de dix, quatre joueuses n’avaient que 18 ans. Pendant la saison régulière, je les ai toutes fait jouer. A la fin mars, j’ai dû conclure qu’ Amandine Monbaliu et Catherine Demoulin étaient encore trop tendres pour les playoffs. Je ne leur ai pas coupé la tête, mais leur ai fait comprendre que leur rôle était terminé. Gaëlle Pousseur et Sophie Charlier, mes deux autres joueuses de 18 ans, m’ont par contre été utiles dans la phase décisive. Elena Ovtcharova, c’est le cas inverse: elle a 36 ans et il fallait la ménager. Mais elle a encore sorti un grand match en finale ».

Mais il n’y a pas que le jeu rapide. « L’assistant de Waregem, qui nous a souvent visionné, a confié à mon propre assistant: -La difficulté, lorsqu’on affronte St-Servais, c’est que vous avez 10 défenses différentes et 25 schémas offensifs différents. Il est pratiquement impossible de prévoir comment vous allez jouer. Cet éventail d’options nous a permis de ne jamais être pris en défaut. A la limite, 40% des options étudiées n’ont même jamais été utilisés ».

L’humilité qui caractérise les Belges a surpris Marc Silvert : « Je me suis rendu compte que, dans le basket belge, les autres ont toujours envie de vous coller une étiquette de favori. C’est une manière d’évacuer la pression. Personnellement, je vois les choses différemment. J’affirme plutôt que j’ai gagné le pari de faire croire à tous les adversaires que nous étions les meilleurs. Or, je ne suis pas persuadé que c’était le cas. Nous n’étions pas du tout l’équipe imprenable que l’on a bien voulu dire. Mais, à force de le croire, nos adversaires nous ont trop respecté ».

Il y a pourtant un hic à la saison de St-Servais: la défaite en finale de la Coupe de Belgique, toujours contre Waregem. Elle est restée sur l’estomac de Marc Silvert. « En tant que coach, je suis obligé d’assumer une défaite qui est, en fait, imputable à un défaut de structure. Une finale de Coupe de Belgique est sans appel. On joue sa saison sur un match. La finale avait été programmée à 11 heures. J’avais demandé aux filles d’être présentes à 9 heures. Elles sont arrivées à 10 heures. Lorsqu’on dort dans la voiture, il ne faut pas s’étonner qu’on mette une mi-temps avant de se réveiller. Pour moi, c’est comme si l’on avait travaillé d’arrache-pied pendant six mois et que l’on était arrivé à l’examen en bâclant tout. Nous aurions pu, comme les messieurs de Charleroi, passer la nuit à l’hôtel. Si nous ne l’avons pas fait, ce n’était pas pour des raisons financières, mais plutôt parce que ce n’est pas ancré dans les habitudes du basket féminin. Je conserve, encore aujourd’hui, un gros sentiment de frustration, car nous avons véritablement offert cette coupe à Waregem. J’espère, en tout cas, que cela nous servira de leçon pour l’avenir ».

Un avenir qui se conjuguera avec Marc Silvert? « Je dois encore en discuter avec les dirigeants. Je sens chez eux une réelle volonté de monter une équipe capable de jouer un rôle en vue sur la scène européenne. Si c’est le cas, il n’y aurait plus besoin de bluffer au niveau du championnat de Belgique: le doublé coupe-championnat sera dans la poche avant que le premier match ne soit joué. Car l’équipe serait vraiment très forte. Je sais ce qu’il faut faire pour arriver au top européen, encore faut-il que je sois suivi. J’accepterai le challenge à condition d’avoir le choix des armes. L’effectif, c’est moi qui le composerai ».

Daniel Devos

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