Les cycles de la vie

Le nouveau capitaine belge est un grand communicateur.

Reconnaissable entre tous par son crâne rasé surmonté généralement d’une casquette ou d’un chapeau, Steven Martens est une figure pour le moins sympathique du tennis belge. Licencié en psychologie, il adore par-dessus tout le tennis et, après une carrière nationale correcte en Belgique (il a été proche de la première série), il a décidé de faire ses armes dans l’enseignement de cette discipline qui lui permet d’appliquer ses connaissances psychologiques.

Très rapidement diplômé par le Bloso et la FRBT, il deviendra l’un des entraîneurs les plus populaires du Centre VTV de Wilrijk. Il y verra passer des joueuses comme Appelmans, Feber, Courtois et des joueurs comme Van Herck, Van Garsse, Goossens (dont il accompagnera les premiers pas à travers le monde) ou encore Malisse.

Plus tard, il prendra en main l’équipe de Fed Cup qu’il mènera en demi-finale du Groupe Mondial (défaite de justesse face à la France en 1997). Cette excellente performance marquera cependant la fin du climat positif au sein de l’équipe. La rencontre suivante, disputée toujours face à la France à Gand, générera des tensions entre lui-même et les joueuses dont Sabine Appelmans. Celle-ci fut sa joueuse pendant des années et terminera néanmoins sa carrière à ses côtés.

C’est cependant lors de la rencontre disputée face à la Slovaquie à Bratislava (98) que les affaires de Steven Martens prirent une mauvaise tournure, le capitaine ne parvenant pas à gérer la mésentente entre Justine Henin et Dominique Monami-Van Roost.

Démissionné d’office par la fédération (sous l’impulsion principale de Monami-Van Roost et Callens) et remplacé par son chef Ivo Van Aken, Steven Martens saura digérer cette mauvaise passe. Il puisera dans cet échec une nouvelle expérience.

Il y a quelques mois, les joueurs ont obtenu qu’il remplace Gabriel Gonzalez à la place de capitaine de Coupe Davis. Il entrera en fonction le week-end prochain contre le Maroc.

Comment avez-vous appréhendé le fait de passer d’un capitanat d’une équipe féminine à celui d’une équipe masculine?

Steven Martens: Je ne pense pas réellement qu’il y ait une grande différence. Beaucoup de gens estiment que travailler avec des filles est fort différent que le faire avec des garçons mais je ne partage pas cette impression. Il faut distinguer deux choses: la gestion de l’équipe et la gestion individuelle des composantes de l’équipe.

Dans le premier cas, j’ai la chance d’avoir accumulé une expérience assez grande lors de mes années à la tête de l’équipe de Fed Cup. Il y a eu des données positives et négatives et j’ai donc appris les bases d’une gestion d’équipe. Je sais comment il faut faire tourner la formation. Une équipe, avant tout, c’est une histoire de communication et cette communication est quasi la même en Coupe Davis et en Fed Cup. Il faut penser aux médias, au kiné, aux joueurs, au médecin, au psychologique, etc. Maintenant, il y a aussi la gestion des individus et, là, évidemment, il y a une différence notoire qui est celle du sexe mais aussi des différences qui ne sont pas liées à celui-ci. Chaque joueur de tennis est différent et chaque joueuse de tennis est différente. Ce sera la même chose à Liège.

« Par rapport aux filles, les garçons crèvent plus vite l’abès »

On ne peut tout de même pas nier que les joueuses ont plus tendance à se montrer jalouses de leurs collègues que les hommes?

Cela, c’est clair. L’aspect de jalousie ne facilite pas les choses mais, même chez les hommes, dans des circonstances de compétition, avec de la pression, des joueurs peuvent eux aussi se montrer égoïstes. On ne peut pas dire n’importe quoi, ni aux hommes, ni aux femmes.

Mais à la fin de votre capitanat de Fed Cup, l’ambiance dans l’équipe était particulièrement mauvaise. Etat qui était dû en partie au fait que Sabine Appelmans avait été dépassée au classement par Dominique Monami-Van Roost et, aussi, par l’épisode malheureux de Bratislava …

C’est exact, mais la fin de Gabriel Gonzalez n’a pas été évidente non plus. Donc, on peut avoir des problèmes avec des garçons également. Cela dit, il est exact que les joueurs n’aiment pas trop les abcès et qu’ils vont plus rapidement s’engueuler que les joueuses. Ils sont plus ouverts mais, d’un autre côté, cette situation atteint toujours ses limites et, même chez les joueurs, ont peut connaître des moments de crises.

Quels enseignements tirez-vous de vos années en Fed Cup?

Avant tout, je voudrais dire que ces souvenirs et ces expériences sont tous positifs. J’ai eu la chance et le privilège de grandir et de mûrir avec les joueuses de mon équipe. Au début, les joueuses étaient très inexpérimentées tant au niveau du jeu que de leur professionnalisme et, au fil des années, on n’a pas arrêté de s’améliorer. Ce qui nous a valu d’obtenir des résultats extraordinaires dont une demi-finale mondiale. J’ai également un autre souvenir positif qui remonte à la fin de mon capitanat.

« Même en étant organisé, on reste émotionnel »

Vous voulez dire que les événements de Bratislava, qui ont débouché sur votre éviction demandée principalement par Dominique Monami-Van Roost, constitue un bon souvenir?

Non, pas un bon souvenir mais une expérience positive. Je sais que c’est bizarre mais le fait que cela se soit terminé n’était finalement pas une mauvaise chose. Sur le moment même, c’était assez difficile. J’avais la sensation que je pouvais continuer. Enfin, j’ai tout de même appris beaucoup de choses au moment où ma collaboration s’est terminée.

Quel genre d’enseignements avez-vous tiré de ce passage de témoin à Ivo Van Aken?

Principalement que dans la vie il y a des cycles. Surtout lorsqu’on travaille avec autrui dans des situations de compétition. Il y a toujours une période où tout fonctionne, ou l’esprit d’équipe est total et, ensuite, après un temps, l’alchimie n’est plus ce qu’elle a été. Après un certain nombre d’années, les circonstances changent et là, il faut essayer de réagir et de réaliser qu’il faut prendre une décision. A mes yeux, la fin d’un cycle n’est donc pas que négatif. On a toujours envie que cela continue car on pense, au moment même, que l’on est encore capable.

Vous n’avez pas arrêté pour autant. Il a fallu des interventions extérieures.

Vous avez parfaitement raison. C’est pour cela que je dis qu’il s’agit d’une expérience positive car la prochaine fois que je serai dans ce genre de situation, je pense que je serai capable de m’en aller avant que les événements ne m’y obligent.

Cette fin de capitanat un rien houleuse a été assez surprenante car vous êtes plutôt du genre à prévoir les événements. A les prévenir, plutôt que les subir.

Oui, c’est vrai, j’ai tendance à être très organisé. Mais même quand on est hyper organisé on peut être émotionnel. Les émotions font croire que ce que l’on fait est le meilleur pour l’équipe. Parfois, on essaie de faire des choses qui sont irréalistes.

« On vient de vivre une année boulversante »

A votre avis, quand votre cycle avec la Fed Cup s’est-il terminé? A Gand lors de la défaite face à la France?

Même avant. C’est toujours comme cela dans le sport: les résultats influencent énormément. Les résultats forcent les choses et c’est à Nice, lors de la demi-finale face à la France, que j’ai senti qu’il y avait des facteurs dans l’équipe qui allaient faire en sorte que la formation que je dirigeais ne serait plus jamais la même.

L’idéal n’aurait-il pas été d’arrêter après Nice?

Oui, sans doute. Mais pour pouvoir quitter à un tel moment, il faut à la fois être très fort et très expérimenté. J’avais été capitaine pendant quatre ou cinq ans et j’arrivais au sommet de la compétition. Je me retrouvais avec toute une organisation que j’avais construite en partie. C’était difficile de prendre la décision de quitter tout cela aussi vite. Vous savez, des gars comme Noah peuvent le faire mais il a l’expérience suffisante pour le faire.

Outre l’expérience, n’y a-t-il pas également un problème financier? Ne se dit-on pas que ce serait sot de quitter un boulot qui rapporte de l’argent?

Franchement, cela ne m’a jamais influencé parce que la Fed Cup ne constituait pas ma rentrée financière principale. Mon année financière ne dépend pas de la Fed Cup ou de la Coupe Davis. Non, il s’agit quasi uniquement de décisions émotionnelles.

Justement, par rapport à l’émotionnel, vous venez d’enregistrer le départ à la retraite des joueurs et joueuses avec lesquels vous avez grandi…

Cette année a été bouleversante. D’un côté, toute une génération s’est arrêtée: Dominique, Sabine, Filip, Johan, Christophe, Kris, etc. C’est toute une histoire qui s’est terminée. Et en même temps, c’est bouleversant parce qu’il y a une reprise du témoin par la jeunesse qui se produit sur le circuit d’une façon remarquable, terrible. La nouvelle génération est encore plus douée que la précédente. Le passage s’est déroulé sans être une révolution de palais car le palais était vide quand les jeunes sont arrivés. En fait, en raison de l’éclosion fabuleuse des jeunes, on a quasiment oublié l’ancienne garde tout d’un coup. Moi, je me disais que lorsque des joueurs comme Sabine, Dominique ou Filip allaient arrêter, cela créerait un trou. Au contraire, c’est comme s’ils avaient arrêté de jouer il y a cinq ans, voire plus. Pour moi, c’est très bizarre de vivre cela car j’ai beaucoup de souvenirs avec cette génération et c’est comme si elle n’existait plus.

« Il faut jouer cartes sur table »

Vous avez pris un coup de vieux?

Non ( il rit) pas encore, non… Car j’ai la chance de pouvoir relever un défi en prenant la direction de la Coupe Davis. J’ai un nouveau boulot. Enfin, ce n’est pas mon travail principal mais il s’agit tout de même d’un super challenge.

Parlez-nous de ce challenge. L’équipe que vous prenez en mains ressemble un peu à celle de Fed Cup de vos débuts.

Il y a pas mal de comparaisons à faire, effectivement, avec l’équipe de Fed Cup d’il y a six ou sept ans. Il y a du talent, de la motivation et des perspectives très intéressantes.

Vous allez trouver un noyau assez riche de caractère mais, au sein de cette équipe, il y a deux frères qui sont très soudés. Ce sera un plus ou un moins, ce duo de frères?

Tout dépendra de la manière dont on l’abordera. Il est très important de jouer cartes sur table, d’avoir une bonne communication et de ne pas laisser gonfler les abcès. Quand on est très concret, que l’on ose parler franchement, il n’y a généralement pas de soucis. Et je pense sincèrement que je pourrai l’être avec les joueurs de l’équipe. Vous savez, quand on est dans une équipe, même quand on a le choix final, il faut toujours avoir à l’esprit qu’il n’y a jamais qu’une seule personne qui a raison. La réalité, la vérité vient souvent des confrontations et des discussions. Il faut être assez ouvert pour analyser les choses discordantes.

Vous êtes anxieux à quelques jours de cette rencontre capitale face au Maroc?

Anxieux, non. L’anxiété est sans doute le sentiment le plus négatif. Il s’agit de la pire émotion pour aborder ce type de compétition. Ce match est un challenge. Le Maroc est à notre portée mais nous ne sommes pas favoris. Il s’agit d’une rencontre très ouverte et, donc, il n’est pas question que je me présente angoissé ou anxieux devant les joueurs et les adversaires. Ce match est à mes yeux, le challenge idéal. Il y a trois sortes de challenges, ceux que l’on sous-estime, ceux que l’on surestime et ceux que l’on estime à leur valeur. Ce match fait partie de la troisième catégorie.

Le Maroc est du niveau de la Belgique. Quel est l’aspect qui fera la différence?

L’esprit d’équipe prévaudra. Il faudra qu’il soit présent à chaque moment. Il s’agira d’une bataille psychologique et physique. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai demandé qu’il y ait un médecin dans l’équipe.

Quelle est la touche Martens?

Surtout, je pense, la communication. J’essaie de faire parler tout le monde avec tout le monde.

Bernard Ashed

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