» Les Espagnols jouent au foot, les Anglais font la guerre « 

Ejecter Cech, c’est fait. Etre champion d’Angleterre, bientôt. Confirmé,  » Mourinho a toujours raison « . Toutes ses confidences sur sa première saison anglaise, son métier, etc…

Thibaut Courtois a calé un rendez-vous avec la RTBF et Sport Foot Magazine entre un entraînement avec Chelsea et une interview avec un média chinois. Le press officer des Blues nous signale que sur la waiting list pour le rencontrer, il y a en permanence une quinzaine de noms. On s’installe avec le grand une semaine après le couac contre le Paris Saint-Germain et le lendemain de la qualification de son Atletico Madrid pour les quarts de la Ligue des Champions. Ça peut être cruel, le foot. Pendant que Mourinho, Hazard, Terry, Fabregas, Diego Costa et les autres sont encore sous la douche à quelques mètres, Courtois évoque pour la première fois en long (ça lui va bien…) et en large (un peu moins…) sa première saison anglaise. Interview.

Ta première année ici est une grosse réussite. A part le talent et le travail, les ingrédients, c’est quoi ?

Thibaut Courtois : Dans la tête, je suis costaud aussi ! J’étais très fort mentalement quand je suis rentré de mes trois saisons en prêt à l’Atletico. Je suis venu avec un objectif : jouer, devenir le titulaire dans le but de Chelsea. J’ai plein de confiance en moi. Et j’ai pris plein d’expérience en Espagne, notamment en jouant des finales. Donc, j’ai l’impression que je continue à progresser.

Ton calme est toujours incroyable, ça t’aide aussi ?

Evidemment. Quand tu as à côté de toi un gardien de classe mondiale comme Petr Cech, ce n’est pas nécessairement facile à gérer. Dans certains clubs, ça ne se passerait sans doute pas bien. Ici, il n’y a pas de souci. C’est aussi ça, la classe de Chelsea.

Et c’est ça aussi, la classe de Cech…

Tu as raison. On collabore très bien. Notre relation est chouette. Il me pousse à m’entraîner encore mieux. A jouer encore mieux.

Tu ne sens pas qu’il est frustré d’avoir perdu sa place ?

A l’entraînement, je ne remarque rien. Maintenant, s’il est frustré quand il rentre chez lui, quand il retrouve sa femme, je trouve ça normal…

 » On essaie de m’opposer à Cech  »

Tu pourrais être à sa place sur le banc. Ou alors, tu avais exigé des garanties pour revenir de Madrid ?

On ne m’avait rien promis mais je suis venu pour jouer, point à la ligne. Si c’était pour me retrouver sur le banc, je préférais être prêté une saison de plus. Quand le premier match de la saison est arrivé, je ne dis pas que j’étais sûr à cent pour cent d’être dans le but mais je pensais bien quand même…

José Mourinho a quand même eu l’air d’hésiter en début de saison…

Peut-être qu’il a hésité. Et aujourd’hui encore, je sais que si je fais deux moins bons matches, je sors de l’équipe.

Il y a un gros changement pour toi cette saison : tu as une grosse concurrence qui n’existait pas à l’Atletico.

C’est vrai que c’est différent. A Chelsea, c’est un peu comme en équipe nationale avec Simon Mignolet. Je suis conscient que j’ai à côté de moi un très bon gardien qui voudrait aussi jouer tous les matches.

Le préparateur des gardiens de Chelsea dit que Cech est au sommet et que tu t’en rapproches. Comment tu comprends ça ?

(Il réfléchit). Je ne vois pas trop ce qu’il veut dire. Peut-être que Cech est à son top vu qu’il a 32 ans et que les meilleures années d’un gardien sont soi-disant de 27 à 32 ans ? Moi, je n’en ai que 22, ça veut alors dire que je peux encore pas mal progresser. C’est déjà bien d’avoir le niveau que j’ai mais je trouve que je suis encore loin d’être parfait. Il y a encore beaucoup de choses que je peux améliorer dans les prochaines années.

La presse anglaise aime bien les statistiques et les comparaisons. Elle a par exemple mis l’accent sur ton pourcentage de mauvaises passes et de mauvais dégagements, elle a signalé que tu sortais moins de ballons que Cech la saison dernière. Tu as l’impression qu’elle t’a cherché ?

Je ne sais pas, mais les statistiques… Prends un gardien qui est moins bon, si tu ne sors que certaines stats bien précises, tu peux arriver à la conclusion qu’il est le meilleur. Et on ne peut de toute façon pas comparer deux années. Cette saison, Chelsea joue un foot plus offensif que l’année dernière, ça s’explique notamment par le retour de Cesc Fabregas et l’arrivée de Diego Costa. Moi, si je ne dois retenir qu’une seule statistique, je te la donne : on est en tête du classement et on peut gagner le championnat…

Tu penses qu’on cherche à vous opposer, Cech et toi ?

Bien sûr. Des médias cherchent la sensation, ils croient sans doute qu’ils vont arriver à nous opposer, aussi à diviser d’autres joueurs de Chelsea. Ici, on gère très bien tout ça.

 » Pour gagner le Ballon d’Or, Neuer doit aller au Barça ou au Real  »

En quoi tu as progressé depuis ton arrivée dans le championnat d’Angleterre ?

Je m’adapte au jeu de mon équipe. L’Atletico jouait plus bas, donc je jouais plus bas. Ici, je me trouve plus haut.

Et c’est plus difficile ?

Non, ça vient automatiquement. Si j’avais joué un ou deux mètres plus haut à l’Atletico, j’aurais peut-être été gêné par mes défenseurs. Mon entraîneur des gardiens ici pensait qu’il me faudrait un peu de temps pour m’adapter mais il a été surpris de voir dès mon premier match que j’avais assimilé le changement. Il est très satisfait de ce que je fais. En jouant plus haut, j’intercepte des centres et des passes dangereuses. Je sors aussi plus qu’avant sur les corners et les coups francs. Et, balle au pied, je dois en faire plus qu’à l’Atletico.

Quand on dit que le jeu au pied est ton principal problème, tu es d’accord ?

Mon problème, c’est que je n’ai connu que des longs ballons pendant trois ans. En Espagne, je ne pouvais presque pas jouer court. Forcément, tu perds le rythme, tu perds l’habitude. A Genk, on ne faisait pour ainsi dire que ça, jouer court. Et ça se passait très bien pour moi. Mais je sens que ça revient. La semaine passée, j’ai tenté un crochet. Et je l’ai réussi…

Qu’est-ce que tu dois prendre chez Manuel Neuer pour pouvoir être comparé à lui ?

C’est difficile de comparer des gardiens qui n’ont pas le même style, mais ce qu’il fait très bien, c’est lire le jeu, intercepter des passes. Cinq secondes avant le départ du ballon, il a déjà lu, il sait ce que l’adversaire va essayer de faire. Je crois que j’ai ça aussi. Mais lui encore plus…

Tu as compris qu’il n’ait pas reçu le Ballon d’Or ?

C’est difficile pour un gardien quand tu as un Lionel Messi et un Cristiano Ronaldo avec tous leurs buts. Neuer a gagné la Coupe du Monde, il a été décisif dans quelques matches. Mais je pense que pour gagner le Ballon d’Or, il doit être encore plus décisif. Ou jouer à Barcelone, ou au Real. Là-bas, les gens te voient plus qu’au Bayern. Quand il gagne le championnat et la Coupe d’Allemagne, je suis sûr que des gens disent : -C’est juste l’Allemagne. Et de toute façon, il y aura toujours le handicap d’être gardien. On les met éventuellement à la deuxième ou à la troisième place sur son bulletin de vote, très rarement à la première. C’est notre destin, c’est dommage.

Si je suis ton raisonnement, tu seras toujours handicapé par rapport à Eden Hazard pour le trophée de meilleur Belge à l’étranger…

Peut-être. Mais je l’ai déjà gagné deux fois ! Tant mieux si Hazard le reçoit à l’avenir, ça voudra dire qu’il aura été décisif pour Chelsea.

 » Ce qu’on dit de lui, Mourinho s’en fout. Il aime ça  »

Les Belges croient ou veulent croire qu’il est le joueur le plus important de Chelsea, tu es d’accord ?

C’est difficile à dire. On a Cesc Fabregas. On a Nemanja Matic. On a Diego Costa pour mettre les buts. Mais bon, si Hazard est au sommet de sa forme, oui, il est peut-être le plus important. Il ouvre des espaces et il donne des assists à Diego Costa.

On parle de Mourinho ? Comment tu le décrirais en quelques mots ?

Une forte personnalité. Pour la presse, pour son équipe. Tu sens sa présence dans le vestiaire. Il n’y a pas beaucoup d’entraîneurs qui ont ça. Et il y a ses talents de tacticien.

Il est pourtant contesté. Même détesté.

C’est sa personnalité. Ce qu’on dit de lui dans la presse, il s’en fout. Il aime ça. Il aime bien la discussion.

Il la cherche ? Il l’alimente ?

Parfois, oui. Par exemple, il aime bien qu’on lui pose des questions qui dérangent les joueurs. Il réagit. Et il y a toujours une idée derrière : protéger son groupe.

On le conteste aussi pour son style de jeu.

Oui, par exemple après le match aller au PSG… On lui a reproché d’avoir mis six défenseurs. Sous prétexte que Hazard et Willian étaient redescendus à certains moments. Mais on a joué en 4-3-3, pas en 6-3-1, hein ! Simplement, Maxwell et Gregory van der Wiel montaient parfois très haut et on ne pouvait quand même pas les laisser faire. Ou alors, le PSG aurait eu cinq ou six attaquants contre nos quatre défenseurs. Hazard et Willian ont fait un travail défensif à certains moments pour les empêcher d’être dangereux, mais si on bloque une image bien précise sur laquelle on voit que Chelsea a six joueurs en position défensive, c’est facile de critiquer. On fait dire ce qu’on veut aux images.

Tu n’as pas de problème avec votre jeu parfois très défensif ?

Pendant les six ou sept premiers mois de la saison, on a été fort offensifs. C’était génial ! Puis on a eu un peu de mal pour terminer quelques matches. Physiquement, on n’était plus capables de les tuer. Alors, il a fallu se regrouper un peu. Sur une saison, tu as d’office des périodes où tu es un peu moins bien. L’important, dans des moments pareils, c’est de trouver l’équilibre défensif. Parfois, certaines critiques étaient exagérées.

Là aussi, tu trouves qu’on vous cherche ?

Quand tu es premier avec six points d’avance sur le deuxième, on te vise, c’est normal.

C’est encore plus logique quand cette équipe est entraînée par Mourinho ?…

Oui. Les gens cherchent nos petits défauts, ils nous emmerdent un peu. Mais on continue à jouer. Il reste une dizaine de matches, on veut le titre.

 » Zlatan a dit que j’avais été exceptionnel. Ça fait plaisir  »

Dans ta saison presque impeccable, il y a le match contre Everton, Mourinho te met sur le banc. Comment tu le vis ?

Avant ça, il y a le fameux match contre Manchester City. Je veux anticiper sur un centre parce que je vois James Milner arriver et je me loupe.

On te le reproche ici ?

Non. Et si je ne sors pas, il peut mettre sa tête et marquer. Donc, je sors et je boxe le ballon mais pas assez bien. Il arrive dans les pieds de Sergio Agüero, il tire mal mais David Silva est là pour le mettre dedans. Ce n’était pas une grosse erreur. Dommage. Après ça, on joue Aston Villa. Les adversaires ont vu depuis le début de la saison que je sortais beaucoup, donc ils mettent souvent un joueur sur moi. Il y a un duel, un contact qu’on sifflerait pour nous dans un match européen mais pas en Angleterre. Je lâche deux ballons ce jour-là. Encore une fois, on ne me le reproche pas au club mais l’entraîneur a sans doute voulu me donner un peu de repos.

Quand Mourinho dit à ce moment-là qu’il veut mettre  » plus de personnalité, plus de leadership et plus de communication  » dans sa défense, comment tu le prends ?

J’ai ma petite idée mais c’est lui l’entraîneur. Il a toujours raison.

Ça ne t’a pas perturbé ?

Que les choix de ton coach soient bons ou mauvais pour toi, tu dois les accepter. Et je préfère retenir que pour le match suivant, à Paris, j’étais à nouveau dans le but. Et j’ai joué un gros match. Zlatan Ibrahimovic a dit que j’avais été exceptionnel, et quand ça vient d’un joueur pareil, ça fait plaisir. Si on me met sur le banc et si c’est pour le bien de l’équipe, pas de problème. J’essaie de revenir la semaine suivante, c’est aussi simple que ça.

Tu es aussi sur le banc pour la finale de la Coupe de la Ligue. Dur à vivre ?

Ce n’est pas chouette. Une finale à Wembley contre Tottenham, c’est quelque chose. Mais bon, on a gagné, le trophée est donc aussi le mien, ça me fait déjà un titre avec Chelsea. On m’a fait remarquer que si on avait joué la finale, c’est parce que j’avais tout arrêté en demi contre Liverpool, ça console un peu.

Tu es frustré dans des moments pareils ?

Non, et surtout, je n’ai pas le droit de l’être. Je dois me préparer et me concentrer comme si j’étais susceptible de monter au jeu à tout moment. Une carte rouge, ça arrive à tout le monde. Je suis à fond dans le match. Si tu es frustré dans une situation comme celle-là, tu ne peux pas être bon au moment où tu dois remplacer le titulaire.

Si tu veux fêter une grande victoire sur le terrain, tu es maintenant obligé d’être champion ! Parce que vous n’êtes plus en Ligue des Champions et plus en Coupe d’Angleterre.

Je suis venu ici pour gagner des titres, ça c’est clair. Et, oui, notre grand objectif, c’est maintenant le championnat. La situation est bonne…

 » Ce qu’on a raté contre Paris, c’est irrattrapable  »

L’élimination en huitièmes de la Ligue des Champions par le PSG, ça a été terrible à vivre ?

La déception était énorme parce que Chelsea est habitué à aller loin. A aller en demi-finale, à aller même jusqu’en finale. Mais on n’y est plus, c’est comme ça, chaque match a son histoire. En championnat, on peut toujours se rattraper. Ce qu’on a raté contre Paris, c’est irrattrapable.

Ça se ressent encore dans votre vestiaire ?

Non, plus pour le moment. Mais je suppose qu’on y repensera quand il y aura les quarts, puis les demis. On se dira alors qu’on aurait dû y être. C’est la vie. Il faut vite passer à autre chose, sans quoi ça pourrait aussi nous coûter cher en championnat.

Il n’y a plus de club anglais en Ligue des Champions, il reste trois équipes espagnoles. Tu te poses des questions ?…

Une saison n’est pas l’autre et ça peut se jouer à très peu de choses. A rien près, on y est toujours, Arsenal aussi. A ce moment-là, on ne se pose pas de questions sur le niveau actuel du foot anglais.

Tu es bien placé pour comparer les deux championnats.

Le jeu est fort différent. En Espagne, même les petites équipes essaient de jouer, il n’y a pas beaucoup de longs ballons. Et quand tu joues contre Barcelone ou le Real, ils te tuent… Ici, les petits sont très difficiles à manoeuvrer parce que les longs ballons sont fréquents. Tu joues Leicester, tu sais que ça va être difficile. En Espagne, tu n’as pas ça. Là-bas, c’est plus du foot. Ici, c’est la guerre. Il y a beaucoup d’intensité, c’est compliqué physiquement. Et un gardien a plus de travail en Premier League qu’en Liga.

PAR PIERRE DANVOYE À LONDRES – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » Si Cech est frustré quand il rentre chez lui, quand il retrouve sa femme, je trouve ça normal.  »

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