Les cloches de Pâques

Liège-Bastogne-Liège fêtera son 100e vainqueur le 27 avril. Un événement qui me rappelle la Doyenne de 1987, unique en son genre, que j’ai eu l’occasion de suivre, du départ à l’arrivée, dans la voiture de l’équipe Hitachi, celle de celui qui reste un de mes champions préférés, Claude Criquielion. Son directeur sportif, le légendaire Albert De Kimpe, y engouffra son imposante carcasse. La magnifique classique ardennaise fut, comme d’habitude, celle des hommes qui évitent les chutes, hument le vent sans appréhension, tutoient la pluie, dansent au sommet de Wanne, ferraillent dans Stockeu, sont à la manoeuvre sur les pentes des Maquisards et de Theux. Claudy maîtrisa les événements et s’évada dans la Redoute en compagnie de Stephen Roche. Il régnait un grain de délire et d’admiration dans le véhicule amiral de la voiture Hitachi. Nous étions aux premières loges, en exclusivité, alors que les gros canons de cette nouvelle Bataille des Ardennes tonnaient sans hésitation. Spectacle grandiose. Liège était encore loin, signala De Kimpe, ému au point de ne plus enfourner un sandwich, mais son leader n’en avait cure, lança un  » nuts  » ambitieux aux petits bras.

Il se déchaîna dans les Forges et Colonster, obligeant son compagnon d’échappée, Roche, à s’accrocher à la vie comme un naufragé.  » Il est fort ! « , constata De Kimpe en s’épongeant un front brillant de sueur et de stress. Pourtant, peut-être protégé par des voitures suiveuses, Moreno Argentin, spécialiste de la Doyenne, fondit sur Claudy et Stephen à la vitesse de l’éclair. La radio de la course n’avait pas annoncé cette menace, devenue réalité près de la ligne d’arrivée alors plantée sur le ruban du boulevard de la Sauvenière. Argentin s’y imposa devant Roche et Criquielion, le meilleur de cette Doyenne qui, une fois de plus, se refusait à lui. Et là, au coeur de la Cité Ardente, entre deux voitures, en notre seule présence, De Kimpe, qui avait pourtant tout vécu, pleura à chaudes larmes.

Parce que les deux fugitifs avaient été rejoints sous le nez de Tchantchès, en ce dimanche pascal, un titre humoristique barra la  » une  » de notre magazine pour annoncer notre reportage :  » Les cloches de Pâques « . Drôle mais un peu méchant quand même, ce jeu de mots. Nous en avons parlé plus tard, avec Criq, chez lui à Deux-Acren, et j’ai compris que ce titre l’avait touché. Et il l’évoqua d’ailleurs dans un livre de mon confrère Eric De Falleur. Si je pouvais remonter le temps, la titraille ne serait plus la même. Car Claudy avait été l’animateur, le héros malheureux certes, mais le héros quand même d’une Doyenne plus belle que jamais en 1987, grâce à lui.

PAR PIERRE BILIC

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