LES CAUCHEMARS DE LEONE

Mises à part quelques très rares exceptions, les transferts de l’ère Brio auront été marqués du sceau de l’échec.

Chat échaudé craint l’eau froide. Comme au poker, l’Albert a payé pour voir. C’était il y a deux ans, lorsque pas moins de 20 joueurs venus, pour la plupart, d’on ne sait où, débarquèrent au stade Charles Tondreau. Amenés par un trio italien ( Pietro AllattaGiocondo MartorelliSergio Brio), ils allaient sauver le club, à la fois sportivement et financièrement. On sait ce qu’il en est advenu. Mais ces joueurs, où sont-ils aujour-d’hui ? Nous sommes partis à leur recherche. Un travail de fourmi qui a parfois (pas toujours) porté ses fruits. Car il a parfois fallu aller voir dans les endroits les plus reculés de la planète football.

Certains s’en sont bien sortis. C’est le cas, notamment, de Mohammed Yoldas, aujourd’hui titulaire à Ankaraspor, en Turquie, le pays de ses parents. Il faut dire que le Liégeois, excédentaire à Genk, n’avait pas été amené par le trio italien mais par Eric Depireux. C’était à la mi-saison 2003-2004, au moment où Dominique Leone, dans un éclair de lucidité, avait décidé de ne plus faire une confiance aveugle en ses compatriotes.

 » Je suis sûrement un des rares à ne pas avoir à me plaindre de Brio « , sourit Yoldas.  » C’est lui qui m’a tenu la main et m’a aidé à franchir la première marche de ma carrière, souvent la plus difficile. Il m’a vu en stage en Italie et m’a fait confiance. Même quand je jouais mal, il m’alignait. Le sélectionneur des Espoirs turcs est venu me voir et m’a appelé à 15 reprises. Grâce à cela, j’ai eu un contrat à Ankaraspor. On m’y offrait 150.000 euros par an, contre 30.000 à Mons. J’ai hésité, je voulais rester à l’Albert mais le président Leone m’a dit que le train ne passerait pas deux fois. Aujourd’hui, je dois bien admettre qu’il avait raison. J’ai acheté une maison en Turquie et offert une voiture à mon père. En décembre, je vais discuter d’un nouveau contrat. Je suis en position de force car, sur le plan sportif, tout va bien aussi. La première saison, je n’ai pratiquement pas joué et j’ai été prêté à Kayserispor. Là, j’ai disputé 30 matches sur 34. Le club a voulu m’acheter mais Ankara s’est montré très gourmand. J’y suis donc retourné et cela marche bien puisque je n’ai manqué que trois rencontres. Nous n’avons qu’une seule défaite mais onze matches nuls, ce qui nous amène en milieu de tableau « .

Les échos positifs de cette période sont effectivement très rares. Didier Frenay, qui avait amené le Finlandais Jari Niemi, en témoigne.  » Je sais que Mons m’en a toujours voulu et m’a pris pour un opportuniste lorsque Niemi est parti au Standard mais je peux vous jurer que c’est lui qui ne voulait pas rester : les joueurs devaient arriver au stade à 8 heures du matin et ne repartaient qu’à 18 heures. Pratiquement personne ne parlait anglais. Comme il était en fin de contrat et qu’il avait joué un rôle décisif dans le maintien du club, il y avait de l’intérêt pour lui : La Gantoise et le Standard se sont manifestés. Il a opté pour Sclessin, ce fut une erreur. Par la suite, il est parti à St-Trond puis il a souhaité rentrer à Tampere, le club dont son beau-père est président. Depuis, nous ne nous occupons plus de lui « . Nos recherches nous apprennent que, lors du dernier championnat, Niemi a inscrit 7 buts en 15 matches.

A l’époque montoise, le fournisseur attitré de Niemi, c’était Wamberto. Lui non plus n’était pas venu par l’intermédiaire de Brio, dont il fut d’ailleurs vite fatigué. Après six mois, il profita de l’intérêt du Standard pour revenir à Sclessin. Il a toutefois toujours gardé de bons contacts avec le président Leone et n’a pas hésité à répondre à son appel cette saison.

Mirri, l’exception transalpine

Dans l’équipe, il retrouve Roberto Mirri, le seul rescapé de la squadra de l’époque.  » Nous l’avons conservé parce que, même s’il faisait partie de l’écurie Martorelli, il a rapidement manifesté son indépendance « , explique le vice-président Geo Van Pyperzele.  » Il a fait preuve de maturité et de sens des responsabilités, tant sur le terrain que dans le vestiaire. Il serait d’ailleurs idiot d’assimiler tous les Italiens à ce que quelques personnages ont fait vivre au club. Car nous sommes tout de même dans une région où la population italienne est forte et la grande majorité de celle-ci est composée de gens très bien « .

Lançons-nous à la recherche de ces 20 joueurs (!) amenés en un an et demi. Tous n’avaient sans doute pas les pieds carrés, certains avaient même quelques lettres de noblesse, mais leurs destinations, parfois exotiques, prouvent tout de même que leur niveau était souvent insuffisant pour un club de l’élite belge.

Carlo Cardascio (27) venait de Bari et est aujourd’hui le meneur de jeu de l’AC Martina Franca, l’ex-club de Mohammed Sarr, qui occupe l’avant-dernière place du groupe B de la Série C1, la D3 italienne). Titulaire à part entière, il en est à sa deuxième saison et a inscrit un but.

Alberto Malusci (34) était sans doute le plus coté de la bande : il avait joué à la Fiorentina (8 ans) et à Marseille, où il fut titulaire pendant une saison. Après un passage par le Brussels, il revint à Mons et participa à l’aventure de la remontée. En octobre dernier, Sangiovannese (12e en Série C1) fit appel à lui pour remplacer un blessé. La photo sur le site internet du club prise à son arrivée montrait clairement un retard de condition physique que, depuis, le joueur a récupéré.

Alessio Scarchilli, qui avait joué à Torino et séduit le staff en une heure de test (selon les journaux de l’époque surpris que l’on puisse s’intéresser à un joueur qui avait subi plusieurs graves opérations en un laps très réduit) a joué un total de sept rencontres avec l’Albert. Il a ensuite passé une saison à Teramo (Série C1, 9 matches) et une autre à Viterbese (Série C2, D4 italienne, aucun match). A 34 ans, il est aujourd’hui sans club.

Cette saison-là vit aussi apparaître un Brésilien, Akin Dos Santos (22). Un arrière latéral gauche dont on sait juste qu’il venait du Vitoria Bahia et a passé des tests en Israël il y a deux mois, sans succès.

Mais si la première vague de joueurs amenés donna encore satisfaction (le trio italien devait tout de même se rendre crédible), c’est par la suite que les choses allaient se détériorer.

La salsa montoise

Le club pouvait compter sur deux joueurs venus du Standard : Mohammed Aliyu Datti, aujourd’hui à Zulte Waregem après un passage par La Gantoise, et le jeune gardien Olivier Werner, qui porte les couleurs de Malines après être passé par Virton mais appartient toujours au club de Sclessin.  » C’est ce qui m’a sauvé après l’épisode de Mons « , affirme-t-il.  » Je savais que j’y partais pour être deuxième mais, avec tout ce qui s’est passé, je regrette tout de même qu’on ne m’ait pas donné ma chance. Ce fut une expérience terrible, dans un club miné par deux clans : Brio versus Olivier Suray. Mais cela m’a aussi permis de comprendre que le monde du football, c’était parfois un peu la salsa « .

Mons engagea également un autre gardien, l’Uruguayen Jimmy Schmidt Vallejo (24 ans), présenté par Daniel Fonseca (qui amena également Fabian Carini et les frères Curbelo au Standard). Plus tard, Schmidt signa à Hercules Alicante mais n’y joua pratiquement jamais. On n’a pas retrouvé sa trace.

Cette saison-là, Mons n’engagea plus d’Italiens mais de nombreux joueurs excédentaires dans des noyaux du Calcio. Parmi ceux-ci, le Français Philippe Billy : international Espoirs, il avait quitté Laval en 2001 (après 10 matches en D2) pour Lecce, où il ne joua que 15 rencontres en deux ans et demi. Il fut prêté 6 mois à Bastia (4 matches) avant de venir à Mons et de retourner à Lecce, où il ne joua à nouveau qu’un match. Il frappa alors à la porte de son premier club, redescendu en Nationale, qui l’accueillit à bras ouverts. Depuis qu’il est qualifié, il a disputé deux matches (gagnés) comme médian excentré à gauche. Le club occupe la quatrième place au classement et se dit heureux d’avoir récupéré un joueur que ses expériences ont rendu très mûr et qui n’a tout de même que 24 ans.

Plus tard, à Mons, Billy fut rejoint par Nicolas Goussé (ex-Rennes, Metz et Troyes). Garçon attachant, cet attaquant effectua des débuts prometteurs puis connut un drame familial avec la naissance d’un enfant fortement handicapé. Il joua ensuite à Guingamp et en est à présent à sa deuxième saison à Istres (17e en Ligue 2), en Provence. Souvent blessé, il a disputé 16 matches la saison dernière (4 buts) et sept cette saison (2 buts).

Alain Behi (28), un défenseur franco-ivoirien, venait de Catane, à l’époque en D2. Il a joué à Kallithea GS, en D2 grecque mais s’entraîne à présent avec son ancien club, Châteauroux.

C’est pour les extra-communautaires que la situation est la plus délicate et il n’est pas toujours aisé de les retrouver. Le défenseur ivoirien Arnaud Kouyo (22 ans), qui venait de Lecce, évoluait la saison dernière au FK Siad Most, en Tchéquie. Il y a disputé quatre rencon-tres et son contrat n’a pas été renouvelé.

Le Nigérian Olalekan Ibrahim Babatunde (21 ans), arrivé à Mons en provenance de Piacenza, était assez prometteur mais il n’inscrivit que deux buts en 18 matches. Il a signé, la saison dernière, un contrat de deux ans avec le club maltais de Msida Saint-Joseph. Il y a inscrit 4 buts en 15 matches.

L’international égyptien Hany Saïd (26 ans), un médian qui venait de la Fiorentina et se blessa rapidement, est rentré dans son pays en 2005. Il a signé un contrat de trois ans avec Al-Masry, un club de Port-Saïd.

Le médian défensif argentin Martin Miguel Cortes (23 ans), avait été découvert à River Plate par un certain Suarez, qui avait emmené Brio et Martorelli en tournée en Argentine. Il est aujourd’hui au Defensores de Belgrano.

Le Brésilien Daniel Mariano De Castro avait été transféré en 2003 de la Sociedade Esportiva do Gama au club italien de Chioggia Sottomarina. On n’a pas retrouvé sa trace.

La der de Brio ?

Dans ce concert de fausses notes, le médian défensif camerounais Nicolas Alnoudji (27 ans), qui avait disputé la Coupe du Monde 2002, s’en sort relativement bien. Cet ancien joueur du PSG, de Bastia et de Sedan, qui avait transité par les Emirats Arabes Unis, porte aujourd’hui le maillot du Sporting Olhanense, un club de D2 portugaise qui a pour supporter numéro un Annibal Cavaco Silva, le président de la République ! Ce qui n’a pas empêché Alnoudji d’éprouver quelques difficultés à se mettre en ordre d’un point de vue administratif. Mais il est aujourd’hui titulaire à part entière et très apprécié.

Et finalement, c’est pour Sergio Brio que la digestion est la plus longue : depuis la fin de son aventure montoise, il n’a jamais retrouvé de club à entraîner.

PATRICE SINTZEN

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire