Les cakes de Ryan

Sa nonchalance lui donne parfois l’impression d’être distrait, absent, mais à Amsterdam, la ville où il a grandi, le stoppeur hollandais du Club dévoile sa vraie nature.

R yan Donk profite d’une journée de liberté dans l’appartement de sa mère, Lydia Helder, au c£ur du quartier Jordaan, à Amsterdam.  » Puis-je vous demander d’ôter vos chaussures ? C’est un édit de ma mère. Elle m’interdisait aussi d’accrocher des posters aux murs de ma chambre, pour ne pas les abîmer !  »

Des photos ornent les murs du couloir. On y reconnaît Ryan, sa mère et ses trois s£urs ainsi que son frère Raven, qui joue à Zeeburgia, comme Ryan l’a fait ( » Il est également drillé par Mike Kolf, l’entraîneur le plus sévère que j’ai connu, avec Louis van Gaal « .)

Certains clichés montrent Ryan arborant une coiffure rasta mi-longue.  » Je me suis coupé les cheveux à 18 ans car un adversaire me les avait tirés et ça avait fait vraiment mal… Quand je suis ici, généralement une fois par semaine, je commence par rendre visite à ma grand-mère. Il est impossible de trouver meilleurs repas dans toute la ville ! Elle passe régulièrement une ou deux semaines chez moi à Bruges pour observer la manière dont je vis et passe la maison en revue. Elle ne retourne à Amsterdam qu’une fois rassurée. « 

Dehors, une fine pluie plonge la ville dans la mélancolie.  » Le chauffage ne va pas trop fort ? « , demande le défenseur central de 25 ans, assis devant une vitrine remplie de sculptures exotiques en bois.  » Le Surinam représente beaucoup pour moi et encore plus pour mes parents. J’ai grandi à Amsterdam mais j’essaie d’aller à Paramaribo une fois par an. Mon arrière-grand-mère y vit toujours. Elle a 104 ans ! J’y ai fait construire une maison et je crois que quand ma s£ur cadette sera plus grande, mon père y retournera. « 

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L’équipe fanion de Zeeburgia était essentiellement composée de Juniors déjà sous contrat dans des clubs professionnels, hormis Ryan Donk. Son jeu était déjà apparemment nonchalant puis subitement tranchant. Un garçon longiligne, avec une coupe rasta, qui courait en rêvassant comme s’il était ailleurs, nonchalant mais prompt à s’emparer du ballon.

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Sa mère s’adonne toujours au football en salle, comme ses deux s£urs aînées et son père Henk, qui a été entraîneur adjoint de l’équipe nationale du Surinam et coach de Zeeburgia.  » Nous passions des heures à table, à écouter mes parents. Ils s’y connaissaient mieux que moi, jusqu’au jour où je me suis retrouvé dans un club pro. Leurs réactions ont été plus modérées mais nous avons continué à discuter. Mon père essaie d’assister aux matches à Bruges mais ma mère suit les rencontres à la télévision. Ils continuent à attirer mon attention sur certains aspects, tout en sachant que je travaille bien au Club.  »

Cela n’a pas toujours été le cas.  » Je plaide coupable. Adrie Koster, lui-même embauché durant l’été 2009, m’avait transféré alors que je souffrais de légères blessures. Mais j’ai tenu à jouer et je n’ai pas pu montrer ce dont j’étais vraiment capable. Les supporters m’ont hué. Je ne veux plus jamais vivre ça ! En décembre 2010, j’ai enfin remis les pendules à l’heure parce que j’ai retrouvé ma condition physique. Je me suis énormément entraîné avec Jan Van Winckel et le kinésithérapeute Thomas Geschier et je n’ai plus ressenti la moindre douleur. Après un match, j’ai même l’impression de pouvoir encore jouer 90 minutes. J’ai conquis les supporters et depuis deux semaines, je suis même parrain d’un club de fans.  »

On sonne. C’est Donovan Deekman, qui a joué avec lui dans les équipes d’âge d’AVV Zeeburgia. Ils ont grandi ensemble puis leurs routes se sont séparées : en 2005. Deekman a rejoint le SC Heerenveen tandis que Donk a signé au RKC Waalwijk. Depuis 2009, ils se revoient plus souvent puisque Donovan a signé au Sporting Lokeren. Ils se retrouvent parfois cinq fois par semaine. Il est difficile de les comprendre :  » C’est du surinamien de rue, un mélange d’anglais et de néerlandais, épicé de mots marocains. Récemment, j’ai parlé à Nabil Dirar en marocain. Il était stupéfait… J’ai suivi des cours de français mais ça ne rentrait pas. Je me suis tourné vers l’espagnol, ça peut toujours servir. « 

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Marcello tient la cantine surinamienne et est l’homme à tout faire de Zeeburgia. Quand on lui demande qui est le numéro trois, il répond fièrement :  » Le fils de Henk Donk. C’est un bon, n’est-ce pas ?  » Il jouait si facilement, si tranquillement qu’on aurait pu croire qu’il évoluait en équipe fanion depuis des années.

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 » Je n’ai jamais vécu dans un quartier surinamien, même pas quand j’ai habité chez mon père, à douze ans, dans la banlieue Ouest d’Amsterdam. Ce n’était pas pratique car Zeeburgia était à l’autre bout de la ville. Le trajet me prenait une heure à vélo, trois soirs par semaine. « 

Nous prenons une première série de clichés sur le pont situé au croisement de la Lauriergracht et de la Tweede Laurierdwarsstraat que Ryan a franchi des centaines de fois, pour se rendre à l’école :  » Je devais m’appliquer car l’école communiquait mes résultats à l’entraîneur des jeunes et s’ils n’étaient pas bons, j’étais interdit d’entraînement et de match pendant une semaine. « 

Donk s’était inscrit dans la section boulangerie-pâtisserie et s’est spécialisé en gâteaux :  » Je tiens ça de ma grand-mère. Elle s’est toujours activée en cuisine, à nous concocter des gâteaux, des cakes, et j’étais le premier à me servir. Ensuite, j’ai pris plaisir à confectionner moi-même des plats. J’ai toujours éprouvé le besoin d’occuper mes mains d’une manière créative. Récemment, un chocolatier supporter du Club m’a proposé de passer. Je ne demande pas mieux. Ma pâtisserie favorite est un cake léger, truffé de copeaux de chocolat et recouvert de chocolat fondant et d’amandes. « 

Les cyclistes se fraient péniblement un chemin sur le pont, sans reconnaître Ryan, qui rigole :  » Ce sont certainement des touristes. Les gens des environs me connaissent, évidemment, même si on m’interpelle davantage à Bruges, une ville plus petite, il faut dire. A 22 heures, il n’y a plus un chat en rue. Au début, j’avais envie de faire quelque chose le soir mais quoi ? Bah, mieux vaut vivre à Bruges, pour mon repos et ma concentration. Ici, il y a trop de distractions et je vis à un rythme effréné avec les potes qui téléphonent pour savoir ce que je fais… « 

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Les playoffs n’ont pas été un succès. Le club reste en Division Deux mais à la dernière minute, le RKC transfère Ryan.

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A la fenêtre d’une énorme maison flotte un drapeau de l’Ajax, la fierté de la ville. A 12 ans, Ryan Donk a reçu une offre du club mais son père l’a repoussée :  » J’ai trouvé ça terrible. Tout enfant né ici rêve de jouer pour l’Ajax mais mon père voulait que j’aie une jeunesse normale, avec ma famille, mes amis et l’école. Je suis devenu pro à 17 ans au RKC Waalwijk en 2004. Au début, j’effectuais la navette entre Amsterdam et Waalwijk en train, tous les jours, mais c’était pénible et on m’a attribué un logement, que je partageais avec Hans Mulder, qui joue maintenant à Willem II. Ce fut difficile, surtout pour mes parents, qui voyaient leur aîné quitter le nid. Mon père m’avait permis de mettre l’ école entre parenthèses l’espace d’un an. Si j’échouais, je n’avais qu’à poursuivre ma scolarité. « 

La saison suivante, en 2005-2006, Adrie Koster le reprend en équipe première du RKC. Donk l’a retrouvé à Bruges, après des détours aux Pays-Bas et en Angleterre :  » Il était plus sévère et attendait beaucoup plus de moi en Belgique qu’au RKC.  » Donk se souvient du jour où il a appris l’intérêt du Club Bruges :  » Je connaissais mieux Anderlecht mais comme Koster en était l’entraîneur, j’ai décidé d’approfondir la question. Je voulais être sur d’y vibrer.  » En deux ans, il s’est métamorphosé :  » Je pesais 78 kilos en arrivant et j’en suis à 92 : 14 kilos de muscles sans perdre ma vitesse. « 

Il pleut encore et toujours.  » Gianni Zuiverloon, qui joue à Majorque, m’envoie tous les jours une photo ou un sms : – Ryan, aujourd’hui, il fait même trop chaud pour enfiler un T-shirt. Le soleil me procure du bonheur. L’été dernier, je suis parti deux semaines aux Etats-Unis, à New York et à Miami, avec des amis. A mon retour, j’ai appris qu’il n’allait cesser de pleuvoir ici et j’ai repris le premier vol vers le soleil. Zuiverloon est un de mes meilleurs amis. Il y a deux semaines, nous sommes allés ensemble à Barcelone. Quand je jouais à West Bromwich, il habitait trois étages au-dessus de chez moi. Carl Hoefkens y jouait aussi mais au bout de trois mois, nous conversions toujours en anglais, jusqu’à ce que je réalise… « 

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Ryan est devenu titulaire au RKC, son jeu de passe a progressé, même si le joueur semble toujours nonchalant. Henk intervient :  » Il peut rejoindre l’équipe B de Barcelone. Rijkaard le veut et s’il se tire bien d’affaire, les portes de l’équipe fanion lui sont ouvertes.  » Il ajoute rapidement.  » C’est trop tôt, il n’ira pas.  » L’AZ s’intéresse également à lui. Louis van Gaal a téléphoné à plusieurs reprises.

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Au coin de l’Elandsgracht et de la Prinsengracht, le Jordaan rend hommage à ses héros. Quand Donk pose devant le mur, il est impressionnant, du haut de son 1m94 :  » Pourtant, jusqu’à 15 ans je jouais derrière les attaquants, j’étais le plus petit… Un an plus tard, après mon second pic de croissance, je n’arrivais plus à marcher. J’ai même dû faire devoirs et leçons à la maison.  » Le football d’Arsenal le captivait :  » J’étais un supporter acharné de Patrick Vieira, qui jouait dans l’entrejeu, comme moi. J’ai appris en rue à dribbler, à passer un homme, à créer quelque chose. Je n’ai pas été embauché pour expédier des ballons dans la tribune.  » Son football est soigné et c’est ce qui a aussi incité Van Gaal à le transférer de Waalwijk à l’AZ pour 2,5 millions d’euros, après sept matches de championnat seulement.

 » Notre collaboration a été excellente et il reste mon meilleur entraîneur. Le noyau était talentueux Avec notamment Maarten Martens, Moussa Dembélé, Demy de Zeeuw, qui ont tous progressé avec lui. Van Gaal est-il têtu ? Il a quand même réussi presque partout, non ? Souvent, il endosse un rôle, comme José Mourinho, un de ses poulains. En se plaçant sous les feux des projecteurs, il préserve ses joueurs de la pression. Ce fut une belle saison mais hélas, lors de la dernière journée, nous avons perdu le titre au profit du PSV, sur le terrain de l’Excelsior. Incroyable… « 

Rapidement, le président Dirk Sheringa l’a surnommé l’Alex de l’AZ, en référence au roc de la défense du PSV de 2004 à 2007. Foppe de Haan, alors sélectionneur des Espoirs, l’estimait supérieur à Jaap Stam.  » Me comparer à Monsieur Stam… Il fait partie d’une autre génération. J’ai continué à travailler, avec mon père et avec Mike.  » Mike Kolf revient en fil rouge dans son récit. Ne devrions-nous pas lui rendre visite ?

Donk se faufile à travers le trafic. Quand ses invités belges ne peuvent pas suivre, il se gare et attend patiemment. Une demi-heure plus tard, il est devant les portes de la Damsko Football Academy, à Amsterdam Ouest, à côté des terrains du Sportclub Neerlandia/Slto, où il a effectué ses premiers dribbles aux côtés de Nigel de Jong (Manchester City) et de Kenneth Vermeer (Ajax).

Dans la cave de la Damsko Football Academy, Mike Kolf interrompt une séance de musculation pour saluer chaleureusement Ryan.  » J’enfile un autre T-shirt et je suis à vous.  » Donk observe les engins :  » L’été, avant la préparation du club, je m’entraînais ici deux fois par semaine avec Mike. J’aime toujours avoir une petite avance. Quand je jouais à l’AZ, je m’adonnais à l’athlétisme en été. J’affûtais ma vitesse et j’améliorais ma technique de course pour économiser mon énergie.  » Il est donc bien différent de l’image qu’il donne, celle d’un joueur nonchalant, distrait, voire absent.  » Avant, je misais davantage sur mon talent et ma souplesse car Zeeburgia possédait une excellente équipe. Mike m’a débarrassé de ma nonchalance. « 

Mike Kolf est un monument du football amstellodamois. Responsable de la formation de Zeeburgia, il entraîne aussi l’équipe première et est l’âme de la Damsko Football Academy :  » J’ai découvert Ryan en C4 de Neerlandia. Il exécutait parfaitement les directives de l’entraîneur et donnait l’impression de courir sans effort, comme Frank Rijkaard.  » Ces dernières années, il a piloté plus de 200 jeunes jusqu’au football pro :  » Pourtant, son premier objectif est d’écarter les jeunes de la rue « . Ensuite, il les prépare au professionnalisme, en mettant l’accent sur la discipline. Il pense qu’ainsi, s’ils échouent en football, ils seront quand même bien intégrés à la société :  » Mais ils ne doivent pas oublier d’où ils viennent. Quand une équipe de Zeeburgia se rend à l’étranger mais que certains ne peuvent payer le déplacement, Ryan intervient financièrement. L’été dernier, avec Donovan, il a même entraîné une équipe féminine. « 

PAR CHRIS TETAERT (ITALIQUES : EXTRAITS DE ‘DE DOORBRAAK VAN RYAN DONK’, PAR RAYMOND CUIJPERS, ÉDIT

 » Jusqu’à 15 ans, j’étais le plus petit de l’équipe et le n°10.  » Ryan Donk

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