LES CHANTIERS D’EL CHOLO

Depuis l’arrivée de Diego Simeone, l’Atlético rime avec sueur, abnégation et victoires tactiques. Pourtant, même le coachsemble déterminé à tout changer. Tout ça pour deux minutes d’échec ?

Un but de Chicharito, au bout de 178 minutes d’indécision et de miracles répétés d’Oblak. Le rêve européen de l’Atlético s’est arrêté bien plus tôt que la saison précédente, et de premières critiques ont égratigné le parcours surréaliste des Colchoneros de Simeone. Trop défensif pour durer. Comme si les exploits de quatre années de règne pouvaient être remis en cause par un but concédé à la 178e minute d’une double confrontation face au champion d’Europe en titre.

Une absurdité qu’ElCholo explique dans les colonnes de AS :  » C’est très facile de parler à partir de ce qu’il s’est produit. Je vous invite à demander à ceux qui tiennent ce discours ce qu’il se serait passé si nous avions joué d’une autre manière, serions-nous arrivés à la 178e minute avec le droit d’y croire ?  »

DiegoSimeone est un homme sûr de ses convictions. Son Atlético, il l’a bâti avec de la sueur et des courses. Le coach argentin racontait d’ailleurs à SoFoot que  » l’Atlético est une équipe qui, historiquement, a toujours basé ses succès sur l’agressivité, l’intensité et la passion, avec des contre-attaques et une défense forte « . C’est avec cette représentation de l’autre club de Madrid que le Cholo a façonné sa créature. Un 4-4-2 en béton armé, un coffre-fort dont on a caché la clé dans une botte de foin.

Le meilleur collectif défensif d’Europe. Mais, à l’autre bout du terrain, des attaques stéréotypées. Une tactique de rugby, où on gagne du terrain avec un long coup de botte pour chercher la faute à proximité du but adverse, avant de faire la différence grâce à une inventivité sans limite sur coup de pied arrêté. DiegoCosta était le meilleur des gagne-terrain. Les coudes et les centimètres de Mandzukic n’ont pas suffi à le remplacer. Alors, Diego pense à faire autre chose. Et s’il était temps de changer ?

KOKE POUR CHANGER

 » L’équipe a besoin d’un changement « , confirmait Diego Simeone à AS en fin de saison dernière.  » Je pense à un mouvement interne qui forcerait l’équipe à faire un pas en avant. Et ce pas, je le vois par exemple dans le remplacement de Koke dans le doblecinco.  » L’idée est lancée. Et elle est complètement folle.

Cet Atlético s’est construit autour de l’activité défensive hors-normes de ses ailiers. Koke et ArdaTuran, étincelants balle au pied, étaient des modèles de reconversion sur les flancs en perte de balle. De quoi faire de FilipeLuis et Juanfran des latéraux de très haut vol. Et là, d’un coup, El Cholo voudrait mettre les pieds géniaux de Koke au coeur du jeu, là où il a toujours préféré l’abnégation des Tiago et Gabi ?

L’idée a de quoi séduire. Un renouveau  » par le jeu « , comme on dit du côté de la Catalogne, en installant Koke dans le double pivot devant la défense. Un replacement qui tient la route pour une équipe qui joue avec la possession et une ligne de flottaison installée très haut dans le camp adverse.

Mais là, on parle de l’Atlético. Du seul club à avoir inscrit plus de soixante buts la saison dernière avec une possession de balle moyenne inférieure à 50 %. D’une équipe dont même l’entraîneur affirme qu’elle est  » mieux préparée à jouer dans les espaces qu’avec la possession « .

Au cours de la préparation, Koke Resurección a évolué une seule fois dans le doble cinco, C’était aux côtés de Saúl, dans un 4-2-3-1 qui n’a pas séduit. Depuis, l’international espagnol a retrouvé le flanc, et abandonné l’axe aux pieds sûrs et au placement impeccable de Tiago et Gabi. Pour un retour à la normale ? Pas exactement. Car quelque chose dans cet Atlético a vraiment changé.

LE PARAMÈTRE CARRASCO

Grâce aux ventes de ses stars et aux participations successives à la lucrative Ligue des Champions, l’Atlético a gagné le droit de boxer dans la cour des grands. Et pas pour une apparition éphémère d’un seul round. Les Colchoneros ont de l’or sous leur matelas, et ont aligné les millions pour renouveler un effectif en fin de cycle.

Exit la désormais légendaire barbe d’Arda Turan, les nerfs de Mandzukic et le flegme de Miranda. Retour, par contre, de Filipe Luis, accompagné dans la case  » nouveaux  » par Savic, JacksonMartinez, Vietto et YannickCarrasco. Au revoir Arda, bonjour Carrasco : c’est sans doute le mouvement qui résume le mieux le mercato des matelassiers madrilènes.

Depuis la prise de pouvoir de Simeone, les flancs n’ont jamais été des couloirs. Ni Koke ni Arda n’ont longé la ligne blanche à coups de dribbles et de sprints. El Cholo n’aimerait-il pas les débordements ? L’arrivée de Carrasco, un Belge élevé en France qui court, dribble et provoque comme un ailier portugais, semble sur le point de renverser ce qui devenait un dogme au Calderón.

La signature du Diable Rouge à Madrid pose de nouvelles questions sur les envies de nouveauté tactique de Diego Simeone. Indéniablement, Carrasco correspond à l’amour des grands espaces et de la contre-attaque rapide et chirurgicale du Cholo. On parle ici d’un joueur-prédateur. D’un squale à l’affût d’une proie affaiblie par la désorganisation collective des siens, prêt à la dévorer sur un contre en deux contre deux ou trois contre trois. Ce sont dans ces situations que Yannick excelle. À peu contre peu, donc en contre.

Mais en perte de balle, Simeone peut-il vraiment confier la garde d’un flanc à Carrasco ? Le Belge doit encore apprendre la tactique et la rigueur, lui qui était presque exonéré des tâches défensives dans le roc monégasque taillé par Jardim. L’imaginer sur l’aile d’un 4-4-2 du Cholo revient donc à envisager un changement radical de philosophie. Le même genre de changement qu’un replacement de Koke dans l’axe. Avec, à la clé, un déséquilibre qui semble trop prononcé pour convaincre le coach de l’Atlético.

SAVIC, MAIS COMMENT ?

Il y a pourtant encore des envies d’aventure et de renouveau offensif à lire derrière l’arrivée de StefanSavic. Le défenseur central a remplacé numériquement Miranda, et part a priori troisième dans la hiérarchie des centraux, derrière les Uruguayens Godín et Gimenez. Mais le Monténégrin a un atout indéniable : entre la Premier League et la Fiorentina démesurément joueuse de VincenzoMontella, Savic a appris à défendre dans des situations d’inconfort total, dans des équipes qui exposent les carences de leurs centraux alors que l’Atlético les protège et les valorise.

Simeone veut-il utiliser la force du Monténégrin dans les duels pour lui donner enfin la médiatisation qu’il mérite, ou bien prépare-t-il une équipe plus joueuse, avec une défense plus exposée dont Savic serait l’un des guides grâce à ses expériences passées ? Une nouvelle fois, et malgré tous les indices semés par El Cholo, la piste la plus probable nous renvoie vers un maintien du 4-4-2 avec un bloc bas et des duels musclés dans les seize mètres. Parce que là aussi, Stefan Savic excelle.

Le véritable chantier de cette cinquième cuvée de l’Atlético de Simeone se trouve à nouveau devant. Pour ses buteurs, El Cholo réserve toujours un traitement de faveur. Les vidéos de ses entraînements qui filtrent sur la toile sont devenues célèbres. Celle d’un Mandzukic qui enchaîne les cerceaux en accélération avant de plonger sur un matelas pour reprendre un ballon en tête plongeante vers un mini-but, ou celle d’AlessioCerci attaché à un élastique qui doit reproduire des efforts violents à répétition pour reprendre les centres qui affluent vers la surface. Être attaquant dans le 4-4-2 des Colchoneros n’est vraiment pas un métier comme les autres.

Jackson Martinez et Luciano Vietto ont débarqué à VicenteCalderón. L’Argentin sait à quoi s’attendre, lui qui a connu Diego Simeone lors de ses années au Racing. Et sa complémentarité serait parfaite avec les pieds véloces du Cafetero Martinez, venu de Porto pour porter l’attaque madrilène.

LE CAS JACKSON

Jackson est un cas à part. Un attaquant qui semble s’améliorer quand les espaces s’amenuisent, comme s’il était meilleur quand la situation ne lui laisse pas le temps de réfléchir. Mais une nouvelle fois, pour que l’instinct reste maître du corps avant l’intervention de la réflexion, il faut que les choses aillent vite.

 » Au début de chaque attaque amorcée par l’Atlético, lancez un chronomètre. Si vous restez en dessous des dix secondes, Jackson est une arme létale. À partir du moment où vous les dépassez, il sera de moins en moins dangereux à chaque seconde qui passe « , peut-on lire sur le site espagnol EcosdelBalón. Un joueur vertical et peu chronophage, mais encore un joueur de contre.

Moins autonome, pourtant, que Diego Costa, qui a défini à lui seul le style offensif du meilleur Atlético de ces dernières saisons. Mandzukic a tenté de prendre la relève, mais le chaos qu’il semait dans les défenses entre détentes et coups de coude n’avait pas les mêmes vertus que le  » bordel organisant  » de Diego Costa.

Alors, avec Vietto et Martinez, El Cholo tente de réinventer son système offensif. L’association des deux joueurs est alléchante, mais elle demande à nouveau une quête d’équilibre, et devient complexe quand on tente d’ajouter l’indispensable Antoine Griezmann à l’équation.

L’INDISPENSABLE ANTOINE

Si les premiers mois du Français sur un flanc avaient été moyens, son début d’année 2015 était stratosphérique. Replacé dans l’axe aux côtés de Mandzukic, l’ancien ailier de la Sociedad s’est réinventé pour claquer seize buts lors des 21 derniers matches de Liga. C’est évidemment moins que les 28 buts de Messi ou les 23 de Ronaldo, mais tout de même supérieur au total atteint par LuisSuarez depuis le 1er janvier dernier (15 buts). Des chiffres trop bruyants pour renvoyer Griezmann dans l’anonymat du flanc.

La solution pour maintenir le Français dans l’axe pourrait être d’apprendre les contraintes du couloir à un Vietto encore malléable. Mais dans un cas comme dans l’autre, l’équilibre du 4-4-2 pourrait souffrir de la disparition de la discipline d’Arda Turan en perte de balle. La clé, pour Simeone, sera de réinventer son équipe sans perdre sa vertu offensive.

Et au vu des rencontres disputées jusqu’ici lors de la préparation, cela semble se diriger vers un changement d’hommes plutôt qu’un changement d’idées. Le passage de Koke dans le doble pivote pourrait rester au stade de l’idée folle, d’autant plus que le Cholo fait ardemment la cour au football tactique de ThiagoMotta.

Pourquoi tout changer, finalement ? Faut-il se débarrasser d’un football qui vous a permis de regarder les deux géants espagnols dans le blanc des yeux, de les surpasser même, au bout du marathon que constitue la Liga ? Interrogé par GaryNeville sur le titre des hommes du Cholo, José Mourinho n’avait pas pu cacher son admiration pour l’exploit réalisé par Simeone et ses troupes :  » Ce qu’ils ont fait est admirable, parce qu’ils ont remporté le titre dans un championnat qu’ils ne pouvaient pas gagner « .

Avec l’intelligence offensive de Vietto, les courses instinctives de Jackson Martinez et les débordements du requin Carrasco, le Cholo n’aurait-il pas simplement ajouté des cordes à son arc ? Parfois, quand la maîtrise des airs, la science des coups de pieds arrêtés et les inventions de Griezmann entre les lignes ne suffisaient pas, les Colchoneros donnaient l’impression de taper de plus en plus fort sur une porte qui refusait de s’ouvrir.

PLUS DE VARIANTES

Avec le bélier Diego Costa, il était toujours possible de défoncer la porte. L’international espagnol est parti mais avec son mercato estival, l’Atlético s’est donné la possibilité de contourner le problème en passant par la fenêtre.

Cette année, Arda Turan ne sera plus là pour prendre un carton rouge évitable en quart de finale retour de la Ligue des Champions. Et avec un Carrasco probablement destiné à sortir du banc, Simeone aura toujours plus de variantes en magasin. Ce mercato lui a donné les provisions suffisantes pour tenir au-delà des 178 minutes.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

L’Atlético est le seul club à avoir inscrit plus de 60 buts, la saison dernière, avec une possession de balle inférieure à 50 %.

La clé, pour Diego Simeone, sera de réinventer son équipe sans perdre sa vertu offensive.

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