LES DESSOUS DE LA CRISE AU STANDARD

Mircea Rednic est revenu à Liège avec son sourire, son expérience et son ambition quelques heures après tous les événements du 26 octobre : pourquoi Sclessin en est arrivé là ?

R ednic. Mircea Rednic. Le successeur de Ron Jans est né la même année que 007, en 1962, et il devra faire preuve de la même malice que l’espion de sa Gracieuse Majesté pour résoudre les nombreux problèmes qui ont assombri le ciel du Standard. Mission difficile. Opération Enfer. Bons baisers de Sclessin. Ian Fleming, le journaliste qui a inventé Bond, James Bond, n’avait pas pensé à des aventures au pays de GeorgesSimenon. L’écrivain anglais peut revenir sur terre : il y a matière à haute tension le long de la Meuse.

Gand a essayé de détourner Rednic pour qu’il prenne la succession de Trond Sollied. Les Buffalos ont confié en vain cette mission à Paul Courant qui contacta son ami Mircea Lucescu, proche de Rednic, pour mettre les Standardmen echec et mat. Un autre agent (de joueurs) secret le guida vers le club où Rednic avait envie de revenir : le Standard, ses anciennes couleurs.

Jadis secrétaire général des Rouches, Roger Henrotay l’avait recruté comme joueur au début des années 90. Et Rednic ne laisse alors que de bons souvenirs, demande et obtient la nationalité belge, achète une maison à Neupré qu’il a toujours gardée et occupée avec sa famille malgré de nombreux séjours à l’étranger.

Le nom de Rednic avait déjà circulé à Sclessin, notamment avant le choix de Jans. Cultivé, Rednic a grandi de l’autre côté du Rideau de Fer, du temps de la Guerre froide entre l’Est et l’Ouest. A cette époque tumultueuse, le monde échappe de justesse à un embrasement nucléaire le 27 octobre 1962, au plus chaud de l’affaire des fusées soviétiques à Cuba. Ce jour-là, Moscou se retire après un ultimatum de Washington.

En paraphrasant une phrase d’un des conseillers de John Kennedy, cinquante ans plus tard, le 28 octobre, l’univers rouche a vécu le  » jour le plus dangereux de son histoire « . Tous les faits n’ont pas été révélés mais une chose est sûre : contre le Cercle de Bruges, le Standard était sur le point d’éclater en quatre morceaux : le noyau dur des Ultras, les dirigeants, les joueurs et les supporters modérés.

Le Standard a vécu de nombreuses situations tendues au cours de son histoire. Ses fans se sont souvent fâchés mais ils ont toujours été fidèles à leur club, comme après l’affaire de corruption en 1984 ou quand on leur demanda sur cette lancée de s’armer de seaux et de pot de peintures pour nettoyer et peindre le stade Sclessin. Qui aurait fait cela à leur place, à une époque où tout le monde se détournait du Standard ?

 » L’image du douzième homme est brisée « 

Ce souvenir ne gomme pas du tout la gravité d’événements récents : jet de fumigènes, actes de violence inadmissibles de certains qui contrastent avec la percutante action  » tribune noire « . Quand des mots se perdent ( » Tous en noir pour un club en deuil « ,  » Direction démission « ), ce n’est pas grave, les menaces, c’est autre chose.

Une grande partie des supporters approuve le message mais pas la manière de l’envoyer. C’est le cas de Nadine Descendre (Reds Champions, un des plus grands clubs de supporters du Standard) qui écrit :  » Depuis plus de 40 ans, je suis fidèle au Standard. Avec notre équipe, nous avons vécu des moments inoubliables. Il y a eu des moments euphoriques, des titres, des coupes, des qualifications en Coupe d’Europe, nous avons voyagé dans toute l’Europe afin d’encourager nos joueurs. Il y a eu des périodes sombres, très sombres même. Mais dans tous ces moments, nous formions un bloc soudé dans les tribunes et nous avons toujours soutenu à fond notre équipe.

Depuis vendredi dernier contre le Cercle de Bruges, le douzième homme de Sclessin n’existe plus, il s’est laissé réduire à zéro par les défaites, la ranc£ur, la rage, l’incompréhension, (…) Je suis tout à fait d’accord avec ce que pensent la majorité des supporters, il y a au niveau de la direction un très grave problème de non- compréhension du monde du football professionnel. (…) Mais là où je ne suis absolument pas d’accord, c’est la manière utilisée pour  » faire passer un message  » à la direction. Pour ce faire, vous avez pris les joueurs en otages. (…) Je n’ai jamais connu ça. (…) Reprenons notre refrain – Tous ensemble, tous ensemble. L’image de marque du douzième homme est brisée, et Dieu sait combien d’années il nous faudra pour la reconstruire !  »

Lucien et DominiqueD’Onofrio ou Roger Henrotay autrefois, ont été adulés ou couverts de reproches et d’insultes. Enervé par la bronca des Ultras, Jean-François de Sart est sorti de sa réserve, a été plus présent dans le débat public et médiatique, a contesté la nature de certains articles de presse qu’il jugeait incomplets et totalement à sa charge quant à la pauvreté du jeu, le rendement insuffisant des nouveaux venus, la place dans les profondeurs du classement général. Cette contestation l’a incité à sortir du bois, alors que son président préfère généralement ne pas répliquer car cela aggrave la situation, pense-t-il. JFDS a choisi de contre-attaquer.

Dans cette stratégie, il a eu plus qu’un £uf à peler avec ses joueurs. Le point presse de quatre d’entre eux, Jelle Van Damme, Réginal Goreux, Sébastien Pocognoli et LaurentCiman, occupe déjà une place à part dans l’histoire du Standard. Ils ressemblaient à un quarteron de putschistes songeant d’abord à repousser le poids des responsabilités sur les épaules de la direction liégeoise. Ils ont exprimé leur désaccord à propos de la défenestration de Jans. En se positionnant de la sorte, la bande des quatre s’est protégée et surtout désolidarisée de la direction liégeoise, désignée pour l’échafaud. Il ne fait pas de doutes que cela laissera des traces dans leurs relations. Qui payera l’addition en fin de saison pour ce que des dirigeants du club considèrent comme une trahison ?

En 2000, Guy Hellers se fit le porte-parole du vestiaire et, accompagné entre autres, par Didier Ernst et Mbo Mpenza, il expliqua à Lucien D’Onofrio que Tomislav Ivic les épuisait avec des méthodes dépassées. Ivic était plus qu’un coach : il contribuait à la reconstruction du Standard. En le contestant, les joueurs mettaient en danger la politique de D’Ono. Cela donna lieu à des explications orageuses et une décision tomba, rapide et cruelle : le capitaine, Hellers, était prié de quitter le club sur le champ tout en étant payé rubis sur l’ongle jusqu’à la fin de son contrat. Ce fut un séisme à hauteur de la popularité du Grand-Duc mais pour : Luciano, qui l’appréciait, il n’était pas question que le vestiaire s’empare du pouvoir. Le boss, c’était lui, point final. Aujourd’hui, il ne fait pas de doutes, si on en croit certains de ses proches, que comme il le fit pour Hellers, Luciano aurait indiqué la porte de sortie à Van Damme.

Pour Duchâtelet les joueurs  » ont fait preuve de bêtise et ne mesurent pas pourquoi Jans a été viré. Luciano n’aurait pas admis que la cellule communication du club soit roulée : elle n’était pas au courant de la nature d’un message qui a attisé le feu sous la cendre.

L’amende qui attend les contestataires sera gratinée

Il y des choses à revoir, c’est certain car cette division dégrade l’image de marque du club. On peut s’interroger sur la présence de quatre joueurs à ce point presse. D’habitude, il y en a un ou deux. Le vestiaire est uni. Mais il y a plus : ces conférenciers sont moins naïfs qu’on le pense : Van Damme est plus indispensable qu’Hellers en 2000 et le Standard actuel ne peut pas bannir quatre joueurs. Ils ne se sont donc pas présentés aussi nombreux devant la presse pour rien.

A leur décharge, on peut ajouter que les joueurs ont souligné leur part de responsabilités dans la crise mais ce point de leur intervention n’a pas fait les titres de la presse. Duchâtelet n’est pas D’Ono mais l’amende qui attend les contestataires sera gratinée. La présence de Goreux dans ce carré est étonnante car, de source sûre, il ne faisait pas partie des priorités de Jans, qui songea à se débarrasser de lui en début de saison. On peut se demander si le vestiaire avait une idée précise de la gravité de la situation.

Le départ de Pierre François a laissé un vide. Même si ses bonnes relations avec Mogi Bayat (il a assisté à ses côtés au match Charleroi-Standard : il ne serait pas étonnant qu’il rejoigne un jour l’équipe dirigeante des Zèbres) ennuyaient tout le monde à Sclessin, il occupait le rôle de capitaine administratif que les médias aiment consulter. Il était la voix de la direction et l’absence d’un directeur général expose Duchâtelet, qui doit descendre dans la mêlée au lieu de prendre de la hauteur. Même si François ne partageait pas facilement la pole-position (il détestait DominiqueD’Onofrio, qui le lui rendait bien, et tenta d’éliminer de Sart la saison passée) mais incarnait le Standard. François a réglé ses comptes avec Duchâtelet avant Standard-Cercle de Bruges en soulignant dans les médias que  » les Rouches avaient perdu leur âme.  » Cela tombait mal pour Duchâtelet mais bien pour François.

Ennemi de François, Lucien D’Onofrio compte les coups sans se mouiller, sans se fatiguer : ce Standard-là est à mille lieues de l’équipe qu’il avait bâtie à Sclessin. Cela doit le ravir.

Il est extrêmement difficile de bosser avec un brillant homme d’affaires comme Duchâtelet.  » Il change parfois d’avis toutes les cinq minutes « , nous a-t-on dit.  » Quand une affaire est conclue, il est capable de tout bouleverser le lendemain matin.  » Duchâtelet a un conseiller pour les transferts du Standard : le Néerlandais Rob Delahaye, un ancien joueur de MVV Maastricht, un scout qui a fait partie du personnel de Sclessin. C’est Delahaye qui a aiguillé Duchâtelet, fou du football néerlandais ; vers Jans qui avait tellement envie de tenter sa chance à l’étranger. Duchâtelet a vite été conquis par Jans, chaleureux, brillant communicateur aux épaules de déménageur, capable de supporter la pression, contrairement à José Riga.

Sur sa lancée, Delahaye recruta Danny Verbeek à Den Bosch : trop court pour le Standard, il trouva vite chaussure à son pied du côté de NAC Breda. Le même Delahaye fut à la base de l’arrivée de Dudu Biton au Standard. La filière hollandaise tournait à plein régime : Delahaye connaissait Robert Maaskant et Stan Valckx, les anciens manager et coach du Wisla Cracovie où Biton jouait la saison passée. Delahaye a renseigné Astrid Ajdarevic au Standard et, comme le hasard fait bien les choses, Jans a pu se renseigner à son propos via un de ses anciens joueurs suédois de Groningen. Delahaye faisait la pluie et le beau temps. Même s’il fut à la base de la venue de Fréderic Bulot, Imoh Ezekiel et Marvin Ogunjimi, Jean-François de Sart donnait son avis et le boss décidait. Duchâtelet a refusé entre autres Christian Brüls et Benji De Ceulaer, qui auraient pu apporter vitesse et profondeur.

La crise actuelle relancera peut-être de Sart. Delahaye ne compte plus et Rednic fait partie de l’écurie de Roger Henrotay, un ancien de la maison et agent de joueurs en vue. Personne n’a le carnet d’adresses de Lucien D’Onofrio mais Henrotay et son fils Christophe ont leurs entrées au top européen et peuvent aider le Standard à mieux vendre ses joueurs : un deuxième cas Christian Benteke, cédé pour trois fois rien à Genk, ne peut plus arriver. Les Liégeois ont repoussé les Néerlandais et retrouvent le pouvoir dans leur club.

Jean-François de Sart était en guerre avec Jans bien avant son limogeage. Après de bons résultats durant la campagne de préparation, l’équipe s’écroula comme un château de cartes. Même si les transferts ne furent pas à la hauteur, d’autres signaux négatifs furent notés : retard de condition physique lors des premiers match de championnat, désorganisation tactique, pas de rigueur, mauvais placements sur le deuxième ballon et les contres adverses.

Jans est un bon coach mais la greffe n’a pas pris. A part Ciman, dit-on au Standard, le sympathique Jans n’a amélioré aucun joueur. Jans ne supportait pas que de Sart, effrayé par la courbe des résultats, suive les entraînements et parle avec les joueurs.

 » Rendre une partie de ce que ce club m’a donné « 

Pour de Sart, Jans n’utilisait pas assez l’outil mis à la disposition des coaches à l’Académie Robert Louis-Dreyfus : peu de travail technico-tactique, pas de mise au vert, des joueurs qui obtenaient tout ce qu’ils voulaient et l’adoraient aussi pour cela. Aux yeux de de Sart, le Standard était devenu le Club Med de la D1.

Rednic est heureux de retrouver le Standard :  » Je veux rendre une partie de ce que ce club m’a donné en me permettant autrefois de quitter la Roumanie « , dit-il.  » Je suis devenu un autre homme ici. J’ai d’ailleurs la nationalité belge. Le Standard vit des moments difficiles. Tout le monde est responsable dans ce cas-là, le coach, les joueurs. J’aurai besoin d’un peu de temps. Le Standard doit jouer avec deux attaquants à domicile, mais également en déplacement si c’est possible. Tous les joueurs doivent tenter d’apporter le danger dans le camp adverse. Mais, attention : pas question pour autant de négliger le travail défensif : Quand l’adversaire a le ballon, tout le monde doit défendre, les attaquants aussi. « 

Le T1 roumain est arrivé avec son adjoint et un préparateur physique qui étaient à ses côtés à Petrolul Ploiesti. Peter Balette garde évidemment sa place dans le staff du Standard. Malin, il connaît désormais les dessous de la crise du Standard : Duchâtelet et de Sart espèrent que Rednic, Mircea Rednic, éloignera les Rouches du jour le plus dangereux de leur histoire.

Il a été préféré à Frankie Vercauteren dont Duchâtelet redoutait le caractère, à Guy Hellers et surtout à Felice Mazzu, le coach à succès du White Star (recommandé par Philippe Saint-Jean), bloqué par le président des Etoilés, Michel Farin qui veut monter : à Sclessin, vu les problèmes du club, certains craignaient le manque de vécu au plus haut niveau du meilleur coach de la D2.

PAR PIERRE BILIC-PHOTOS : IMAGEGLOBE

Face au Cercle, le Standard a failli éclater en quatre morceaux.

Gand a essayé de détourner Rednic pour succéder à Sollied.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire