Les doigts de Guardiola

Pour tenter de comprendre, j’avais enregistré le récent derby mancunien. Et je viens de m’en repasser, avec moult arrêts sur image, les phases qui m’interrogeaient : celles où, comme à chaque match, Pep Guardiola mouline depuis la touche, tel un sémaphore abscons, roi d’un morse inintelligible pour le commun des footeux !

Ça m’a rappelé avec émotion l’inoubliable expression bracchiale, ô esthétisante, de l’inoubliable Guy Luzon : virevoltes, rotations de poignet, écartements des doigts, changements de vitesse, arabesques de top-dactylo, ersatz de Nijinski pour dug-out ! Avec deux grandes différences formelles : Luzon jouait des manivelles tel un artiste inspiré se contentant de suggérer, alors que les gesticulations de Guardiola sont sans cesse saccadées. Elles sont celles d’un chef donnant ses ordres nerveusement, et ses deux index tiennent les rôles principaux, continûment tendus, pointés dans des directions successives, … aux joueurs d’assimiler à la vitesse de l’éclair !

Donc, j’ai revisionné : replays, ralentis, pauses, dans l’espoir de décoder quelque message guardiolesque. Résultat : que dalle, je ne pige rien à sa gestuelle (paraîtrait qu’on dit maintenant gestique … auquel cas j’écrirais plutôt geste/tic ! ). Bon, soit. Si, pour moi, c’est du chinois, de trois choses l’une. Ou bien c’est un mode de communication foutrement sophistiqué, fichtrement codé, décodable par les joueurs de City exclusivement, et preuve supplémentaire du génie de Pep l’Unique : à son arrivée en juin dernier, il a sans doute refilé un syllabus de son cru à chaque joueur, même que Vincent Kompany a eu beaucoup de temps pour le connaître sur le bout des doigts (de pied).

Ou bien, ce qui est possible, je suis un balourd banal, au contraire des vrais tacticiens footophiles qui, eux, finissent par décrypter la science de Guardiola. Mais alors se pose cette question : pourquoi cette gestuelle codée, si elle bonifie le scénario tactique d’un match, ne fait-elle pas école ? Pourquoi Pep est-il seul à s’agiter scientifiquement ? Vous m’objecterez qu’un Antonio Conte, un Jürgen Klopp ou un Diego Simeone gesticulent eux aussi très régulièrement. C’est vrai mais c’est fort différent. Ces trois-là utilisent surtout leurs cordes vocales, exhibent une impulsivité, transmettent une grinta. Leur jeu de bras sommaire dénote de l’accompagnement basique, pas de la consigne alambiquée.

Quant aux autres grands maîtres du banc, d’Arsène Wenger à Carlo Ancelotti en passant par Zinédine Zidane ou même José Mourinho, certes il leur arrive des sautes d’humeur, mais ils n’ont pas en match ce besoin de guidance speedée récurrente. Alors, soit ils n’arrivent pas à la cheville de Pep qui leur fait ainsi indirectement la leçon, à eux qui négligent pareille approche innovante de coaching, pareil outil génial de communication. Soit ils pensent que Guardiola prend trop les joueurs pour des cons qu’il faut replacer sans cesse. A vous de voir.

Ou bien enfin, car il reste une hypothèse, les salsifis de Guardiola ne servent qu’à lui-même, lui seul comprend ce que ses mains moulinent ! Les joueurs le regardent, ils font oui de la tête pour obéir sans avoir l’air cons, mais sans vraiment piger les signes cabalistiques du sémaphore, enfermé dans sa bulle un chouia autiste de réinventeur du foot. Un Messie, ça manque parfois de lucidité quant à la capacité de compréhension de ses ouailles. J’imagine le petit Kevin De Bruyne, apostrophé à 30 ou 40 m du banc, et zyeutant ahuri les abracadabrants tripotages de son coach. Ça ne peut pas l’aider, ça doit lui emmêler les pinceaux du cerveau, vaudrait mieux lui lâcher la bride.

D’ailleurs, je viens de compulser sur Maxifoot.fr les statistiques de notre petit Kev : avant le Man City-Crystal Palace de ce week-end, en 45 matches officiels et 3557 minutes, il a planté 5 buts. En 2015/16, sous Manuel Pellegrini, en 41 matches et 3113 minutes, il en avait planté 16. Je sais, certains disent qu’on peut tout faire dire aux chiffres : c’est à voir, mais ceux-ci m’arrangent bien.

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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