© EMILIEN HOFMAN

 » Les Diables Rouges n’ont pas une seule faille « 

Cinquième meilleur buteur de l’histoire de la Seleção, Nuno Gomes a traversé le début du XXe siècle avec ses têtes plongeantes et ses cheveux longs. Révélé à l’EURO 2000, proche de Michel Preud’homme et de Sá Pinto, il aurait également pu signer au Standard en 2005. Le témoin idéal pour préfacer Belgique-Portugal.

Nuno Gomes marque toujours. Fin avril, à l’occasion d’un match caritatif à Genève opposant les Amis de Luis Figo à ceux de Ronaldinho, c’est le quadra portugais qui offre la victoire aux siens au terme d’une rencontre disputée (4-3).  » Le football me manque « , confie-t-il le lendemain, attablé à la terrasse d’un hôtel de la banlieue de Lisbonne. Nuno Gomes est retraité depuis cinq ans. Tout d’abord conseiller du président de Benfica, Luis Filipe Vieira, pour le recrutement international, il assiste désormais son frère agent dans ses missions autour du monde. Le lendemain, il s’envole d’ailleurs pour la Colombie aux côtés de l’ancien international Jorge Andrade pour rencontrer un joueur. En pull malgré une température qui frôle les 30 °, Nuno revient sur une carrière basée sur sa fidélité envers Benfica et la sélection portugaise. Barré par l’indétrônable Pauleta, Gomes est toutefois parvenu à sortir son épingle du jeu lors des grands événements. Dans un style qui lui est propre, celui du renard des surfaces.

À mon arrivée à Benfica, Preud’homme a fait partie des joueurs plus expérimentés qui m’ont aidé à m’intégrer « . – Nuno Gomes

C’est à l’EURO 2000 que le grand public a fait votre connaissance. Ce tournoi constitue-t-il le sommet de votre carrière ?

NUNO GOMES : Oui je pense. C’était mon premier gros événement avec l’équipe nationale et j’ai senti qu’il a changé ma carrière. Je suis devenu plus célèbre, j’ai reçu plusieurs offres de clubs étrangers et j’ai rejoint la Fiorentina ( contre 17millions d’euros, ndlr). S’il y a une chose qui n’a pas bougé, c’est mon style. J’ai toujours joué de la même façon face au but, de mon enfance jusqu’aux matchs que je dispute encore avec mes amis aujourd’hui.

Le Portugal, demi-finaliste, a été la révélation de ce tournoi belgo-néerlandais…

GOMES : Par la suite, on n’a plus raté une seule compétition internationale alors qu’avant 2000, le pays était absent de toutes les manifestations depuis 1986 ( EURO 1996 mis à part, ndlr). Notre génération était très bonne et je pense qu’elle a amené un vent frais sur le football portugais, une sorte de renaissance. On a toujours eu beaucoup de talents, mais jusqu’à l’EURO 2000, on ne performait que dans les compétitions de jeunes. Ce tournoi nous a donné énormément de confiance en nous : on a compris que le Portugal pouvait réussir de grandes choses. La Fédération et les clubs ont donc continué à travailler pour améliorer l’organisation et les infrastructures afin d’en tirer des bénéfices dans les années suivantes.

Qu’est-ce qui explique que votre génération – pour beaucoup qualitativement supérieure à celle de 2016 – n’a pas aussi bien réussi ?

GOMES : En 2000, on a fait un très bon tournoi de bout en bout là où la génération 2016 a enchaîné les matchs nuls avant d’élever son niveau au bon moment. Ce n’est peut-être pas juste de comparer ces deux périodes, mais on a peut-être joué trop vite à un  » trop bon  » niveau. Et puis il faut reconnaître la force de la France 2000, qui avait une équipe incroyable. Lors de la seconde période de la demi-finale, alors qu’on menait à la marque ( défaite finale 2-1, ndlr), on essayait surtout de supporter leur pression. Puis il y a les détails : on a eu cette terrible occasion avec la tête d’Abel Xavier déviée en claquette par Barthez. En 2016, la frappe d’Eder est rentrée, elle.

Nuno Gomes face à Marcel Desailly à l'EURO 2000. Un match qui lui a laissé  un souvenir amer.
Nuno Gomes face à Marcel Desailly à l’EURO 2000. Un match qui lui a laissé un souvenir amer.© REUTERS

Contre la France, vous aviez ouvert le score d’un but magnifique. Le Heysel est décidément un stade qui vous réussit…

GOMES : C’est vrai ! Quand j’avais 15 ans, j’ai disputé un tournoi de jeunes juste à côté du Heysel. C’était ma première compétition internationale et j’avais inscrit le but victorieux en finale. Ce souvenir m’est revenu au moment d’entrer dans le stade, neuf ans plus tard, pour affronter la France. Pour un attaquant, marquer un but inutile lui fait perdre de la saveur, j’ai donc eu une meilleure sensation quatre ans plus tard en plantant le goal qualificatif au premier tour de l’EURO portugais face à l’Espagne (1-0). On va dire que cette réalisation face à Fabien Barthez est ma plus belle du pied gauche ( rires). Mais cette élimination en 2000 m’a beaucoup marqué.

Les circonstances n’y sont pas étrangères. 18 ans plus tard, vous comprenez la décision de l’arbitre d’accorder le penalty décisif à la France à la 117e minute suite à la main d’Abel Xavier ?

GOMES : Au moment-même, dans le stade, on était sûr qu’il n’y avait pas eu de main. D’où notre réaction colérique envers l’arbitre. On était persuadé d’être jetés comme des malpropres. On avait l’impression qu’on nous enlevait injustement ce rêve d’être les premiers Portugais à atteindre une finale. C’est seulement à l’hôtel, en voyant les images, que j’ai compris, mais sur le moment, mon cerveau n’a pas vu bien clair ( Gomes a été expulsé pour avoir bousculé l’arbitre. Il a ensuite été suspendu huitmois, ndlr).

Comment avez-vous géré votre suspension au niveau international alors que vous veniez de rejoindre la Fiorentina ?

GOMES : Ça a été difficile parce que je voulais vraiment réussir ce pas en avant dans ma carrière et que je me retrouvais suspendu et remplacé en équipe nationale. Je pense que ça m’a beaucoup aidé de découvrir un nouveau club et un nouveau championnat, surtout que la Serie A était très forte à cette époque. Mais c’est sûr que j’ai décompté les jours jusqu’à la fin de la sanction.

Quelques années plus tard, vous êtes de nouveau sanctionné suite à un geste de la main jugé offensant face à Braga. Vous étiez un joueur électrique ?

GOMES : Parfois, quand tu disputes un gros match et que tu es dans une phase de stress, ton sang devient très chaud et tu réagis… mal. Ces épisodes sont des réactions du moment que l’on regrette par la suite mais qui sont difficiles à canaliser. Vous avez connu Sérgio Conceição et Ricardo Sá Pinto en Belgique : de vrais latins, ils sont pires que moi ( rires).

MPH, STANDARD ET CHOIX DU COEUR

Il existe une anecdote concernant une de vos premières rencontres avec Michel Preud’homme…

GOMES : Je jouais encore pour Boavista et j’avais raté un goal dans les dernières minutes alors que le score était de 1-1. Michel était sorti à ma rencontre et avait tout pris : le ballon et mes jambes. Mais il n’y a pas eu de penalty et le score n’a plus bougé. J’étais tellement frustré… Michel l’a remarqué et est venu m’offrir son maillot. C’est aussi ce soir-là que j’ai signé pour Benfica, les présidents des deux clubs ont d’ailleurs profité de la conférence de presse pour annoncer le transfert. Quelques semaines plus tard, j’ai pu prendre ma revanche sur Michel en marquant un but face à lui en finale de la Coupe du Portugal. On a gagné 3-2.

Comment était Preud’homme en tant que joueur ?

GOMES : C’est l’un des meilleurs gardiens… du monde, parce que personnellement, c’est le meilleur avec lequel j’ai joué. Pourtant, j’ai côtoyé Francesco Toldo, Vitor Baia, Robert Enke, etc. À mon arrivée à Benfica, il a fait partie des joueurs plus expérimentés qui m’ont aidé à m’intégrer. Michel avait déjà tout connu avant d’arriver au Portugal, on se demandait même pourquoi il continuait à s’entraîner à fond tous les jours. À la fin des entraînements, il nous arrivait de faire un petit match au cours duquel on était tous beaucoup plus relax. Sauf Michel ! S’il encaissait un but à cause du laxisme des gars de sa formation, il était furieux. Du coup, quand le coach répartissait les équipes, je faisais tout pour ne pas être dans la sienne ( rires).

En tant que coach, il se donne à un tel point qu’il a décidé de se mettre au repos cette saison…

GOMES : J’ai vu quelques-uns de ses matchs. Il est toujours le même qu’en tant que joueur, c’est-à-dire dans la même veine que Conceição et Sá Pinto : il veut tirer le maximum de ses joueurs et vit le match de l’intérieur.

Il y a une dizaine d’années, la rumeur de votre transfert a circulé à plusieurs reprises dans les travées de Sclessin : vous avez réellement été proche de rejoindre le Standard ?

GOMES : Oui c’est vrai. J’ai eu l’une ou l’autre discussion avec Sérgio Conceição, Luciano D’Onofrio et les dirigeants liégeois. Je trouvais l’idée intéressante, mais comme souvent dans ma carrière, j’ai finalement fait le choix du coeur en décidant de rester à Benfica. J’ai refusé beaucoup d’offres de l’étranger pour ces raisons émotionnelles.

Pourquoi ne pas avoir fini votre carrière à Benfica ?

GOMES : Au début des années 2010, je ne jouais plus beaucoup et les dirigeants m’ont proposé d’intégrer l’organigramme du club. Mais je sentais que ce n’était pas le moment, je voulais encore jouer et j’en étais encore capable. J’ai donc rejoint Braga puis Blackburn Rovers. J’avais bien conscience que si je prenais la décision d’arrêter, je ne pourrais jamais revenir en arrière.

La surprise anglaise

16 ans après les belles performances de votre génération, c’est celle de Cristiano Ronaldo qui s’est imposée à l’EURO. Une surprise pour vous ?

GOMES : Oui, dans le sens où face à l’Allemagne, l’Espagne ou même la Belgique, le Portugal ne faisait pas office de favori. La force des hommes de Fernando Santos, c’est d’avoir formé une véritable équipe. Les gars ont énormément travaillé et ont surtout cru en eux dès le début. Et puis évidemment, ils ont pu compter sur Ronaldo quand il le fallait.

Il est le même que celui que vous avez connu à ses débuts en équipe nationale, en 2003 ?

GOMES : Il est plus intelligent maintenant. C’est certainement dû à l’expérience qu’il a engrangée au fil des années. Avant, je me souviens qu’il avait les capacités physiques pour courir partout dans tous les sens, alors il le faisait ( sourire). Maintenant, il sait plus comment se placer, anticiper, surgir… et il marque plus de goals !

Qu’espérez-vous du Portugal au Mondial russe ?

GOMES : On sera très attendu, ce sera plus compliqué qu’il y a deux ans en France. À nous de bien gérer cette pression. Pour moi, le Brésil est le grand favori du tournoi. Parmi les potentielles surprises, je citerais l’Angleterre, une nation avec un gros passé mais qui a disparu de la circulation ces dernières années. Ils possèdent un vivier de jeunes joueurs splendide. J’espère pour eux que l’équipe nationale pourra se mettre au diapason en juin. Sinon ça sera pour dans deux ans, j’en suis sûr.

Les Anglais affronteront notamment la Belgique, dont les observateurs attendent beaucoup plus après un Mondial 2014 et un EURO 2016 décevants…

GOMES : Ce ne sont pas toujours les meilleurs qui gagnent : à l’EURO, la Belgique a été surprise par les Pays de Galles… comme tout le monde ! Les Diables Rouges doivent continuer à être présents. On l’a vu avec le Portugal à partir de 2000 : on a toujours été là, aux alentours des demi-finales, avant d’être sacrés en 2016. Si les Belges maintiennent une certaine stabilité dans leurs résultats, ça peut créer une émulation qui motivera les jeunes générations.

Un avis sur ce match amical Belgique-Portugal ?

GOMES : C’est du 50-50. Mais pour nous, c’est un bon test parce que j’estime que la Belgique est assez similaire à l’Espagne, que nous allons affronter : du gardien de but à l’attaquant, il n’y a pas une seule faille. Et le système de jeu – prôné qui plus est par un coach ibérique – est sensiblement le même que l’espagnol. Et puis pour les Belges, c’est toujours intéressant de se mesurer au champion d’Europe.

À l’EURO grâce à Sá Pinto

Quelques années après l’avoir vu en tant que joueur, la Belgique a pu découvrir Sá Pinto l’entraîneur…

NUNO GOMES : Il était un peu similaire à Sérgio Conceição dans sa manière de jouer, il l’est aussi dans son coaching. Leur capacité à motiver un groupe est impressionnante : combien de fois ils ne se retrouvent pas sur le terrain au terme d’une action ou quand quelque chose ne leur plaît pas.

Vous avez suivi la saison de Sá Pinto au Standard ?

GOMES : Oui oui, j’ai vu qu’il avait gagné la Coupe. Il a fait du bon travail dans un championnat et un club compliqué. Mais je pense aussi qu’il a le challenge dans le sang. Il ne veut pas se retrouver dans une zone confortable, il préfère être mis en difficultés. J’ai été marqué par ce fameux épisode de la bière qu’on lui a lancée à Anderlecht. Je ne sais pas s’il a réellement été blessé ou non, mais c’est un avertissement pour la sécurité dans les stades : heureusement que ce n’était qu’un gobelet en plastique. Je me demande si ce n’était pas une manière d’engager ses joueurs, de les enflammer. En tout cas, c’était du Sá Pinto tout craché : il est comme ça au naturel.

Même en dehors du terrain ?

GOMES : Oui tout à fait. C’est un mec très marrant, qui aime parler et surtout jouer. À l’hôtel, lors des rassemblements avec l’équipe nationale, il était tout le temps près de la table de ping pong ou du jeu de cartes. Évidemment, il était là pour gagner uniquement. C’est un vrai ami. Si j’ai joué à l’EURO 2000, c’est parce qu’il s’est blessé 2-3 jours avant le tournoi. Après mon premier but contre l’Angleterre, j’ai donc couru dans sa direction pour le lui dédier.

L’âge avance mais votre coiffure reste…

GOMES : J’ai toujours eu les cheveux longs, même quand j’étais enfant.

Lors de la Coupe du Monde 2002, un journal belge a demandé à ses lecteurs d’établir le classement des plus beaux joueurs du tournoi. Vous avez terminé troisième. À une époque où le look n’était pas encore une priorité pour les footballeurs, est-ce que vous en avez particulièrement pris soin ?

GOMES : Honnêtement je ne m’en souciais pas. J’étais juste un gars normal avec des cheveux longs. J’ai porté un serre-tête, mais c’était par obligation et surtout pour ne pas ramasser des cheveux devant les yeux en pleine course.

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