Excelsior Virton : les drames du Faubourg

La semaine dernière, l’Excelsior Virton se voyait refuser la licence par la comission ad hoc. Il y a deux mois déjà, Sport/Foot Magazine faisait état des soucis financiers des Gaumais. Entre retards de paiement et divergences de vue politiques.

Il ne reste que quatre minutes avant le coup d’envoi de Virton-Beerschot, match capital pour l’obtention de la deuxième tranche. Joueurs et arbitres sont près à monter sur la pelouse lorsque les spots s’éteignent, plongeant le stade Yvan Georges dans une semi-obscurité de fin d’après-midi hivernale. Frédéric Lamotte, directeur opérationnel du club, quitte la tribune VIP à toute allure en direction de l’arrière du stade pour mettre des groupes électrogènes en marche. À quelques mètres de là, au milieu de son petit groupe de potes, un supporter s’écrie :  » Ça y est : maintenant, c’est l’électricité qu’on ne paie plus.  » La vanne ne passe pas inaperçue, tant elle illustre les questionnements actuels entourant le fonctionnement interne de l’Excelsior.

Excelsior Virton : les drames du Faubourg
© Emilien Hofman

Retards de paiements

Mercredi 22 janvier, face à leur terrain d’entraînement gelé, les joueurs virtonais se mettent d’accord : ils vont faire l’impasse sur la séance de l’après-midi. La raison ? Une certaine lassitude et une fatigue mentale.  » C’était l’occasion de marquer le coup suite aux nouveaux retards de paiement des salaires de décembre et de fin d’année « , estime Anthony Moris, le gardien et capitaine gaumais. Dans les colonnes de Sudpresse, la direction attribue une partie de ces retards aux manques de rentrées financières des semaines précédentes, puisque Virton n’a disputé que deux rencontres à domicile entre le 1er décembre et le 24 janvier. Un argumentaire léger : les rentrées des 1.500-2.000 spectateurs de moyenne au stade Yvan Georges ne représentent rien par rapport à la masse salariale du noyau A. Quinze jours après les faits, le CEO Alex Hayes tient à calmer le jeu.  » Certains des contrats sont payés au onzième jour ouvrable. Cette semaine-là, il y avait peut-être trois, quatre jours de retard pour certains et jusqu’à sept maximum pour d’autres « , argue-t-il à l’autre bout du téléphone.  » On est loin du drame : ce n’est pas anormal d’avoir un coincement de liquidités.  » Quant à évoquer les raisons de ces retards, le CEO se montre vague :  » Quand vous avez un budget de X et qu’il est surpassé chaque mois de plusieurs dizaines de milliers d’euros, il y a un trou à combler et ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique.  »

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© Emilien Hofman

Directeur sportif de l’Union Saint-Gilloise entre 2018 et 2019, Alex Hayes débarque au Faubourg d’Arival en août dernier avec la casquette de CEO.  » Je suis venu parce que l’entraîneur de l’époque, Dino Toppmöller, avait déjà fait deux mercatos et demi et que ces arrivées étaient un peu inquiétantes. Après avoir affirmé miser sur des gars comme Steven Lewerenz, Filip Bojic ou Marwane Benamra, il a changé son fusil d’épaule et a voulu faire un nouveau marché : ça interpellait pas mal au club, surtout qu’il voulait se défaire de tout un tas d’autres joueurs.  » Désormais en formation pour obtenir sa licence pro, Dino Toppmöller se contente de quelques mots.  » Tous ceux qui en ont dans la tête savent que les transferts que j’ai faits – tels Loïc Lapoussin, Glenn Claes ou les anciens Dudelangeois – ont performé et performent encore.  » De son côté, Hayes affirme que 23 des 24 joueurs acheminés vers Virton l’été dernier l’ont été à la demande du coach allemand.  » C’est bien de faire du shopping avec la carte de crédit de papa, mais le futur d’un club passe par la formation et le recrutement de jeunes joueurs à haut potentiel.  » Toppmöller conteste :  » La stratégie mise en place par Monsieur Flavio Becca était de faire monter l’équipe en D1A en deux ans et non de jouer la carte de la formation. Si Flavio s’était opposé dès le départ aux transferts des Dudelangeois, je n’aurais pas signé à Virton : j’avais une autre très bonne offre en D1.  »

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© Emilien Hofman

Quoi qu’il en soit, avec les transferts des derniers jours du mercato estival, Virton voit sa masse salariale exploser au point, selon Hayes, d’influer cinq mois plus tard sur les retards de paiement. Aujourd’hui, l’heure est au dégraissage : Lewerenz (Viktoria Cologne) et Benamra (en prêt à Givry) sont partis et le club a cherché en vain des solutions pour Bojic, Vinni Triboulet, Fazli Kocabas, Samir Hadji et Anouar Kali. Fin janvier, la majorité des employés avaient reçu leur salaire de fin d’année civile.

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© Emilien Hofman

Vannes coupées ?

Face à ces retards de paiement, une question demeure : pourquoi le club n’a-t-il pas séparé les budgets alloués aux transferts et aux salaires ? L’ancien directeur financier, Vincent Olimar, démissionnaire en septembre, répond :  » Tout avait été budgétisé pour rester stable financièrement et pour répondre aux exigences de la licence. Je ne sais pas qui a explosé le budget, mais c’est un peu facile de tout mettre sur la tête de Toppmöller. Hayes a également amené des joueurs, ce qui pose la question des doubles casquettes.  » Les problèmes d’argent dépasseraient en effet l’environnement strictement sportif et, sous couvert d’anonymat, certains (anciens) partenaires affirment que le club leur doit encore des sommes à cinq chiffres. Des procédures judiciaires sont en cours, même si la direction ne nie pas ces retards.  » Arrêtons de faire comme si l’avant-Becca était une époque de champs verts et la reprise synonyme de gouffre financier « , martèle Alex Hayes.  » Quand le club a été repris, il y avait 1,2 million d’euros à payer. C’est une dette très difficile à combler : la D1B ne génère pratiquement pas de revenus télé, le stade peut accueillir max 4.500 personnes et on ne vend pas 20.000 maillots par saison, ni des burgers à treize euros.  »

L’homme d’affaires luxembourgeois Flavio Becca est officiellement sponsor de l’Excelsior Virton. Au même titre qu’à Dudelange, il en est pourtant clairement le décideur numéro 1. Il est donc normal de s’interroger sur les problèmes financiers des Gaumais alors que la phalange luxembourgeoise ne connaît pas les mêmes soucis. Aurait-il coupé la vanne ? Médiatiquement très discret, Becca ne s’exprimera pas, pas plus que les trois administrateurs virtonais dont fait partie Frédéric Lamotte, chahuté par les joueurs le jour du match contre le Beerschot pour avoir évité d’évoquer les questions d’argent dans le vestiaire et récemment annoncé en partance.  » C’est trop facile de dire : Monsieur Becca, trouvez-nous des sponsorings « , défend Alex Hayes.  » La réalité, c’est que le club représente fièrement une région, mais que celle-ci n’est pas riche et la ville non plus. On n’a pas cinquante sponsors qui frappent à la porte pour faire le naming de la tribune. Il faut donc rester réaliste par rapport à ce qui peut se faire.  »

Démissions en chaîne

Sur la pelouse, Virton prend le meilleur sur le Beerschot grâce à un but du déroutant Lucas Ribeiro et s’offre la tête de la deuxième tranche. Dans les tribunes, André Georges assiste à la rencontre en simple spectateur, lui qui avait entamé en juillet sa cinquième saison en tant que responsable matériel de l’équipe première.  » Quand le club est devenu pro, j’ai estimé que mon travail avait pris plus d’importance. En début de saison, j’ai donc demandé à Alex Hayes s’il était possible que le club intervienne un peu financièrement pour couvrir certains frais « , relate le Gaumais.  » Il a plutôt bien accepté la discussion et m’a promis une réponse dans les huit jours. Elle n’est jamais arrivée.  »

Alex Hayes, le CEO de l'Excelsior.
Alex Hayes, le CEO de l’Excelsior.© Emilien Hofman

Début septembre, dans l’espoir de faire bouger les choses, Dédé annonce par mail qu’il n’assistera pas à la prochaine rencontre de championnat. La réponse fuse : le club ne compte plus sur lui. Dans la foulée, un remplaçant est engagé… à mi-temps. Depuis août, d’autres membres du personnel ont quitté le navire : Vincent Olimar, Marc Laroche (directeur du centre de formation), Michel Mullens (membre du comité exécutif), Freddy Vanderlooven (le coordinateur des bénévoles) et bien entendu Dino Toppmöller.

Christian Bracconi (à gauche) a été nommé T1 début décembre.
Christian Bracconi (à gauche) a été nommé T1 début décembre.© Emilien Hofman

Le tournant du passage en Gaume de ce dernier intervient lors de la conférence de presse organisée en marge du match contre Westerlo, fin novembre. Le T1 allemand s’indigne alors des conditions de travail du groupe pro. Coupure d’électricité programmée mais non annoncée, terrains d’entraînement en mauvais état, pénurie de sèche-linges, buanderie sous eau, annulation de repas d’équipe faute de nourriture, manquements au niveau de la structure médicale, pourtant nécessaire à la prise en charge rapide des blessés : les défaillances semblent légion. Toppmöller, qui a l’impression que tout le monde ne tire pas dans la même direction, menace alors de démissionner.  » Il faut savoir que Dino s’est autoproclamé manager général « , place Alex Hayes  » Dès ce moment, s’il y avait un problème, c’était à lui d’envoyer les mails, de budgétiser, etc. J’ai voulu aider parce que je l’ai déjà fait avec succès à Lorient et à l’Union, mais ça a été rejeté. À partir de là, je ne pouvais rien faire : j’avais plein d’autres choses à gérer.  »

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Trois jours après la conférence de presse, Dino Toppmöller rend son tablier. Aujourd’hui encore, il n’en démord pas : à sa signature, Flavio Becca lui avait promis qu’il serait son seul relais au club.  » Peut-être qu’il a sous-estimé ses activités au sein de ses autres clubs et qu’il a choisi Hayes pour le remplacer « , suppose-t-il.  » Je n’avais pour autant aucun souci à travailler avec un directeur sportif : on a essayé de collaborer, mais ça n’a pas fonctionné. C’est dommage que Flavio n’ait pas pu être plus présent au club : il y aurait eu moins de soucis. Comme à Dudelange.  » En interne, si les petits problèmes se règlent progressivement, il arrive encore que des intendants doivent avancer de leur poche des médicaments pour un joueur. Puis éprouvent certaines difficultés à se faire rembourser.

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Professionnalisation et travail commun

Au bord de la faillite en juillet 2018, l’Excelsior Virton survit alors grâce à Flavio Becca et vit depuis sur un nuage sportif : champions de D1 Amateurs en 2019, actuels premiers du général et premier ex aequo de la deuxième tranche, les Vert et Blanc n’en finissent plus de surprendre. Forcément, le passage en D1B rime avec quelques obligations. La dérogation dont bénéfice le matricule 200 pour jouer dans son trop petit stade ne sera par exemple pas prolongée au-delà de la saison en cours. Le club doit se professionnaliser. Les joueurs en ont conscience, mais ils pensent aussi que cela pourrait aller un peu plus vite.  » On a dû attendre longtemps pour obtenir la petite salle de muscu que l’on demandait « , résume l’arrière droit Guillaume François, passé notamment par Charleroi et le Beerschot.  » On nous a promis un sauna et un bain froid, des outils très utiles pour la récupération et dont tous les clubs pros disposent.  » Jusqu’ici, la commande est toujours en attente… et devrait selon toute vraisemblance être annulée.  » Je n’ai personnellement jamais promis cela « , jure Alex Hayes.  » De tous les investissements que l’on doit faire, c’est loin d’être la priorité.  » L’arrivée de Mario Mendoza – par ailleurs agent de joueurs – comme conseiller à l’académie doit théoriquement aller dans le sens de cette structuration professionnelle. Selon Hayes, celle-ci passe également par une meilleure préparation des joueurs (alimentation, cryothérapie, prépa mentale, sommeil, etc.), mais aussi par la présence du coach au centre d’entraînement du début à la fin de la journée.

Virton est le seul représentant wallon en D1B.
Virton est le seul représentant wallon en D1B.© Emilien Hofman

C’est à cela que s’attelle l’entraîneur Christian Bracconi depuis son intronisation le 4 décembre dernier.  » On a une relation de confiance « , se félicite Alex Hayes.  » On se parle plusieurs fois par jour pour voir ce qui est le mieux pour le club, comme par exemple le choix du stage hivernal à Nieuport : on a estimé que dépenser 40 ou 50.000 euros pour aller en Espagne n’était pas nécessaire.  » Du côté des joueurs, le nouveau coach corse semble séduire.  » Il a été intelligent dans son approche humaine « , glisse Guillaume François.  » Il a senti les liens qu’on avait avec Dino Toppmöller – même les remplaçants l’appréciaient – et il essaie d’apporter sa touche sans bouleverser tous les plans.  »

À propos de plans, ceux qui lient Virton à des repreneurs chinois n’ont, selon Alex Hayes, aucun sens. Le CEO invite par contre les instances locales à se mobiliser pour faire évoluer le club.  » Le foot à Virton est une source positive pour la ville et la région, mais pour que tout le monde soit gagnant, on a besoin d’aide. À l’Union, la commune a investi cinq millions d’euros pour le stade. Je ne demande pas tout ça.  » Juste un bon éclairage.

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Le cas Kali

Transféré en provenance du NAC Breda, Anouar Kali n’a pas joué une minute avec l’Excelsior. Pire : il n’a effectué qu’un seul entraînement en Gaume, en été.  » Le rapport médical envoyé par Breda semblait bon, mais il est arrivé avec un problème très sérieux au tendon d’Achille « , explique Alex Hayes. Le joueur – qui n’a jamais pris de logement à Virton – est alors retourné  » se soigner  » à Breda et n’a plus donné signe de vie depuis.  » Breda nous a menti, le joueur aussi. Il n’est donc pas question d’honorer quoi que ce soit par rapport à la convention de prêt. On ira jusqu’au bout de notre démarche, même s’il faut aller à la FIFA.  » En attendant, le joueur a rendu sa voiture du club. Cabossée, elle serait directement partie à la casse.

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