Les défis de Biglia

L’Argentin sait qu’il joue sa participation à la Copa America contre le Portugal à Genève pendant une période essentielle avec Anderlecht.

H ooo Lucas Biglia, from Argentina… Les chants des supporters anderlechtois deviennent de plus en plus d’actualité, car le milieu de terrain vient de recevoir une deuxième convocation pour son équipe nationale A : un match amical contre le Portugal, le 9 février à Genève. Le joueur est aux anges. Le train va donc repasser une deuxième fois.

Lucas, que gardez-vous comme souvenir de votre première expérience, au Qatar contre le Brésil ?

LucasBiglia : C’était extraordinaire. Rien que le fait de me retrouver au milieu de joueurs comme Lionel Messi, Javier Mascherano, Javier Zanetti, Martin Demichelis ou Gabriel Heinze, qui évoluent dans de grands championnats et dont je suis les évolutions à la télévision… Faire partie d’un tel groupe, c’est fabuleux. Et dans l’autre camp, brésilien, il y avait des figures comme Ronaldinho, Nilmar ou Dani Alvés. Si vous demandez à n’importe quel footballeur argentin quel est son rêve, on vous répondra : jouer un Argentine-Brésil. Ce rêve, je l’ai réalisé.

Sauf que vous n’avez pas joué ?

Non. J’aurais bien aimé monter au jeu, mais le fait d’avoir goûté à cet événement, même du banc, me donne la motivation pour travailler encore davantage.

Normalement, lors d’un match amical, on fait jouer les nouveaux pour les tester…

Oui, mais quand il s’agit d’un Argentine-Brésil, il n’est jamais question de match amical. Les deux équipes veulent gagner.

Vous avez échangé votre maillot ?

Non, je l’ai gardé pour moi. C’était le n°19.

Un élément plaide en votre faveur : Sergio Batista, le nouveau sélectionneur, vous connaît…

Oui, il fut mon entraîneur à Argentinos Juniors. C’est un avantage important. Il connaît mes qualités et mes défauts, il sait ce que je peux apporter.

Et donc, il vous juge sur le joueur que vous êtes et pas sur le championnat dans lequel vous évoluez…

Exactement. C’est à moi de lui démontrer que je peux lui être utile. Comment ? Comme je le fais dans mon club : en respectant ses consignes, en remplissant du mieux possible le rôle qu’il me confie, en défendant mes couleurs jusqu’à la mort.

Et avec Diego Maradona, quel type de relations aviez-vous ?

Je dois bien avouer qu’elles étaient inexistantes. Il ne m’a jamais appelé, n’est jamais venu me voir jouer. Lorsqu’il était joueur, il fut mon idole, comme pour tous les footballeurs argentins. Mais je sais qu’avec lui, mes chances d’intégrer la sélection étaient quasiment nulles.

Votre concurrent, c’est Mascherano ?

Non, en équipe d’Argentine, j’évolue à droite, un peu comme Guillaume Gillet à Anderlecht.

Jouer la Copa America, c’est possible ?

Oui, je le pense. Mais le match du 9 février sera crucial. Si je joue, il faut absolument que je montre mon meilleur visage. Dans ce cas, je pourrai envisager le grand rendez-vous de juin avec un certain optimisme.

Vous êtes stressé ?

Oui, je l’avoue. Très stressé. C’est un véritable examen que je m’apprête à passer. Je joue très gros sur un seul match.

Batista vous incite-t-il à quitter Anderlecht pour augmenter vos chances d’être sélectionné ?

Non, mais il est convaincu que j’ai les capacités pour jouer dans un autre championnat. En tout cas, s’il ne s’est pas encore déplacé lui-même, il envoie des émissaires pour venir me visionner. Il connaît Anderlecht.

 » A 24 ans, il est temps de franchir un palier « 

Partir n’est donc plus une obligation pour vous ?

Non, mais d’un autre côté, je suis à un tournant de ma carrière. A 24, il est sans doute temps de franchir un palier.

Partir en Turquie, serait-ce franchir un palier ?

Pfft… Je ne sais pas, c’est difficile à dire. Aujourd’hui, à Anderlecht, je suis dans une équipe qui domine le championnat. Galatasaray est en train de construire une équipe pour la saison prochaine. Mais en football, l’argent joue aussi un rôle important.

Il paraît qu’il y a de l’intérêt de Valence. Là, cela devrait vous intéresser très fort ?

J’ai lu cela également, mais personnellement je ne suis au courant de rien. Enfin, c’est vrai que c’est le genre de club dont je rêve.

Avez-vous discuté avec Nicolas Pareja ?

Oui. Actuellement, il est en stage d’avant-saison car le championnat de Russie va débuter à la mi-février. Il a passé deux bonnes saisons en Espagne, puis le Spartak Moscou est venu avec beaucoup d’argent. Et comme l’Espanyol avait besoin d’argent, il a vendu Nico. Le championnat de Russie est d’un très bon niveau, on a pu s’en apercevoir avec le Zenit Saint-Pétersbourg qui nous a donné deux fois la leçon. Si un club russe me contacte ? Je ne ferme la porte à personne…

Dans votre situation, est-ce l’argent ou l’aspect sportif qui prévaut ? Si Anderlecht vous propose un pont d’or pour un nouveau contrat de longue durée, comme pour Mbark Boussoufa, que répondez-vous ?

L’aspect sportif est quand même primordial. Lorsqu’on est en fin de carrière, on veut assurer son avenir et on a tendance à privilégier l’argent, mais je ne suis pas encore en fin de carrière. Je peux encore me permettre de privilégier le sportif.

Vous êtes sous contrat jusqu’en 2012. Donc, ce sera soit partir en juin, soit prolonger.

C’est un secret de polichinelle : j’aimerais partir, mais par la grande porte : en remportant un dernier titre avec Anderlecht et en allant le plus loin possible en Europa League.

Lukas Marecek peut-il devenir votre successeur ?

C’est difficile à dire. Il est encore très jeune. C’est un grand talent, et il s’est très bien adapté au concept de jeu d’Anderlecht, mais il est un peu barré pour l’instant. Ce dont il a besoin, c’est de jouer, jouer et encore jouer.

A-t-il intérêt à être loué ?

Peut-être, oui. Mais à une bonne équipe, pour qu’il devienne plus compétitif.

Comme Pablo Chavarria et Pier Barrios ?

Ils proviennent d’un club de D2 argentine, ne l’oublions pas. La différence avec le top belge est énorme. Matías Suarez, qui provient du même club de Belgrano, a connu le même problème au début. Il est un peu dans le creux pour l’instant. Peut-être s’adapte-t-il plus difficilement aux rigueurs hivernales. S’il réédite les mêmes play-offs que l’an passé, ce sera formidable. Son but contre Split était de classe mondiale. Pour Chavarria, je crois que le prêt à Eupen est une excellente chose pour lui. J’espère qu’il reviendra transfiguré, comme Cheikhou Kouyaté, Kanu et bientôt Reynaldo après leurs prêts respectifs.

 » Pour Anderlecht, le déclic s’est produit à Genk « 

Où en est Anderlecht ?

On commence à retrouver un bon niveau. L’élimination face au Partizan Belgrade, au tour préliminaire de la Ligue des Champions, nous a longuement trotté en tête. Je demeure persuadé qu’elle peut, en partie du moins, expliquer la période difficile que nous avons traversée, avec l’échec à domicile contre Saint-Pétersbourg, le 5-1 au Standard et la défaite au Cercle Bruges. Aujourd’hui, on a retrouvé nos esprits.

Le déclic s’est-il produit lors de la qualification un peu miraculeuse en Europa League, grâce à une victoire contre Split combinée à une défaite de l’AEK Athènes ?

Non, je crois que le déclic s’est produit lorsqu’on est allé gagner à Genk et qu’on a récupéré la première place du classement.

Avec le retour de Marcin Wasilewski, on avait retrouvé un triangle dans l’entrejeu qui avait fait merveille il y a deux ans : Jan Polak, Guillaume Gillet et vous-même…

Dans ce dispositif, mon rôle est redevenu plus tactique. Chacun sait que je préfère un rôle plus offensif, mais dans un sport collectif, il faut parfois passer outre à ses desiderata personnels.

Justement, avec Kouyate à la place de Polak, il vous libérait des tâches de récupération et vous permettait de donner libre cours à votre inspiration offensive. Préfériez-vous ce dispositif-là ?

Peu importe ce que je préfère, c’est le rendement de l’équipe qui compte. Cheikhou a aussi eu la malchance de se blesser. Actuellement, il essaie de retrouver le rythme avec la Réserve. Lorsqu’il sera à 100 %, il pourra à nouveau revendiquer en équipe Première. Il est encore jeune, il a encore beaucoup à apprendre. Lorsqu’il jouait, il abattait un travail considérable. Il lui manquait peut-être une passe tranchante, mais cela viendra. Il a tout pour devenir un grand joueur. Il est exact qu’avec lui, j’avais un rôle plus offensif. Chaque joueur a des caractéristiques qui lui sont propres.

Dans quel domaine Anderlecht peut-il encore progresser ?

Dans tous les domaines. On doit davantage combiner, être plus constant, éviter les erreurs défensives et être plus concret devant le but.

Lorsque vous rentrerez de Genève, un autre grand rendez-vous vous attendra : la double confrontation contre l’Ajax.

Je crois qu’on éprouvera plus de difficultés que l’an passé face aux Néerlandais. L’Ajax a un nouvel entraîneur en la personne de Frank de Boer, joue de façon beaucoup plus ordonnée sur le plan tactique, ne se lance plus à l’assaut du but adverse à visière découverte. C’est un Ajax plus mûr qu’on va rencontrer. On doit oublier la victoire de la saison dernière à l’Arena Amsterdam, se dire qu’on affrontera une grande équipe tout en ayant confiance en nos moyens.

Pensez-vous pouvoir aller très loin en Europa League ?

Je le pense, oui. A condition de corriger sur la scène européenne les erreurs qu’on commet parfois en championnat. Si elles ne se paient pas toujours cash en championnat, au niveau international, elles ne pardonnent pas.

 » Le football belge a énormément progressé « 

Vous jouez en Belgique depuis quatre ans et demi. Que pensez-vous, aujourd’hui, du football belge ?

Qu’il a beaucoup progressé. Lorsque j’ai débarqué, le championnat était très peu connu, surtout en Argentine. Aujourd’hui, lorsque je rentre au pays, il arrive que je puisse suivre un match à la télévision, ce qui était impensable il y a cinq ans. Et lorsque je regarde l’équipe nationale, je constate qu’elle est composée de très bons joueurs, qui évoluent à Manchester City, à Arsenal, au Bayern Munich ou à l’Ajax Amsterdam. Il faudrait que vous vous rendiez compte vous-même des qualités que recèle votre football.

Les Argentins connaissent-ils les joueurs belges ?

De plus en plus, oui. Romelu Lukaku, par exemple, est très connu. Les gens sont admiratifs devant ce gaillard de 17 ans. Même lorsque je suis parti en sélection, des internationaux m’ont posé des questions sur lui.

Au début, il impressionnait par son physique mais on disait qu’il manquait de technique. Il progresse ?

Bien sûr. On oublie parfois qu’il n’a que 17 ans. Lorsqu’il en aura 21, il sera très fort. En championnat de Belgique, il est déjà au-dessus du lot. En équipe nationale, lorsqu’il est tenu par un défenseur expérimenté qui joue dans un grand club, il éprouve parfois plus de difficultés. C’est pour cela qu’il devrait partir l’été prochain, pour combler la différence qui lui reste avec d’autres défenseurs. En tant que coéquipier, j’aimerais le garder le plus longtemps possible à mes côtés, mais vu l’intérêt dont il jouit, ce sera difficile pour Anderlecht de le garder un an de plus. Il doit aussi voir quel est son intérêt personnel. S’il veut franchir un palier, il doit partir pour une grande équipe. L’expérience, c’est fondamental. Moi-même, j’ai appris une foule de choses, en jouant dans un autre championnat et sur la scène européenne.

Au début, vous étiez un peu timide. Aujourd’hui, vous voilà capitaine en l’absence d’Olivier Deschacht.

J’ai acquis de l’expérience, je vous dis. J’ai grandi. J’ai aussi appris à connaître mes coéquipiers. Et j’ai appris le français. Ce n’est pas évident pour un Argentin. Ici, on voit beaucoup de jeunes trilingues : français-néerlandais-anglais. En Argentine c’est rare. Pour parler une autre langue il faut aller à l’école, et les collèges où l’on apprend l’anglais sont essentiellement des collèges privés. Toutes les familles ne peuvent pas se permettre d’inscrire leurs enfants dans ce genre d’établissement.

Mais vous ne vous exprimez pas encore en français dans les interviews…

Comme ma maîtrise de la langue n’est pas parfaite, j’ai un peu peur d’utiliser des termes inappropriés et de voir mon discours mal interprété. Dans le vestiaire, c’est différent.

Quelles sont vos relations avec Ariel Jacobs ?

Très bonnes. Cela fait maintenant plus de trois ans que je travaille avec lui et cela se passe très bien. Je parle rarement de ma position sur le terrain avec Jacobs, j’accepte le poste qu’il me confie. C’est le rôle de l’entraîneur de placer les joueurs aux positions où ils sont les plus utiles à l’équipe, à chercher les points faibles chez l’adversaire.

Il parvient à imposer ses vues tout en douceur…

C’est l’impression qu’il donne, mais il ne fait pas toujours tout en douceur. Il a beaucoup d’autorité.

 » Après ma deuxième blessure, j’ai pleuré « 

Vous avez accusé le coup lors de vos blessures ?

Lorsque je me suis blessé pour la première fois, je suis resté calme. J’étais surtout ennuyé parce que cette blessure tombait très mal puisque je venais d’être convoqué pour l’équipe nationale. Je voulais à tout prix être rétabli pour la date fatidique et je n’avais pas beaucoup de temps. J’ai malgré tout respecté le délai, puis je me suis de nouveau blessé. Là, ce fut très dur. J’ai pleuré. J’avais travaillé très dur avec les médecins du club, et tout s’écroulait de nouveau. Avais-je précipité mon retour ? C’est possible.

On entend parfois que si Anderlecht est un géant en Belgique, c’est un nain en Europe. Partagez-vous cet avis ?

Sur le plan européen, c’est vrai qu’on a encore des progrès à faire. On a toutefois prouvé, la saison dernière, qu’on pouvait jouer un rôle en Europa League. En Belgique, je crois que la différence avec d’autres équipes se situe, justement, dans le fait qu’on a l’occasion de disputer des matches européens, et qu’on y acquiert une expérience que les autres n’ont pas. Mais il y a de bons joueurs dans les autres équipes. Il leur manque un peu d’expérience des grands matches. Cela leur permettrait d’être plus régulier à leur meilleur niveau.

Et cette régularité, Anderlecht l’a.

Des matches contre l’Ajax, comme ceux contre Bilbao et Hambourg, nous obligent à évoluer à un rythme plus élevé, et on garde ce rythme en championnat. Le fait de jouer deux matches par semaine permet aussi de donner du temps de jeu à d’autres joueurs, qui acquièrent à leur tour un certain rythme. Bref, on dispose d’une base plus large. Donc, on peut s’autoriser une tournante sans que le rendement s’en ressente trop, ce qui n’est pas nécessairement le cas d’autres équipes.

Et vous-même, de qui vous inspirez-vous ?

J’admire particulièrement trois joueurs espagnols : Xavi, Andrés Iniesta et Xabi Alonso. Leur manière de jouer, le rôle qu’ils remplissent : ils méritent le respect. Alonso est plus défensif que les deux autres, mais ce sont tous des exemples pour moi. J’apprends beaucoup en les voyant jouer.

Xavi ou Iniesta auraient-ils mérité le Ballon d’or, à la place de Messi ?

Non, Messi est le plus grand. Je peux comprendre l’amertume des Espagnols, qui ont été champions du monde et n’ont pas vu l’un des leurs couronné. Lio n’a pas fait une grande Coupe du Monde, mais on ne peut occulter les onze autres mois de l’année durant lesquels il a été phénoménal : en 60 matches il a marqué 65 buts. Si cela n’avait tenu qu’à moi, j’aurais partagé le Ballon d’Or en trois, mais ce n’est pas possible. De toute façon, attribuer des prix individuels dans un sport collectif, cela n’a pas beaucoup de sens.

Et le Soulier d’Or en Belgique ?

C’est bien que Bouss et Romelu aient figuré aux deux premières places, mais je trouve que Bouss fut un vainqueur méritoire. Le nombre de buts et d’assists qu’il a délivrés est extraordinaire. Roland Juhasz aurait pu le revendiquer également, mais c’est logique que le trophée soit le plus souvent attribué à des attaquants car la différence en football, c’est devant qu’on l’a fait. Un milieu de terrain apporte de l’équilibre à l’équipe et offre aux attaquants la possibilité de forcer la décision, mais ce sont toujours les avants qui sont déterminants.

Vous ne gagnerez donc jamais le Soulier d’Or ?

Probablement, non. Et d’ailleurs, je n’y pense pas. Le principal, c’est de gagner des titres collectifs.

PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS: REPORTERS/ GOUVERNEUR

 » Boussoufa mérite son Soulier d’Or. Moi, je ne l’aurai jamais. « 

 » Je m’inspire de trois joueurs espagnols : Xavi, Iniesta et Xabi Alonso. « 

 » Les internationaux argentins me demandent des nouvelles de Romelu Lukaku. « 

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