Les dinosaures

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Ils sont toujours au top après 35 ans. Quels sont leurs secrets?

Le GBA doit une grande partie de ses victoires à un vieux de la vieille: Marc Degryse. La Louvière ne se serait sans doute pas sauvée, en fin de saison dernière, si Benoît Thans n’avait pas été transféré à mi-championnat. Lors de chaque match de St-Trond, Danny Boffin est de loin le meilleur homme de son équipe.

Les papys font de la résistance. Et ils font ça très bien! D’ailleurs, on les cite encore parfois quand il est question de l’équipe nationale, malgré leur âge canonique. Le retour de Degryse fut évoqué il y a quelques mois, mais il répondit directement qu’il n’était pas intéressé. Quant à Boffin, il fait toujours bel et bien partie du noyau élargi.

Degryse (36 ans): « Chaque âge a son charme »

Marc continue à faire tourner le GBA et à marquer des buts déterminants. Depuis 1983, il a disputé plus de 520 matches en D1 belge, anglaise et hollandaise. Et marqué près de 230 buts.

Marc Degryse: « Je n’arrêterai pas aussi longtemps que je réunirai les trois conditions essentielles: un bon niveau de jeu, une grande force mentale et pas de blessure grave. Je suis conscient qu’à mon âge, un petit problème en apparence bénin pourrait en provoquer d’autres en cascade. Mais je touche du bois: je me plais beaucoup en D1 et je n’ai pas l’intention de changer de vie. Beaucoup de mes anciens coéquipiers sont devenus entraîneurs, et ils me disent presque tous la même chose: footballeur, c’est vraiment le plus beau métier du monde, et il faut tout faire pour le pratiquer le plus longtemps possible. Que l’on se reconvertisse en coach, en manager ou dans une autre fonction, ce sera inévitablement moins agréable. Je dispute actuellement ma 19e saison en D1, avec une moyenne d’une petite trentaine de matches par an, et l’envie a toujours été intacte. Je n’ai douté de mon avenir de joueur que pendant un mois, quand j’étais réserviste lors de ma deuxième saison au PSV: je me suis demandé si cela valait bien la peine de m’obstiner. Mais ce coup de blues est vite passé.

Quand on a 36 ans, on doit évidemment digérer certaines choses: se faire prendre de vitesse par des jeunes joueurs qui débarquent dans le championnat, par exemple. J’accepte de ne plus être le Degryse d’il y a dix ou quinze ans. Mais j’ai développé d’autres qualités, qui sont certainement aussi utiles qu’une bonne pointe de vitesse: de l’expérience, de la maturité et un meilleur positionnement. Un gars de 20 ans ne peut pas avoir tout cela. Finalement, chaque âge a son charme. Le tout est de parvenir à camoufler ses faiblesses et à mieux exploiter ses points forts. Je suis conscient, par exemple, de ne plus être aussi régulier qu’il y a quelques années. Jouer 90 minutes à fond, ce n’est plus pour moi. Pas de problème: au lieu d’avoir dix bons moments par match, je me contente d’en avoir six ou sept. Le reste du temps, je souffle un peu. Le physique n’a jamais été mon point fort et ça ne s’est évidemment pas amélioré avec les années (il rit).

Par contre, j’ai toujours eu une bonne vision du jeu, et elle continue à s’améliorer. J’ai aussi conservé une bonne vivacité sur les dix premiers mètres: grâce à mon petit gabarit et à ma mobilité.

A mon âge, on doit aussi apprendre à mieux gérer et accepter les périodes de méforme. Le joueur de 20 ans essaye de forcer son jeu, il tente de nouvelles choses si la roue ne veut pas tourner pour lui. L’expérience m’a appris que c’était inutile: il faut simplement continuer à travailler le plus sérieusement possible à l’entraînement, et si les qualités de base sont toujours présentes, la forme reviendra tôt ou tard. L’alimentation? Je n’ai vraiment aucun problème de ce côté-là: je mange ce que je veux, en restant bien sûr dans certaines limites, et je conserve toujours mon poids de forme.

Le lendemain des matches, je remarque que je ne rajeunis pas. Ça fait de plus en plus mal partout. Le deuxième jour qui suit un match aussi (il rit). Tous les footballeurs d’un certain âge sont confrontés à ce phénomène: les périodes de récupération sont de plus en plus longues. Je ne rate généralement qu’un seul entraînement par semaine. C’est important d’avoir un entraîneur et des coéquipiers qui vous comprennent. Ils voient que c’est pour être meilleur lors du match du week-end ».

Thans (37 ans): « Je suis plus régulier qu’il y a 10 ans »

Benoît Thans travaille actuellement sous les ordres du kiné Lieven Maesschalk, en compagnie de Mbo Mpenza notamment, afin de revenir en forme pour le début du deuxième tour. Ce sont les suites de la blessure au talon qu’il traîne depuis le début de la saison. Il fit ses débuts en D1 il y a 20 ans et totalise près de 400 matches à ce niveau.

Benoît Thans: « Je me rends tous les jours à Anvers pour des séances de trois heures de travaux forcés. De la course dans les dunes par exemple. On m’a déjà demandé si je trouvais vraiment utile de me démener comme ça à mon âge pour revenir dans l’équipe de La Louvière. Je réponds que le plaisir est toujours intact. Ce plaisir, c’est mon baromètre: dès qu’il ne sera plus présent, j’arrêterai.

Ce n’est pas ma première blessure: j’ai été opéré des ligaments croisés, j’ai souffert d’une pubalgie et d’une infection assez sérieuse au talon. Mais celle-ci me laisse vraiment un goût amer parce que je suis convaincu qu’elle aurait pu être évitée si on ne m’avait pas forcé à travailler comme un fou en début de saison, quand je commençais à en souffrir. Avoir un entraîneur qui comprend le corps de ses joueurs, c’est indispensable. Je demandais à lever le pied le lendemain des matches, mais on m’imposait au contraire deux entraînements. L’état actuel de mon talon s’explique par cette surcharge de travail. Il faut savoir gérer les vieux joueurs. Les jeunes aussi, d’ailleurs. Certains coaches le font beaucoup mieux que d’autres. Ce n’est pas parce qu’on s’entraîne moins qu’on est automatiquement moins bon au coup d’envoi des matches. A la fin de sa carrière, Franky Van der Elst ne s’entraînait plus que quatre fois par semaine, mais il était encore, chaque week-end, un des meilleurs joueurs de Bruges. Le lendemain d’un match, il n’y a pas de honte à trottiner autour du terrain pendant que les autres joueurs se donnent à 200%. Encore faut-il qu’on vous en laisse l’opportunité.

Je connais plusieurs joueurs de ma génération qui font encore de très bonnes choses en D1. J’ai joué dans les sélections nationales de jeunes avec Vital Borkelmans, Filip De Wilde et Dany Verlinden. Ils sont toujours là et ce n’est pas un hasard. Nous avons le même état d’esprit. Je trouve que la mentalité de notre génération était beaucoup plus positive que celle des jeunes footballeurs d’aujourd’hui, pour qui l’argent et les contrats passent souvent au premier plan. Pour eux, tout cela vient en tout cas avant l’identification aux couleurs du club. Je continue parce que je suis persuadé que j’ai encore le niveau. Si ce n’était pas le cas, je n’aurais pas été d’une aussi grande aide à La Louvière, l’année passée, dans la lutte pour le maintien. J’estime que je suis encore en mesure de provoquer des décisions, qu’elles soient offensives ou défensives. Je ne suis pas à l’arrêt aujourd’hui pour un problème de vieillissement, mais pour une blessure très spécifique due à un mauvais traitement. Je suis assez grand pour décider si je dois continuer ou stopper: le jour où il faudra prendre une décision définitive, je serai logique avec moi-même. Je n’accepterai jamais d’être ridicule sur un terrain. Si, un jour, j’arrive après tout le monde aux tests physiques, j’aurai compris.

Tous les joueurs qui font une très longue carrière ont un point commun: la stabilité. C’est plus facile de continuer à jouer à un bon niveau quand on sait prendre de bonnes décisions. Moi, mon équilibre s’exprime avant tout par une vie bien remplie. J’ai besoin d’avoir des occupations en dehors de mon métier à La Louvière. On m’a déjà reproché de trop me disperser, mais je ne serais plus aussi frais dans ma tête si je me vautrais dans mon fauteuil dès mon retour des entraînements. J’ai besoin de bouger en permanence, de toucher à un tas d’activités en relation directe avec le football, d’avoir l’esprit toujours occupé.

Je n’ai vraiment pas l’impression que mes périodes de méforme durent plus longtemps que dans le passé ou qu’elles soient plus fréquentes. C’est même l’inverse: je suis plus régulier depuis l’âge de 28 ans. Avant, il m’arrivait de faire un tout gros match, puis de me relâcher pendant quelques semaines. Plus maintenant.

Plus on avance en âge, et plus on comprend que certains aliments sont proscrits. Je ne mange plus comme au début de ma carrière. Je ne connais pas de bringueurs qui durent! Par contre, il est normal de se laisser un peu aller après le match. Je pense que pas un seul footballeur professionnel n’est dans son lit à 11 heures du soir quand il a joué. C’est impossible de trouver le sommeil parce qu’on se repasse tout le match dans sa tête. Votre taux d’adrénaline est si haut que vous ne pouvez pas vous endormir avant les petites heures. Moi, je reste au stade avec des copains ou je vais au restaurant en famille ».

Boffin (36 ans): « Je n’ai jamais brossé un entraînement »

Danny Boffin semble encore plus rapide depuis qu’il a quitté Metz pour revenir à St-Trond. S’il continue sur sa lancée, il partira à coup sûr à la Coupe du Monde. Il aura alors presque 37 ans et ne sera plus très loin du demi-millier de matches en D1.

Danny Boffin: « Mon secret, c’est de n’avoir jamais eu de grave blessure. Quand je vois un jeune qui a des gros problèmes de genou ou de cheville, je me dis qu’il ne jouera pas jusqu’à 40 ans. Physiquement, je me sens mieux que jamais. Sans doute parce que je me soigne comme un pro: je prends moi-même l’initiative d’aller chez mon médecin traitant une fois par mois pour une prise de sang, et je fais particulièrement attention à mon alimentation: beaucoup de pâtes, de riz et de viandes blanches. Mon seul écart, c’est le Quick une fois par semaine pour faire plaisir aux enfants…

Depuis quelques années, je me dis au début de chaque saison que c’est une de mes dernières, et je veux en profiter au maximum. Le fait que je n’aie pas d’idée précise pour ma reconversion m’aide sans doute à me motiver à 200% pour mon métier de joueur. J’imagine avec angoisse le jour où je ne ferai plus partie d’un noyau professionnel. J’espère rester dans le football et j’ai des projets avec les dirigeants de St-Trond. Rien de précis, toutefois.

Je pense que je suis encore plus rapide qu’il y a quelques années. Ne peser que 63 kg est évidemment un avantage. J’ai toujours couru très vite. Quand je suis arrivé dans la noyau A de St-Trond à 18 ans, ma plus grande fierté était de dépasser les vedettes de l’équipe Première lors des exercices de course. J’ai sans arrêt travaillé cet aspect de mon football. En ayant conservé la même pointe de vitesse qu’autrefois et en ayant acquis une grande expérience, je suis automatiquement performant.

Je ne connais pas encore le symptôme classique qui touche la plupart des joueurs de mon âge: des périodes prolongées de méforme. Mais je comprends que ce soit difficile à gérer. Quand vous n’êtes pas bien, vous demandez le ballon dans les pieds au lieu de chercher la profondeur, et vous avez directement deux ou trois adversaires sur le dos. Je constate que les joueurs âgés commencent à éprouver des problèmes quand les terrains deviennent lourds: c’est la preuve que les origines sont plus physiques que mentales. Jusqu’à présent, je n’ai jamais éprouvé le besoin de souffler en semaine. Même le lendemain d’un match, je suis à nouveau prêt pour le combat. Je n’ai jamais brossé un entraînement, tout simplement parce que je n’en ai jamais ressenti la nécessité.

Beaucoup de médians reculent dans le jeu une fois qu’ils ont atteint un certain âge. Cela leur permet de moins courir. Moi, j’occupe toujours la même place depuis le début de ma carrière: c’est un des postes les plus exigeants, car il faut constamment enchaîner les efforts offensifs et défensifs. Mais cela ne me pose aucun problème ».

Smidts (38 ans) rêve encore de la D1

Rudi Smidts a-t-il bouclé sa carrière en D1 en fin de saison dernière, quand Malines n’a pu éviter la culbute en deuxième division? Pas sûr! Il n’a pas vraiment l’intention de s’arrêter à 525 matches parmi l’élite. Malines fait actuellement cavalier seul, et si cela ne tient qu’à lui, l’ancien Diable Rouge est prêt à repartir pour une dix-huitième année au plus haut niveau.

Rudi Smidts: « J’ai connu une saison désastreuse avec Malines. Devoir se battre durant tout un championnat pour ne pas descendre, et finalement échouer, c’est plus grave qu’encourir une grave blessure. Ma motivation en a souffert. Mais tout cela est oublié parce que nous gagnons maintenant la plupart de nos matches. L’idée d’arrêter ne m’effleure plus du tout. Je ne me sens pas usé. Je suis en dernière année de contrat; on verra d’ici la fin de la saison.

Je m’amuse toujours autant à l’entraînement et je travaille même plus qu’avant. Malines a conservé ses pros et nous avons le rythme d’une équipe de D1: 7 entraînements par semaine. Quand on a mon âge, on se connaît parfaitement. A deux heures du coup d’envoi, je peux dire si je suis en forme ou pas. Et si je ne suis pas parfaitement frais dans la tête et dans les jambes, il vaut mieux que je laisse ma place à un autre. Cette saison, je n’ai jamais ressenti ce besoin car la différence de niveau entre la D1 et la D2 est quand même énorme. J’aurais seulement des problèmes si nous devions disputer deux matches par semaine: je crois que ce serait un peu trop me demander. A 38 ans, on a besoin de plages de récupération plus longues et il faut plus de temps pour soigner les petits bobos ».

Pierre Danvoye

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