Les errances d’un artiste

Après deux saisons en demi-teinte, à Anderlecht puis à Heerenveen, l’Argentin se doit de briller dans le Pays Noir.

A Charleroi, on reste toujours sous le charme d’un certain PärZetterberg qui, prêté par Anderlecht, avait brillé au Mambourg pendant deux ans. C’était au siècle dernier. Depuis lors, les bonnes relations entre les deux Sporting aidant, d’autres joueurs mauves ont endossé le maillot zébré pour espérer relancer leur carrière. Avec plus ou moins de succès. Le prêt de PaulTaylor, la saison dernière, s’assimila à un véritable flop. Entre ces deux extrêmes, où classera-t-on HernánLosada au printemps 2011 ? L’Argentin, que l’on sait pétri de talent puisqu’il l’a démontré durant sa période anversoise, reste sur deux saisons difficiles, à Anderlecht et à Heerenveen. Il ne peut pas se permettre une troisième saison de flottement. Alors qu’on pensait qu’un tapis rouge se déroulerait devant lui, l’artiste est en train de chercher sa voie.

Découvert sur DVD

Eté 2006. Peut-être encouragé par la réussite de NicolasFrutos à Anderlecht, le Germinal Beerschot a fait venir toute une flopée de joueurs argentins au Kiel.

 » Il y avait DanielQuinteros, PatricioGonzalez, VictorFigueroa, GustavoColman et Losada lui-même « , se souvient MarcBrys, qui était l’entraîneur des Mauves anversois à l’époque.  » Les trois premiers sont partis après un an, seuls Colman et Losada sont restés : les deux meilleurs. Losada, contrairement aux autres qui provenaient d’une filière, avait été découvert un peu par hasard, sur DVD. On doutait tellement de sa réussite qu’on ne lui avait offert, au départ, qu’une année à l’essai. A l’origine, c’était un vrai numéro 10 qui, pour briller, avait besoin d’entrer souvent en possession du ballon, d’être dominateur et en pleine confiance, ce qui n’était pas le cas. Ses débuts ont été difficiles. Il n’a pas beaucoup joué pendant les premières semaines. A Noël, des voix s’étaient d’ailleurs élevées pour le renvoyer, car il ne réussissait pas à percer. Je trouve que c’était un peu tôt pour prendre une mesure aussi radicale et les faits m’ont donné raison. Pour lui donner confiance, et lui éviter la pression qui pèse sur le meneur de jeu, je l’ai aligné sur le flanc droit, dans un 3-5-2 où il pouvait arpenter toute la ligne. Progressivement, il a trouvé son rythme, a inscrit un but et a conquis le c£ur des supporters. Il est devenu un joueur charismatique, très mobile aussi, doté d’une bonne technique de frappe et qui effectuait toujours les bons choix. Ses points faibles, c’était sa reconversion et son peu de présence dans les duels. Il a été un peu surpris par la rudesse du championnat de Belgique. Mais c’est un garçon intelligent, on voyait directement la différence d’éducation avec Colman, par exemple. Colman était un provincial, sans que ce terme soit péjoratif. Simplement, il était né dans une ville de province et avait encore tout à découvrir en Europe. Il ne maniait aussi que l’espagnol alors que Losada, qui parlait déjà l’anglais, s’est rapidement mis à l’étude du néerlandais. C’était un homme cultivé, qui se sentait comme un poisson dans l’eau dans une Métropole comme Anvers qui regorge de musées et qui organise des expositions et des événements de façon régulière.  »

C’est surtout lors de sa deuxième saison, avec HarmvanVeldhoven, qu’il allait exploser.  » Comment l’ai-je lancé ? C’est simple « , affirme l’actuel entraîneur de Roda JC.  » Il faut faire jouer les joueurs sur leurs qualités et les mettre en confiance, surtout dans le cas de Hernán qui a, plus que d’autres, besoin de se sentir bien dans sa peau et totalement accepté par ses partenaires.  »

Colman et Losada ont été positionnés sur les deux flancs.  » Disons plutôt que mon entrejeu était constitué d’un carré avec deux demis défensifs et deux demis offensifs. Les deux Argentins jouaient comme meneurs de jeu, mais légèrement décentralisés. Losada n’est pas vraiment un passeur décisif, mais il a le sens du but et excelle dans le rôle d’infiltreur. « 

Le style Anderlecht

Au terme de cette saison 2007-2008, tout le monde était d’accord : ce Losada était un joueur pour Anderlecht. Son toucher de balle et sa créativité plairaient à coup sûr au public du Parc Astrid. Cela n’avait pas échappé à HermanVanHolsbeeck, qui s’empressa de le transférer. Il faut le souligner : personne, à l’époque, n’avait remis en question le bien-fondé de l’engagement de Losada. De l’avis général, c’était un bon transfert. Mais sa saison ne s’est pas passée aussi bien que prévu. Plus le temps s’écoulait, plus Losada est passé du top au flop. Que s’est-il passé ?

 » D’abord, Hernán a d’emblée constaté la différence entre une équipe du subtop comme le Germinal Beerschot et une autre du top, comme Anderlecht « , affirme le manager du Sporting.  » Au Kiel, il était le King : il y avait lui et dix autres joueurs. Au Parc Astrid, il a dû se fondre dans la masse : il n’était qu’un joueur parmi les autres. Peut-être a-t-il également sous-estimé la pression qui règne au stade Constant Vanden Stock : chez nous, chaque match est décortiqué à la loupe. On ne peut pas s’autoriser une prestation en demi-teinte, surtout lorsqu’on débarque, car d’autres joueurs trépignent d’impatience sur le banc à l’idée de prendre votre place. Et lorsqu’on se retrouve soi-même sur le banc, on glisse dans la spirale infernale : la confiance en prend un coup et on subit les critiques de la presse, qui n’attend pas trois mois pour vous considérer comme une mauvaise acquisition… « 

Or, Losada n’a semble-t-il pas entamé sa période anderlechtoise sous les meilleures auspices.  » J’avais été blessé lors des deux derniers mois au Germinal Beerschot « , nous a rappelé l’Argentin.  » Ajoutez-y le mois de vacances et j’ai débarqué à Bruxelles sans avoir disputé le moindre match officiel durant un trimestre. Au début de la préparation, je manquais donc de rythme. « 

Losada s’est aussi retrouvé pris dans la tourmente BATE Borisov. En outre, il était confronté à la lourde succession d’ AhmedHassan. Au fil de la saison Ariel Jacobs a progressivement trouvé son triangle d’entrejeu : le trio constitué par Lucas Biglia, Jan Polak et Guillaume Gillet était devenu incontournable. Et, comme véritable créateur, il y avait Mbark Boussoufa. Quel joueur Jacobs aurait-il dû sacrifier pour laisser la place à Losada ?

Hernán lui-même nous avait avoué, il y a un an, qu’il avait été déçu par son temps de jeu au stade Vanden Stock.  » Je m’attendais à jouer beaucoup plus. Lorsque je dresse le bilan de ma première saison mauve, je dois reconnaître qu’il est négatif. Tant sur le plan individuel que collectif, puisque le club n’a pas atteint ses objectifs : on a été éliminé de la Ligue des Champions par BATE Borisov et on n’a remporté ni la Coupe de Belgique, ni le championnat. « 

Heerenveen, trop scandinave

Si bien qu’au terme de la saison, Anderlecht décide de le prêter. A Heerenveen.  » Où il avait déjà failli atterrir un an plus tôt « , croit savoir ChrisVanPuyvelde, adjoint de TrondSollied dans le club frison à l’époque.  » Après sa brillante deuxième saison au Germinal Beerschot, Heerenveen s’était déjà montré très intéressé. Les deux propositions les plus concrètes qui lui ont été faites étaient, je pense, Anderlecht et Heerenveen. Il avait opté pour le club bruxellois pour des raisons qui lui appartiennent : peut-être pour ne pas devoir quitter cette Belgique et cette ville d’Anvers où il se sentait si bien, peut-être pour le prestige des Mauves et de la Ligue des Champions.  »

Ce n’était que partie remise :  » Durant l’été 2009, Heerenveen recherchait un joueur créatif dans l’entrejeu car le Finlandais MikaVäyrynen s’était déchiré les ligaments croisés « , poursuit l’actuel entraîneur du FC Brussels.  » Puisqu’Anderlecht cherchait à prêter Losada, on a sauté sur l’occasion avec d’autant plus d’entrain qu’Hernán était dans le collimateur depuis un an et qu’il pouvait évoluer à différentes positions : derrière les attaquants, à droite, à gauche. Les discussions que l’on a eues avec Hernán s’étaient aussi révélées positives, et le gardien KennySteppe, qui l’avait connu précédemment au GBA, nous avait également rassuré concernant sa mentalité.  »

A priori, Heerenveen semblait un bon choix pour Losada : dans le championnat des Pays-Bas, on joue au football et il y a de l’espace.  » Pas d’accord « , s’empresse de corriger Brys qui connaît les Pays-Bas puisqu’il fut, ces deux dernières saisons, l’entraîneur du FC Eindhoven et du FC Den Bosch, en D2.  » L’ Eredevisie aurait effectivement pu convenir à Hernán. Mais pas Heerenveen. Là-haut, dans le Nord, c’est la Frise. C’est froid, on vit à la scandinave, on joue à la scandinave. D’ailleurs, l’entraîneur était Sollied, un Norvégien, et il y avait plusieurs joueurs scandinaves dans l’équipe. Hernán a besoin de frivolité, de liberté d’action, de créativité. Pas d’être enfermé dans un carcan tactique rigide et de devoir livrer un combat physique. Je l’aurais mieux vu dans une équipe comme l’Ajax Amsterdam, même si c’est un cran plus haut sportivement, car là on fait toujours la part belle aux joueurs créatifs. Ou même à Feyenoord, dont la réputation d’équipe engagée ne résiste plus à l’analyse.  »

 » Pourtant, au début, cela s’est bien passé à Heerenveen pour Hernán « , tient à préciser Van Puyvelde.  » Il avait d’ailleurs inscrit un but dès son premier match officiel : il avait repris, en un temps, un centre qui lui était parvenu. Pour le lancer, on ne pouvait rêver mieux. Certes, il accusait encore un retard conditionnel car il traînait une petite déchirure qu’il avait contractée à Anderlecht, mais on était prêt à lui donner le temps nécessaire pour retrouver le rythme. J’entretenais une très bonne relation avec lui : c’était un sportif très professionnel et très consciencieux. Malheureusement, Trond et moi avons été limogés en septembre. Nous n’avons donc pu nous occuper de lui que deux mois. « 

Et la suite fut moins glorieuse :  » Hernán n’a pas eu de chance, il a débarqué à Heerenveen durant la saison où le club a connu de grosses turbulences. Après notre départ, trois entraîneurs se sont encore succédé à la tête de l’équipe. Deux membres de la direction ont également démissionné. Ce n’était pas des conditions idéales pour s’exprimer. En outre, Heerenveen avait remporté la Coupe des Pays-Bas face au FC Twente une saison plus tôt et avait terminé 4e ou 5e. Le public était devenu exigeant. Les supporters espéraient que l’équipe allait poursuivre sur sa lancée. Or, au contraire, elle n’a joué qu’un rôle de faire-valoir et le public – toujours nombreux, il y avait quasiment 26.000 spectateurs à chaque match – a clamé son mécontentement. Hernán est un garçon sensible, il a besoin de stabilité et d’une ambiance chaleureuse, et il a peut-être été déboussolé. « 

Steppe, le jeune gardien qui fut catalogué comme un grand Espoir à l’époque du GBA mais contrarié par des blessures depuis qu’il a rejoint Heerenveen, confirme :  » Durant les trois ou quatre premières semaines à Heerenveen, on sentait que Hernán manquait de rythme car il n’avait pas beaucoup joué la saison précédente à Anderlecht. Mais, progressivement, il a retrouvé la condition et j’avais l’impression qu’il se rapprochait du niveau qu’il avait atteint au GBA. Mais la saison fut difficile pour tout le monde, pas seulement pour lui. A Anvers aussi, Hernán avait connu des débuts laborieux. Sous Brys, il avait même évolué à l’arrière droit. C’est surtout sous van Veldhoven qu’il a explosé. Humainement, il est toujours resté le même : un garçon attachant, qui ne pose pas de problèmes et avec qui il est agréable de travailler. « 

La chaleur du Pays Noir

Et Charleroi, un bon choix ? Van Puyvelde botte en touche :  » Franchement, je ne sais pas. Je ne connais pas suffisamment Charleroi pour savoir à quel point on peut y trouver une ambiance sereine. Après deux étés où sa préparation a été perturbée par les blessures, je crois qu’Hernán a besoin de sérénité. Il doit retrouver sa condition progressivement. Il va falloir être patient. Il faudra voir, aussi, comment il va être utilisé : derrière les attaquants, à gauche, à droite ? Pour briller, il doit pouvoir donner libre cours à son inspiration et délivrer des assists. Mais il a beaucoup d’atouts : sa technique, ses dribbles, ses actions. Sous certains aspects, il me fait un peu penser à JuanLozano. Le football a changé et c’est peut-être difficile pour lui de revendiquer un rôle central, mais c’est un joueur créatif. En outre, il marque facilement. Je crois que l’essentiel, pour lui, sera de vivre enfin une saison complète sans blessure et d’évoluer dans une équipe stable.  »

Brys a un pressentiment favorable :  » Charleroi est une ville chaleureuse, où l’on s’enthousiasme vite, où l’on aime faire la fête. Cette ambiance devrait convenir à Losada. Je ne sais pas où en est son français, mais vu la rapidité avec laquelle il a appris le néerlandais, la langue de Voltaire n’aura bientôt plus aucun secret pour lui. Footballistiquement, JackyMatthijssen prône un jeu très organisé, mais ses joueurs sont très techniques. Cela devrait aussi lui convenir. C’est désormais un joueur mûr et expérimenté, rompu aux compétitions européennes. A quelle place est-il le plus rentable ? Moi, je le ferais débuter sur un flanc, d’où il pourrait rentrer dans le jeu. Il échapperait de la sorte à un marquage trop strict, auquel il serait immanquablement soumis en position de véritable n°10. Jacky trouvera la solution.  »

Par Daniel Devos

Au GBA, certains avaient voulu le renvoyer après six mois. (Marc Brys)

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