Les conquérants

Entre Europe et descente. Entre banc et terrain. L’histoire de deux aventuriers belges au pays du Calvados.

Depuis quelques mois, Caen s’est souvenue qu’elle était la cité de Guillaume Le Conquérant. Comme son illustre ancêtre, le stade Malherbe s’est lancé à la conquête de l’Europe. Entre son duché de Normandie et une possession en Angleterre, Guillaume avait choisi de jouer sur les deux tableaux et était parti conquérir la perfide Albion en 1066. Les footballeurs de la cité abbatiale se retrouvent devant le même cas de figure. Entre un défi européen et une dure bataille pour se maintenir en Ligue 1, le c£ur des hommes de Patrick Remy balance.

Samedi, pour leur retour au plus haut niveau, les Caennais disputeront la finale de la Coupe de la Ligue face à Strasbourg. Avec une participation continentale à la clé. La boutique du club propose déjà de souscrire au DVD de la finale. Et un livre est déjà sorti. Sur la route de l’exploit retrace l’épopée en 100 pages et 100 photos. Pourtant, d’apothéose, cette finale pourrait bien devenir un exutoire. Car les sociétaires du stade Michel D’Ornano occupent un siège de reléguable. Entre s’ancrer définitivement en Ligue 1 et un premier trophée dans l’histoire du club, il est possible qu’ils doivent choisir. A moins que guidés par l’exemple du Conquérant, ils réussissent l’impossible.

Deux Belges font partie de cette aventure : Steve Dugardein et Grégory Dufer . Pourtant, là aussi, leur expérience est mitigée. Après de nombreux pépins physiques avec notamment une opération au ventre suite à une occlusion intestinale, Dugardein (31 ans) a profité du deuxième tour pour s’imposer dans la ligne médiane. Par contre, après un bon début de championnat, le Carolo Grégory Dufer (23 ans) a disparu de l’équipe. La faute à une pubalgie mais également sans doute à une défaite 5-0 face à… Strasbourg dont il fit les frais. Entre un trophée et un avenir flou, les deux hommes nous ont accueilli dans un petit café en face du stade de Caen, la seule enceinte de Ligue 1 à faire constamment le plein tous les quinze jours. Dufer est arrivé le premier en voisin du stade. Il a préféré emménager près du terrain. Dugardein le rejoint un quart d’heure plus tard, le temps de quitter le village d’Anguerny, près du littoral.

Vous avez choisi de résider dans des endroits assez différents…

Grégory Dufer : Je sais que je ne vais pas demeurer ici toute ma vie. J’ai préféré louer un appartement le plus près possible de mon lieu de travail.

Steve Dugardein : Moi j’ai opté pour la campagne. Je suis resté deux mois à l’hôtel avant de trouver cette maison dans un tout petit village près des plages du débarquement. Je préfère cela. Je garde ma tranquillité. On n’a pas un boulanger mais un dépôt de pain. Le bus passe toutes les deux heures mais j’aime cela. Et puis, voir le stade en ouvrant les tentures, je ne pourrais pas.

Dufer : Tu n’es pas obligé de les ouvrir ( il rit).

Dugardein : Notre coéquipier Yohann Eudeline habite juste devant le stade et il aime cela. Mais c’est un pur Normand, lui.

Dufer sauveur du club, Dugardein troisième choix !

Sur le plan du football, on a l’impression que vos destins se sont croisés cette saison. Quand l’un était blessé, l’autre jouait ?

Dugardein : On a quand même disputé quelques matches ensemble. Avant, on ne jouait déjà pas ensemble ( il rit).

Dufer : On était tous les deux titulaires mais pas dans le même club.

Malgré une saison difficile, vous retenez des enseignements positifs de cette expérience ?

Dufer : Bien sûr même si je n’ai pas assez joué à mon goût. En dehors du terrain, j’ai mûri car pour la première fois, j’ai vécu tout seul. J’ai appris à me débrouiller. J’ai payé mes factures alors qu’à Charleroi, c’est mon père qui s’en occupait. Sportivement, j’ai été titulaire à 17 reprises sans compter la Coupe de la Ligue et la Coupe de France. Je suis plus fort physiquement, j’ai progressé dans mon placement défensif et dans mon jeu de tête. Mais au décompte, je ne peux pas me montrer satisfait. Je suis venu pour m’imposer. Je suis peut être parti trop tôt. J’aurais dû passer par un autre club en Belgique.

Dugardein : J’ai connu quelque chose de nouveau. Je m’attendais à ce degré de difficulté. J’ai été blessé puis j’ai repris du poil de la bête.

Avez-vous ressenti la pression inhérente à tout étranger ?

Dufer : On m’a pris pour un transfert important. Puisqu’à part Ibrahima Faye au Sénégal, il n’y avait pas d’autres internationaux dans le noyau. On a sans doute cru que je pourrais sauver le club à moi tout seul mais cela, je ne saurais pas le faire.

Dugardein : Moi, pour la première fois de ma carrière, j’ai découvert la position de quelqu’un qui arrivait dans un club. Mais c’est vrai que les médias attendaient Greg au tournant. Moi, je ne constituais que le troisième choix de l’entraîneur.

Caen est dans une situation délicate. Vous pensez que vous avez déjà un pied en Ligue 2 ?

Dufer : Si on avait perdu contre Nice, on aurait eu huit points de retard et le moral en aurait pris un coup. Maintenant, on a toujours nos chances d’autant plus que notre calendrier est favorable.

Dugardein : Si on se penche sur notre parcours, on voit que l’on bat Lyon, on accroche le PSG, on bat Lens à deux reprises.

Dufer : Mais si on descend, c’est un peu de notre faute. Car après ces résultats, on s’incline face à Metz et on partage devant Ajaccio.

Dugardein : Le championnat français est ainsi fait. On peut gagner et perdre contre n’importe qui. Mais on ne peut pas abdiquer. Cela fait sept ans que le club attendait cette promotion. On ne peut pas redescendre aussi vite.

Si vous descendez, vous n’aurez craqué qu’en fin de championnat…

Dugardein : On a été en bonne position pendant les trois quarts du championnat. Cela ne fait qu’un mois que nous sommes reléguables. Mais on ne retient que le résultat final… Ajaccio a pris le bon tournant. A nous de réaliser la même passe que les Corses.

Votre jeu est assez défensif mais pourtant, vous disposez de la moins bonne défense du championnat…

Dugardein : Quand on perd, c’est en équipe.

Dufer : Parfois, la défense n’encaissait pas mais l’attaque n’arrivait pas à marquer.

Dugardein : On a dû apprendre à se positionner sur certaines rencontres. On a souvent fait jeu égal avec nos adversaires. Finalement, on n’a été surclassé que deux ou trois fois. A Lyon, notamment. Mais au retour, par contre, on a réussi à les battre.

Dufer : Dans un match, quand on mène 1-0, on peut penser que l’on a fait le plus dur. Et c’est quasiment trois points assurés. En Belgique, même quand le score est de 3-0, on n’est sûr de rien.

Greg, nouveau Beckham…

Le schéma de jeu a également beaucoup évolué…

Dugardein : Au départ, moi, j’occupais seul le poste de récupérateur. Mais on s’est rendu compte que cela venait dans tous les sens. On a alors rajouté un médian défensif.

Dufer : La tactique a beaucoup changé. A chaque match, l’entraîneur modifiait ses batteries en fonction de l’adversaire.

Dugardein : On a entamé la saison avec deux attaquants. Désormais, il s’agit plus fréquemment d’un 4-5-1. Notre jeu est typiquement français : organisé, défensif et centré sur la contre-attaque. On essaie de rester bien compacts et dès qu’on a le ballon, on l’envoie vers les attaquants dans le dos de l’adversaire.

Dufer : Que ce soit à domicile ou à l’extérieur. On attend et on procède par contres.

Et quelles sont les révélations du groupe ?

Dugardein : Il faudra suivre Ronald Zubar. Il a 19 ans, joue avec les Espoirs français et est athlétiquement très fort. Il évolue à mes côtés mais peut également prendre place dans la défense centrale. Lui, il ne devrait pas rester très longtemps. Sébastien Mazure peut être également considéré comme une révélation de l’année. Il pointe parmi les meilleurs buteurs du championnat. Il est très malin.

Dufer : Il a un placement de buteur et travaille beaucoup pour l’équipe.

Dugardein : Et puis, techniquement, il est très bon. Comme tous les jeunes de l’équipe. Il y a des très bons joueurs qui évoluent en Réserves avec passement de jambes et tout l’attirail.

Dufer : Il parle de moi, là ( il rit) ?

Dugardein (en s’adressant à Dufer en référence à un but qu’il a inscrit en CFA) : Il paraît qu’on a un nouveau David Beckham qui met des coups francs du droit.

Dufer : Arrête ! Il était facile à mettre. Le gardien se cachait derrière le mur.

Dugardein (reprenant son sérieux) : Enfin, dans le noyau, on dispose également de deux bons gardiens. En début de saison, on pouvait compter sur Steeve Elana, très fort sur sa ligne, qu’on comparait déjà à Bernard Lama. Mais une blessure l’a écarté des terrains et c’est Vincent Planté qui en a profité pour prendre sa place.

Une finale de Coupe dans cette situation, c’est bon ou mauvais ?

Dufer : Cela reste un événement. La finale au stade de France, cela ne nous arrivera qu’une fois.

Dugardein : Cette finale, elle est venue par hasard. On ne peut pas dire que l’on ait sacrifié le championnat pour y arriver. Lors des premières rencontres, l’entraîneur choisissait même d’aligner quelques remplaçants. A chaque tirage au sort, on se disait qu’on ne passerait pas.

Dufer : Ajaccio, Sochaux et Auxerre à l’extérieur, ce n’est pas évident. Et puis, on a battu Monaco chez nous.

Dugardein : Et même s’ils sont venus avec leur équipe B, il y avait des joueurs comme Pontus Farnerud , Shabani Nonda , Emmanuel Adebayor. Il y a pas mal de gens qui voudraient cette équipe B. Peut-être que ce match nous a un peu coupés du championnat. On s’est qualifié le mercredi, et samedi, on se faisait étriller à Strasbourg.

Une petite saison et puis s’en vont ?

Et plus de Dufer après Strasbourg ?

Dufer : J’ai disparu après Strasbourg ? Si l’entraîneur m’a écarté parce que je n’ai pas été assez bon sur cette unique rencontre, c’est un peu bête. On a pris cinq buts contre les Alsaciens mais je ne suis pas défenseur, que je sache. Maintenant, Patrick Remy a choisi une vision plus défensive avec un attaquant, deux médians récupérateurs, un numéro 10 et deux ailiers, mais je pourrais également rentrer en ligne de compte dans ce système. C’est le même que celui de Jacky Mathijssen à Charleroi et cela m’avait réussi lors des trois dernières rencontres de la saison passée. Avec Robert Waseige, je jouais également derrière les attaquants.

Vous êtes dans une situation paradoxale. Vous pouvez rentrer dans l’histoire du club… et descendre en Ligue 2 ?

Dugardein : Et on ne retient que le nom de ceux qui décrochent des trophées…

Votre avenir est également flou. Grégory, tu as même lancé un appel à Charleroi…

Dufer : Ce sont les journalistes qui ont interprété cela comme un appel. A partir du moment où je prendrai la décision de partir, Charleroi pourrait constituer une bonne option. Mais Charleroi devra encore alors négocier avec Caen.

Vos anciens clubs vivent des saisons opposées…

Dufer : La bonne saison de Charleroi me fait énormément plaisir. Et cela ne me surprend pas car l’année passée, déjà, on aurait pu réaliser de bonnes surprises avec un peu plus de chance. A part avec Manu Ferrera où on était quatrièmes en novembre, je n’ai connu que la lutte pour le maintien avec le Sporting. Mais leur bon championnat n’orientera pas ma décision. Si le club était en milieu de classement, je serais également tenté d’y retourner. Il s’agit de l’équipe de mon c£ur et je sais que j’y reviendrai un jour. Si ce n’est pas l’année prochaine, ce sera en fin de carrière.

Dugardein : Moi, ce qui m’inquiète surtout, ce sont les problèmes financiers de Mouscron. Car, je n’ai jamais douté de leur sauvetage.

Vous avez des contacts avec d’autres clubs belges ?

Dufer : Non. Mais je les comprends puisque je ne joue pas. J’aurais dû jouer dans un autre registre avec le stade Malherbe. Je défends beaucoup plus que du temps de Charleroi. Ici, quand on était souvent mis en difficulté par les autres équipes et qu’on partait en contre, je me retrouvais plus dans notre camp que dans celui de l’adversaire.

Vous serez encore caennais l’an prochain ?

Dufer : Je ne peux pas encore le dire. Même si j’ai déjà pris ma décision dans ma tête.

Et si Caen chute en Ligue 2 ?

Dufer : Je suis venu pour jouer en Ligue 1. Donc, en cas de relégation, je n’aurai pas trop envie de faire la culbute. Je préfère à ce moment-là la D1 belge.

Dugardein : Je ne peux pas encore répondre maintenant. Il me reste deux ans de contrat et qui voudra racheter le contrat d’un joueur de 31 ans ? Si le club veut remonter de suite, il ne pourra pas se permettre de laisser partir tout le monde. Et je me dis, quand je vois le nombre de joueurs au chômage, que j’ai encore la chance d’avoir un contrat.

Stéphane Vande Velde

 » Si je décide de partir, CHARLEROI POURRAIT CONSTITUER UNE OPTION  » (Grégory Dufer)

 » SI CAEN DESCEND ET VEUT REMONTER ASSEZ VITE, il ne pourra pas se permettre de laisser partir tout le monde  » (Steve Dugardein)

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