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LES ENFANTS D’ HAGI

C’est l’histoire d’une divinité qui, à la façon d’Hercule, a choisi d’utiliser sa tête pour se mettre au service des mortels. Depuis 2009, Gheorghe Hagi reconstruit le foot roumain à Constanta. Là où les  » Marin  » poussent à la mer.

C’est un ovni au beau milieu d’un champ, un champ au bord d’une autoroute. Puis, c’est un effluve salé qui parfume le ciel pluvieux. Le lac Siutghiol sépare la petite localité d’Ovidiu de Mamaia, bande de terre touristique, dernier rempart avant la mer Noire. L’ensemble se situe au nord de Constanta, sorte de Saint-Tropez roumain posté à l’extrême sud-est du pays. Très prisé en été, le coin voit sa vie habituellement paisible perturbée depuis une poignée de saisons.

En 2009, le régional de l’étape, Gheorghe Hagi,décide d’y implanter son Académie. Dans la foulée, il crée son club tuteur : le Viitorul Constanta. L’entité démarre en troisième division pour truster aujourd’hui les premiers rôles parmi l’élite. Le dévouement du  » Maradona des Carpates  » paraît unique sur notre continent.

 » Quand tu arrives, tu es assez surpris parce que c’est au milieu de nulle part « , avoue Kévin Boli, Français passé par Mouscron, un des trois seuls étrangers de l’effectif.  » Mais si on arrive réellement à un très bon niveau, je pense qu’Hagi a plusieurs idées derrière la tête.  » La première ? Reconstruire le football roumain, qui se cherche depuis sa  » génération dorée  » des nineties, à travers l’Académie qui porte le nom de son géniteur.

Au bout d’une route modeste, où les quelques chantiers de maison sont en suspens, la marque Hagi s’impose en lettres capitales. Les installations transpirent le neuf et la tribune des officiels sent le provisoire, mais le projet bien pensé.

Avant la réception du Dinamo Bucarest, Christoph Daum tombe dans les bras d’Hagi. L’ancien T1 brugeois, actuel sélectionneur de l’équipe nationale taquine :  » Pourquoi devez-vous vous installer si loin ?  » Le patron des lieux rétorque :  » C’est la Roumanie, il faut tout faire soi-même.  »

L’ex-Madrilène dispute son troisième exercice sur le banc du club. Au four et au moulin, il conseille Razvan Marin pour son transfuge au Standard cet hiver.  » Marin est l’un de mes fils. Mais j’en ai plus de 300 ici « , rigole-t-il, après un nul difficile (0-0).  » Ma femme m’a donné deux fils légitimes, mon Académie m’en a donné 300 autres.  »

En toute logique, Viitorul, qui signifie  » avenir « , gagne ainsi rapidement son surnom, les Pustii lui Hagi. Soit, en VF :  » les enfants d’Hagi « .

SUR LES RUINES DU FARUL

La Révolution roumaine de 1989 met fin à plus de 24 ans de règne sans partage de Nicolae Ceausescu. Elle donne aussi naissance à plusieurs écoles de foot. La plupart se trouvent toujours à Bucarest, mais ne sont pas liées à des clubs pros.

 » Le projet du Viitorul est important pour le développement du football roumain « , pose Daum, de son plus bel accent teuton.  » Si vous voyagez en Roumanie, il n’y a presque pas d’académies de jeunes. Hagi est revenu avec ses idées, a fait ce que personne ne faisait et il a acquis très vite un monopole.  »

Après une carrière de joueur fastueuse, Hagi connaît des expériences d’entraîneurs plus courtes que luxueuses. Gica a la tête ailleurs et pense à ses racines pour faire fleurir son savoir. Il jette alors son dévolu sur les ruines du Farul Constanta, son premier fanion.

L’équipe-phare de la région renaît péniblement de ses cendres en 2008.  » Il a voulu prendre les choses en main. La seule chose qu’il voulait, c’était le stade « , explique Daniel, employé du quatre étoiles Iaki Hotel, propriété d’Hagi, qui accueille les joueurs du Viitorul.

 » Hagi voulait rendre à sa ville ce qu’elle lui avait donné.  » Mais la ville fixe la location de l’enceinte à un prix décourageant. Hagi refuse et donne donc naissance à deux nouveaux bébés. Le club, qui évolue en bleu et noir, peut accueillir 4.500 spectateurs.

Un hôtel en construction, destiné aux jeunes de l’Académie, s’impose derrière la tribune visiteurs. Au pied de la tribune latérale, face à celle des officiels, le centre d’entraînement contient quatre terrains, dont deux synthétiques.

Tout le monde jouit des infrastructures, même si techniquement, Académie et club restent deux entités distinctes.  » Il y a l’Académie, qui est une société à but non lucratif, et il y a le Viitorul « , distingue Cristian Bivolaru, DG du club.

 » Tout a commencé avec l’Académie. Mais on savait qu’à un moment, on ne pourrait plus garder les joueurs dépassant la limite d’âge pour les jeunes.  » La solution est donc toute trouvée : lancer un club en D3 et y faire signer pro toutes les pépites du cru.

COMME MARCELO BIELSA

Avec un budget global avoisinant les 4,5 millions d’euros, le projet d’Hagi ne figure pas dans le top 6 des clubs roumains les plus riches et utilise donc sa matière grise pour rivaliser. Ce qu’il fait plutôt bien pour l’instant, puisque le Viitorul a longtemps fait la course en tête pendant les play-offs.

 » Tout ce que vous voyez, c’est à Hagi. Il a commencé seul, il a beaucoup investi « , assure Bivolaru.  » Il veut encore développer l’Académie mais ça n’ira pas sans le soutien d’un investisseur, qu’il soit roumain ou étranger. On doit gonfler le budget afin d’éviter de vendre nos meilleurs éléments chaque année. Le Steaua ou même l’Astra Giurgiu paient mieux que nous. Mais nous, on a la jeunesse et le talent.  »

L’image de marque de Gheorghe Hagi permet tout de même de ramener des sponsors non négligeables tels que Pepsi ou la BRD, filiale de la Société Générale, la deuxième banque du pays.  » Ce n’est pas un club riche « , certifie Emanuel Rosu, journaliste roumain, croisé dans les couloirs du stade national.  » Ils veulent grandir étape par étape et gagner des titres avec des joueurs formés à l’Académie. Toute la Roumanie aimerait voir Viitorul être champion.  »

Au Viitorul, les salaires sont versés à heure et à temps, dans un championnat où ce n’est parfois pas le cas. Rien n’échappe à la main du maître.  » Je vois tous les joueurs avant leur arrivée ici. J’ai le dernier mot « , pose Hagi, suite au partage du soir.

Ce soir-là, son Viitorul entame les play-offs avec un onze de base formé à 80 % par ses soins. Le jeu en deux touches ravit un stade presque plein et pose pas mal de soucis à la défense du Dinamo. L’esprit est là.  » Hagi est un coach très rigoureux. Je dirais qu’il est un peu comme Marcelo Bielsa dans sa manière de travailler. On bosse énormément et j’apprends tous les jours avec lui. Il donne tout pour nous et, franchement, on a envie de lui rendre sur le terrain « , assure Boli, attablé à un restaurant du centre de Constanta.

 » Il est très pointilleux, vraiment.  » En clair, les joueurs lui accordent un respect sans égal et bénéficient tout autant de ses connexions que de son implication totale.

OBJECTIF 2020

Un seul et même fil conducteur tire les joueurs vers le haut. Les jeunes rejoignent le club dès les U11 et sont presque assurés d’être conservés jusqu’aux seniors. Une méthode peu commune dans le football moderne.  » On essaie de recruter dans toute la Roumanie des joueurs qui conviennent à notre concept. Toutes nos équipes jouent de la même façon. On a deux maîtres mots : possession et pressing. Tout est lié à ce concept de jeu « , prophétise Lucian Burchel, issu de la génération dorée menée par Hagi et désormais directeur technique de son Académie.

Des équipes de jeunes au noyau A, le schéma est le même pour tous : 4-3-3. Le jeu doit être court, les longs ballons proscrits et les trois attaquants mobiles au possible. Hagi cherche à reproduire le jeu chatoyant pratiqué par les artistes Tricolorii lors du Mondial 94, où ils avaient accroché les quarts, soit la plus belle partition de leur histoire.

Le collectif prend toujours le pas sur les individualités.  » Je ne peux pas faire sortir qu’un seul joueur, il n’y en a pas un qui soit plus important que les autres. Nous formons beaucoup de joueurs dans le but de tous les faire grandir en tant que professionnels. Le onze de base de l’équipe nationale en 2020 (pour l’EURO, ndlr) doit venir de chez nous. C’est un grand rêve, mais aussi un véritable objectif « , dévoile le  » Maradona des Carpates « , qui n’a rien perdu de son ambition.

Pour le moment, son rêve toise la réalité. Les Espoirs roumains sont récemment partis en stage avec pas moins de huit joueurs du Viitorul dans leurs rangs.  » À ce jour, 35 à 40 % des joueurs des sélections de jeunes des U15 aux U21 sont affiliés chez nous. C’est énorme « , se félicite Burchel.  » À un moment donné, c’était même 51 %.  »

Lors de la réception du Danemark le 26 mars dernier, sur onze titulaires chez les A, un est passé par le club (Alin Tosca), deux sont sortis de l’Académie, le néo-Rouche Marin et Romario Benzar, toujours à Constanta.  » L’équipe nationale est toujours le but ultime. Nous construisons un beau projet ici, qui a pour but de reconstruire le football roumain dans son ensemble, à travers nous. Sans qualité, il n’y a pas de nation de football « , observe Hagi, qui n’a plus assisté à un match des Tricolorii depuis trois ans.

Et le ‘monopole’ joue son rôle. Le Steaua, plus grand club du pays, n’a pas d’Académie. Seuls le Dinamo et Craiova disposent de structures qui s’en rapprochent. Daum regrette un  » constat alarmant  » :  » Cela prend du temps. Mais ici, il y a trop de présidents qui pensent seulement à la semaine prochaine, au mois prochain et peut-être à la saison prochaine, pas plus loin. Ils ne pensent pas au futur.  »

La fédération vient malgré tout d’envoyer un signal fort avec une mesure phare : chaque équipe de l’élite doit avoir constamment un U21 sur le pré. Ils sont justement six dans cette catégorie dans l’effectif du Viitorul, dont seulement trois joueurs dépassent les 25 ans.

BIEN VENDRE

Bien évidemment, pour garantir la pérennité de son projet, Hagi doit vendre. Et bien. Chaque année, il tient pour objectif d’intégrer trois ou quatre jeunes au noyau A et monnayer deux ou trois de ses joueurs. Aux côtés de Marin et Benzar, Bogdan Tiru et Dragos Nedelcu ont eux aussi reçu leur convocation des mains de Daum. L’homme apprécie la jeunesse de Constanta et lui donne logiquement du crédit.

Aurelian Chitu, revenu au bercail à 26 ans, est le premier formé à l’Académie à connaître l’étranger en 2013 à Valenciennes, contre un chèque de 700.000 euros. Cristian Manea, pris dans les révélations de Football Leaks pour son passage de Constanta à Mouscron via Limassol, reste la meilleure marge du club pour 2,5 millions.

Le fils prodigue Ianis Hagi a, lui, rejoint la Fiorentina cet été pour environ deux millions, à l’instar de Marin à Sclessin cet hiver, sans compter les bonus et le pourcentage à la revente.

Hagi feinte encore :  » J’ai envoyé mon fils en Italie donc il fallait que j’envoie Razvan ailleurs ! Je veux envoyer mes joueurs partout en Europe et imposer notre marque « . Dans un coin de sa tête, il se doute probablement que s’il réussit son pari, ce ne sera rien d’autre que les fruits d’un travail ficelé avec précaution, non d’un accident. Le club semble avoir le potentiel pour écrire son histoire au livre d’or du foot roumain, voire européen. À condition qu’Hagi reste.

Déjà courtisé pour des challenges plus intéressants sur le papier, il préfère les refuser poliment. Pour le moment.  » Il est très intelligent « , assure Boli.  » Il y a largement la place pour grandir encore plus et agrandir le stade, voire en construire un nouveau. Connaissant le coach, il y a pensé. De toute façon, c’est lui le patron. Il est écouté. Franchement, qu’est-ce qu’on peut dire à Gheorghe Hagi ?  »

PAR ALAIN ELIASY ET NICOLAS TAIANA EN ROUMANIE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Marin est l’un de mes fils. Mais j’en ai plus de 300 ici, à l’Académie.  » Gheorghe Hagi

 » Le Steaua ou même l’Astra Giurgiu paient mieux que nous. Mais nous, on a la jeunesse et le talent.  » Cristian Bivolaru, directeur général

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