LES FICELLES DU SUCCÈS

Il est la figure-clef des derniers mois souriants en mauve. On a voulu comprendre pourquoi l’homme et le coach faisaient (aujourd’hui) tant l’unanimité.

Roger Vanden Stock cache souvent difficilement ses émotions. Le 18 mai dernier, jour du 33e titre après un succès face à Lokeren, au micro des journalistes télés, le Président semble totalement retourné par ce qui vient de se passer. Un peu plus de deux mois plus tôt, Anderlecht enquille les défaites sous John van den Brom et le club prend l’eau de toutes parts. Incohérence dans le management, jeu indigne, transferts chaotiques, leaders absents, jeunes perdus, Anderlecht se dirige vers une année synonyme de fiasco sur toute la ligne ou à peu près.

Une formule de championnat bien belge et un homme vont renverser le cours des événements de façon inattendue. Le Président Vanden Stock sait mieux que quiconque ce qu’il doit à son coach. Lors de la conférence de presse annuelle de présentation, fin juillet, il introduit d’ailleurs son discours accompagné de quelques trémolos dans la voix par des remerciements à son encontre. Besnik Hasi n’a pas apporté qu’un nouveau titre au Sporting mais a ramené de la sérénité et une assise financière, liée à la qualification directe pour la Ligue des Champions, indispensable. Sans quoi l’exode aurait été bien plus brutal et les arrivées moins tape-à-l’oeil.

Comment fonctionne-t-il ?

Arriver à cerner le coach albanais, c’est se plonger dans son passé. Débarqué il y a 20 ans en Belgique sans faire de bruit, Hasi a bâti ses succès à la sueur de son front, à l’écart de toute médiatisation. Ses quelques jolis coups de patte n’ont jamais effacé ce pourquoi il était apprécié et reconnu : récupérer, donner, faire mieux jouer les autres. Même son arrivée à Anderlecht comme récupérateur sera évincée par celle de son clone de la sale besogne, Yves Vanderhaeghe.

Un joli ballon piqué envoyé dans la course de Tomasz Radzinski parti inscrire l’unique but face à la Lazio Rome lors de la brillante campagne des Mauves en 2000-2001 en Ligue des Champions sera son plus haut fait d’arme. Peu importe, l’homme a toujours réfléchi en termes collectifs.  » Joueur, il était le ciment entre les lignes. Son rôle était de réfléchir à l’équilibre du jeu « , explique Ariel Jacobs qui fut son coach pendant une saison à Lokeren (2006-2007) avant d’en faire son adjoint pendant quatre ans à Anderlecht (2008-2012).  » Et ça se ressent dans son coaching aujourd’hui. Besnik accorde énormément d’importance à l’organisation, à l’équilibre entre le jeu offensif et défensif.  »

Nenad Jestrovic fut son coéquipier à Anderlecht pendant deux saisons. Deux amis à la personnalité bien différente :  » Il parlait tactique sans arrêt. Joueur, je le voyais déjà comme un futur entraîneur alors que moi j’étais obnubilé par le but. C’ est un vrai passionné, un gagneur. Perdre à l’entraînement pour lui était un drame. Le roi de la ponctualité aussi, que ce soit à table, pour rejoindre le bus, etc. Et quand l’entraînement débutait, il était toujours à 100 %. Son rythme cardiaque pouvait atteindre les 200 battements par minute alors que je ne dépassais jamais les 170…  »

 » Il s’investit totalement dans son travail, le foot c’est sa vie « , poursuit Jacobs.  » Il n’était certainement pas l’assistant qui se contentait de disposer des cônes. Parfois, je pouvais avoir des discussions animées quant à la tactique à mettre en place mais il respectait toujours mes décisions. Besnik est quelqu’un de très loyal.  »

 » J’aime beaucoup la personne « , poursuit un proche de la maison mauve.  » Besnik ne se laisse pas influencer. Il a une vraie vision et ne se laisse pas dicter les choix par un membre de la direction ou un agent, il se tient loin de toutes les magouilles et donc des pressions du milieu. Et il a un vrai plan de carrière, je ne le vois pas s’arrêter à Anderlecht. Il n’est pas loin du profil parfait… Je ne regrette qu’une chose : qu’il n’y ait pas plus de personnages comme lui en Belgique.  »

Quels grands travaux ?

Ses partisans sont aujourd’hui de plus en plus nombreux. Les critiques restants vous diront qu’il est encore bien trop tôt pour se faire un avis, que les vrais tests c’est pour maintenant, et qu’il a pu profiter, lui, la caution rigoureuse, des errements de  » Van den Brom le dilettante « . Si son schéma tactique (voir plus loin) ne se veut en rien révolutionnaire, Hasi s’est surtout attaché dès sa prise de fonction à réapprendre  » l’abc du foot  » (dixit Olivier Deschacht) à ses joueurs. Certains comme Youri Tielemans ou Dennis Praet, totalement effacés et perdus sous VDB, ont été pris à part : Hasi leur a délimité un cadre de travail, des tâches précises et ce qu’il attendait d’eux. La deuxième étape fut d’augmenter le rythme et la dose de travail.

 » Certains joueurs n’ont pas supporté physiquement les séances de Besnik car on n’avait pas l’habitude du travail « , rappelait Fabrice N’Sakala.  » Sous Besnik, les joueurs ont tiré la langue dès qu’il a imposé un deuxième entraînement. Mais le travail a rapidement porté ses fruits au niveau du pressing, de l’impact dans les duels, tout a changé très rapidement. Les joueurs étaient à l’image de leur coach, quelqu’un qui aime les duels, avec des joueurs qui s’arrachent.  »

Un changement de coach qui responsabilise le groupe. Pour la première fois de la saison, des entraînements sont effectués à vide. Sous Van den Brom, tout se fait avec ballon mais les appels, les déplacements, les replis défensifs, le jeu sans ballon sont absents des programmes. Hasi réintroduit ces basiques. Les éléments créatifs se métamorphosent :  » Ilnous a fait jouer plus bas. Parfois, j’ai dû revenir tout à fait derrière, comme Andy Najar de l’autre côté. Pour arpenter le flanc comme ça, il faut une bonne condition et du volume « , pointait Dennis Praet en début de saison.

Fini les  » horaires décalés  » chers au Hollandais, ça bosse dur désormais du côté de Neerpede. Les joueurs débarquent à 8 h et repartent en fin d’après-midi.  » Je veux que tout le monde pense beaucoup plus au football « , expliquait Hasi à S/F Mag en fin de saison.  » Il n’est pas nécessaire de s’entraîner trois fois par jour mais, au club, il y a beaucoup de choses auxquelles on peut penser. Quand on dispose de telles conditions de travail, il faut les utiliser.

Ici, surtout parmi les jeunes, il y a des joueurs pour lesquels le football s’arrête dès la fin de l’entraînement. Ils devraient vivre davantage pour leur sport : faire des exercices avant la séance, mieux se soigner, prendre le temps de se reposer, veiller à leur alimentation… Et je trouve normal que, quand un match passe à la télé, ils le regardent.  » Hasi tape sur le même clou : une implication totale est demandée et rappelle à ses ouailles que le foot est un métier. Ça peut paraître banal mais certains l’avaient alors oublié.

Tactiquement ça donne quoi ?

Le 16 mars dernier, pour sa première à la tête d’Anderlecht face à Ostende, Hasi poste directement deux attaquants devant (MitrovicPollet). Dans un premier temps, on peut croire à une opération charme du néo-T1 envers un public longtemps irrité par les changements incessants et la seule pointe offensive sous VDB. Il n’en est rien : hormis au Standard, Hasi aligne à chaque sortie un 4-4-2. La défaite à Sclessin (1-0) lors de la première journée des play-offs annonce certains principes : Hasi n’est pas du type à partir la fleur au fusil, ce soir-là le milieu (qui passe à travers) est composé de GilletKljestan et un peu plus haut sur l’échiquier Tielemans. Mais, surtout, Hasi ne s’entête pas.

Pollet, aligné seul en pointe et jugé trop court ne réapparaîtra qu’à de rares occasions, les deux pointes (Cyriac-Mitrovic) sont par contre réintroduites jusqu’à la fin de la saison, même lors du déplacement à Bruges, véritable tournant pour Anderlecht. Réduit à 10 suite à l’exclusion de Mitrovic à la demi-heure, Anderlecht prouve qu’il sait faire le gros dos et retrousser ses manches : Praet multiplie les courses sur son côté gauche, même chose pour Najar côté droit. Hasi, lui, gagne la bataille tactique avec MichelPreud’homme : bien en place mais les jambes lourdes pour certains, Hasi décide d’introduire à 20 minutes du terme de la vitesse avec BrunoAcheampong à la place de Praet et Cyriac et de l’expérience par Gillet en lieu et place de Najar. Le seul but du match viendra du trio monté au jeu, bien aidé par… Thomas Meunier.

La grande trouvaille tactique reste le positionnement de Cheikhou Kouyaté au milieu défensif face à Bruges (3-0) à domicile lors du match le plus abouti de l’ère Hasi. Ce seul changement va totalement modifier le jeu jusque-là emprunté et mollasson du Sporting. Le Sénégalais apporte son volume et l’équilibre entre les lignes chère à son coach et libère la merveille Tielemans. Le duo du milieu de terrain sera la grande réussite de la fin de saison. Alors qu’il souhaitait la venue de William Vainqueur pour combler le départ du Sénégalais, Hasi devra attendre la venue de Steven Defour pour retrouver cet équilibre. Désormais, Hasi varie ses systèmes. Comme quand il aligne un séduisant 4-3-3 à Bruges avec Praet à la pointe du triangle de l’entrejeu.

Il n’hésite pas, non plus, à chambouler son organisation quand l’équipe cale. Comme à Westerlo où il sort à la mi-temps un défenseur (Nsakala) pour un troisième attaquant (Suarez) avant d’étonnamment freiner ses élans (sortie de Cyriac-Mitrovic pour Kljestan-Acheampong) alors que l’équipe est revenue à 2-2. Au Lierse, c’est MaximeColin et Tielemans qui sont remplacés par Suarez et IbrahimaConte à la mi-temps avec effets immédiats. Le Sporting de Hasi présente cette saison davantage de variété : Praet à gauche ou en pointe, Najar au milieu ou à l’arrière droit, Kabasélé à droite, Acheampong, Suarez, Cyriac, les solutions sont nombreuses.

Conte, pourtant peu mis en avant dans notre Jupiler League jusqu’à son transfert de dernière minute, et ardemment désiré par Hasi, apporte encore davantage de solutions et de créativité. La blessure de Bjorn Nuytinck a mis en lumière, par contre, de sérieuses lacunes défensives. Sa sortie à Galatasaray fut un coup du sort transformé en coup de maître avec le repositionnement d’Acheampong, novice dans la fonction, à l’arrière gauche et Deschacht dans l’axe. Anderlecht n’avait plus affiché depuis longtemps un visage aussi ambitieux en Ligue de Champions que ce soir-là à Istanbul.

Quid de sa com’ ?

Que ce soit au niveau de sa communication avec le groupe ou avec l’extérieur, le bilan est très positif. Certes, on a pu le voir se prendre la tête avec ses joueurs à quelques occasions, souvent avec le bouillonnant Mitrovic ou même avec le plus réservé Sacha Kljestan, il n’en demeure pas moins que le T1 des Mauves garde une totale emprise sur son groupe. Son arrivée a été vue comme une libération par l’entourage de Praet ou de Tielemans notamment, elle a relancé la carrière de Nathan Kabasélé sur qui plus beaucoup de personnes ne comptaient et a redonné le sourire à Suarez. Même Guillaume Gillet, capitaine en début de saison dernière, et pourtant écarté, s’est montré compréhensif :

 » Vu les résultats, je ne peux pas lui donner tort. J’ai mordu sur ma chique et essayé de montrer l’exemple malgré une situation délicate. Le coach m’a expliqué qu’il donnait la préférence à un joueur qui jouait juste devant la défense (Cheikhou) et à Youri parce qu’il avait une bonne technique et qu’il lisait bien le jeu.  » Clair et précis. Même le mal-aimé Milivojevic n’a pas rué dans les brancards. Nenad Jestrovic, agent de Mitrovic, confirme :  » Aleksandar a été surpris par son implication, son enthousiasme. Il sait motiver ses troupes. Parfois, ça a pu être énergique entre lui et Besnik, c’est normal, ce sont deux tempéraments des Balkans. Mais dès les vestiaires, c’est terminé.  »

Hasi n’est T1 que depuis un peu plus de 200 jours. La fonction ne l’a pas encore renfermé ou rendu cynique comme c’est arrivé à bon nombre de ses prédécesseurs. S’il ne la joue pas tape dans le dos avec les médias, il se montre disponible et ne manie pas la langue de bois. Clair et précis qu’on vous disait. Et même quand son tempérament le fait déraper et entrer au bêtisier comme après le match face à Charleroi, il s’en sort avec le sourire de circonstance.  » Ma chute ? J’avais des chaussures glissantes.  »

Les arbitres ne sont pas non plus dans sa ligne de mire, la coquille de Caliméro il la laisse aux autres. Du moins pour l’instant.  » Comme adjoint, je l’ai connu parfois précipité, nerveux. Je devais parfois le calmer par rapport aux décisions des arbitres ou concernant les gesticulations des coaches adverses. « , se rappelle Ariel Jacobs.  » Aujourd’hui, on le sent plus pondéré, que ce soit dans sa communication individuelle ou collective. C’est son image globale que je trouve très positive.  » ?

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Hasi se tient loin de toutes les magouilles et donc des pressions du milieu. Et il a un vrai plan de carrière.  »

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