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Les fantômes de l’apparat

Je vais vous narrer une époque où la valeur du labeur se nommait Europe. On ne va pas parler politique ni de cette illusion en forme de mirage pour crédules appelée Union européenne. Non, on va parler foot et Coupe d’Europe. À mon époque, pas si lointaine en fait, jouer l’Europe était une récompense. On ne pensait qu’à ça. Se remplir la panse du festin européen. Une saison à se battre pour battre les autres et se qualifier. Finir dans le top 3 pour jouer le mercredi. Pour être sur le terrain pendant que 90% de nos collègues nous regardaient en bavant d’envie d’être à notre place. Ces rendez-vous européens étaient le nectar de nos vies de joueurs de foot.

On voyageait, on allait dans d’autres pays. Voire sur d’autres planètes, style l’Islande. Parfois, le tirage provoquait le grattage de méninges: « Putain, on va aller jouer à Benfica, à la Juve, à Brême. » Nous les p’tits Liégeois. Du RFCL, hein. On devenait les rois du monde. On était fiers. On jouait à chaque fois les matches de notre vie. Et comme qui dit Liégeois, dit « rien d’impossible », on faisait de nos rêves des réalités. On battait les grands. Devenus gros le temps de nonante minutes à force de se goinfrer de leur suffisance. Les 35.000 autres Liégeois dans les tribunes vivaient une parenthèse enchantée. Tellement qu’ils s’en déchiraient la gorge à nous gueuler leur amour. Ou encore envahissaient un aéroport pour nous accueillir après une qualif’ chez un ténor européen. Avec la fanfare. Une autre époque. Des moments de suspension avec un point d’exclamation à la fin. Putain, que c’était bon!

Cette compète est une trottinette alors que nous, tous les week-ends, on roule en Moto GP en Premier League.

C’était au temps où qui disait Coupe d’Europe, disait qu’on passait à la TV. Un temps où le championnat belge en direct live dans le poste, c’était rare. Maintenant, tout est vu. Tout le temps. La rareté est devenue banalité. Maintenant, je ne joue plus, je parle à propos de ceux qui jouent. Et ma foi en prend une cirrhose.

L’illustration de ma dépression prend les traits grossis à la loupe spuresque de Tottenham. Deux matches de Conference League. À Rennes et à Vitesse Arnhem. Une honte. Un traînage de pantoufles en peignoir. Une tentation de ne plus appeler notre sport favori un jeu. De ne plus parler de joueurs. Ce sont des employés. Qui n’aiment pas leur boulot. Ils sont poisseux. Sans souffle. Gangrenés par l’auto-suffisance des nantis. La Conference League? « Rien à foutre. » Mais bordel, t’as 500 supporters en tribunes qui se tapent Londres-Arnhem. Réveille-toi!

Faut dire que le message envoyé par leur coach était clair: « Cette compète est une trottinette alors que nous, tous les week-ends, on roule en Moto GP en Premier League. » Les onze joueurs qui avaient débuté le match à Newcastle quatre jours plus tôt ne sont pas là. Même pas sur le banc. Restés à Londres. Ce qui se fait de mieux ne fera pas d’envieux. Même sur le terrain, les fantômes de Tottenham ont disparu, sans jamais être apparus dans cette soirée batave. Exemple avec Dele Alli. Alli, allô? Tu rentres du boulot? Boulot est le mot. Ce gamin jadis flamboyant est devenu une caricature. Il se traîne. Au mieux, il trottine. On dirait Paul Pogba « le trottineur des Lilas » qui poinçonne sur le banc lors du come-back flamboyant de Manchester United contre l’Atalanta. Une de ces soirées uniques qui collent aux gènes des grands clubs. Pour qui Coupe d’Europe veut encore dire exception et qui achètent des joueurs du même qualificatif pour ça. Style Ronaldo, qui traîne à prendre sa pension. Tant mieux, lui ne se traîne jamais sur un terrain. Il s’entraîne puis entraîne ses coéquipiers sur le chemin de la victoire. Il a ça en lui. C’est pour ça qu’on l’a en nous.

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