» Les Borlée sont cool « 

Vendredi, le second volet des Jeux débute. Comme il y a quatre ans, la Belgique attend beaucoup de ses athlètes. Entretien avec Wilfried Meert, l’organisateur du Mémorial Van Damme.

Le sprint est à l’athlétisme ce que le rock est à la musique. Wilfried Meert ne veut pas rater la fête. L’organisateur du Van Damme a consacré une semaine de son agenda aux JO, au moment où la natation fait place à l’athlétisme. Il est curieux de voir ce que les Belges réussiront. Il y a quatre ans, il avait prévu une médaille : celle de Tia Hellebaut.  » Les frères Borlée peuvent atteindre le subtop mondial « , avait-il ajouté, sans cependant les attendre avant l’EURO 2010. Il pensait aussi qu’après Kim Gevaert, la Belgique risquait de vivre des années difficiles.  » Il s’écoule des années entre le moment où on pointe son nez et celui où on réussit. « 

Les Borlée vous ont pris de vitesse car ils émargent à l’élite mondiale. Êtes-vous surpris ?

Wilfried Meert : Oui. Leur éclosion a été nettement plus rapide que prévu. Nous connaissions l’ampleur de leur talent mais les États-Unis et les pays des Caraïbes dominent les disciplines de vitesse, jusqu’au 400 mètres, et je pensais qu’il serait bien plus difficile de s’immiscer entre leurs représentants. Pourtant, Kevin a été médaillé de bronze au Mondial. Les USA ont connu un léger passage à vide après avoir procédé au grand nettoyage. Beaucoup d’athlètes étaient très bien suivis médicalement et le sont sans doute nettement moins maintenant. Du coup, on peut rivaliser avec eux. La progression des Borlée est incroyable. Kevin a déjà le niveau des 44 »50. Jonathan aussi, mais il faut attendre la bonne course et les bonnes conditions climatiques. Ce serait un atout pour eux s’il faisait mauvais à Londres car ils ont plus l’habitude de s’entraîner par ce temps. Ils l’ont fait sous des températures par lesquelles un Américain ne met pas le nez dehors. Il préfère émigrer en Californie ou en Floride, où il fait toujours chaud.

Comment expliquez-vous leur progression fulgurante ?

Ils vivent pour leur sport jusque dans les moindres détails, comme leur père. Jacques a retiré le maximum de sa carrière. Il a dû travailler seul, chercher car les structures n’étaient pas comparables à celles dont nous disposons aujourd’hui. Il a communiqué sa passion à ses fils. Ceux-ci tirent des leçons de tout, ils analysent en détail la moindre erreur. Prenez leur première année en Amérique. Là, quand vous signez pour une université, vous obtenez des facilités mais en échange, vous devez aussi courir sous son maillot. Ils ont été de tous les relais et se sont tués à la tâche au point de s’occasionner une fracture de stress. Jacques a décidé : – Stop. Nous y allons encore, mais indépendamment de l’université. Nous allons payer pour ne pas avoir d’obligations. Les frères suivent leur programme, que Jacques remanie régulièrement, et au moindre problème, ils sont chez le kiné.

Ensuite, les autres stagnent. Beaucoup d’Américains ont été convaincus de dopage. Longtemps, le CIO et la Fédération américaine ont été plutôt laxistes mais depuis le scandale Balco, ils ont compris qu’il fallait intervenir. Le niveau a donc baissé. Il n’y a plus de supermen qui bouclent le tour de piste en 43 ». Maintenant, c’est 44 ». Cela, les Borlée en sont capables. Kevin y est même parvenu tout seul au championnat de Belgique.

Si Jacques dit qu’ils jouent dans la cour des grands, c’est que c’est vrai. Ses fils n’admirent plus les grands noms car ils ont compris qu’ils pouvaient les battre. Or, au plus haut niveau, l’essentiel se joue dans la tête. Les Borlée sont cool. Beaucoup de Belges tremblent en allant à l’étranger mais pas eux. S’ils doivent aller en Amérique pour progresser, ils y vont alors que leurs prédécesseurs ne voulaient pas abandonner leur famille et leurs amis. C’est aussi une question de résultats : encore faut-il qu’on vous demande à l’étranger. Mais voilà, vous étudiez, vous avez une copine : tout planter là dans l’espoir d’émerger n’est pas évident. C’est différent pour un gamin pauvre des Caraïbes, qui n’a d’autre choix pour survivre. Les universités américaines en enrôlent 50 mais il n’y en a que deux qui réussissent et on n’entend plus parler des autres.

Nos athlètes sont maintenant quasi professionnels.

Oui. Ils peuvent partir en stage, aller en Afrique du Sud en hiver, aux Canaries en automne. La génération actuelle a des possibilités dont Miel Puttemans, Gaston Roelants et Karel Lismont n’auraient même pas osé rêver. Seulement, certains ne progressent pas d’une seconde. Hormis Tia et Kim avant, la plupart sont seuls car leur entraîneur travaille en Belgique. Or, qui progresse ? Les Borlée qui sont avec leur père, Tia qui est avec son ami et entraîneur Wim et avant, Kim avec Rudi Diels.

Qu’attendez-vous des Borlée aux Jeux ?

Si tout se déroule comme prévu, deux athlètes sont invincibles : l’Américain LaShawn Merrit, de retour de suspension, et le champion du monde Kirani James. Pour la troisième place, tout est possible : cela peut être un des Borlée comme un Américain ou un Jamaïcain que nous ne connaissons pas encore. Sa médaille de bronze au Mondial et celle d’or en Europe ont insufflé beaucoup de confiance à Kevin. Les jumeaux ont acquis de l’expérience à Pékin puis à ces championnats.

Et Tia Hellebaut ?

Je l’ignore. Si Wim dit qu’elle peut franchir deux mètres, je le crois. Mais cela ne suffira pas pour l’or. Il faut 2m05 et à son âge, ce n’est sans doute plus possible. Mais à 34 ans, avec deux enfants, une médaille serait déjà fantastique.

Vous attendiez-vous à pareil come-back ?

Non. Le premier m’avait déjà surpris. Je pense que son retour est lié à sa situation familiale. Son mari n’est pas de ceux qui reviennent à 17 h chaque soir. Il est entraîneur professionnel et il s’absente parfois pour six semaines. Elle l’a suivi en stage et comme elle avait du temps, elle s’est entraînée pour perdre le poids pris pendant sa grossesse. Comme ça allait bien, elle a retrouvé le goût du sport puis, avec les résultats, son ambition. Elle n’a rien à perdre à Londres. Elle est aussi très forte mentalement.

Quid des autres Belges ?

J’espère qu’Anne Zagré et Eline Berings ne sombreront pas dans l’anonymat des séries et atteindront les demi-finales.

Le COIB a sélectionné d’autres athlètes, après délibération. Qu’en pensez-vous ?

C’est bien. Un bon saut suffit à Svetlana Bolshakova pour aller en finale. C’est une battante, qui a surmonté beaucoup d’épreuves, et elle nous a déjà rapporté une médaille de bronze européenne. Comme Adrien Deghelt et Berings, elle revient de blessure. Tous trois, ils ont lutté contre le chrono pour se qualifier, ils n’ont cessé de progresser depuis leur retour. En plus, ils sont jeunes et peuvent nous apporter beaucoup à l’avenir. Et puis Michael Bultheel aurait peut-être tout misé sur ses études s’il n’avait pas été sélectionné.

Avons-nous progressé en quatre ans ?

Absolument, grâce à la percée des Borlée. Ils inspirent les autres, comme Tia et Kim avant eux. Il faut des locomotives. Leur qualification motive les autres. La génération actuelle a plus d’assurance. En s’expatriant, nos athlètes battent des rivaux qu’ils avaient admirés, ce qui leur fait prendre conscience de leur valeur personnelle. La plupart des Belges présents à Londres ont participé à des meetings internationaux.

PAR GEERT FOUTRÉ

 » Merrit et James sont invincibles mais pour la 3e place, tout est possible. « 

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