» LES BATTES ÉTAIENT PRÊTES « 

On peut être troisième gardien des Diables, sans aucune chance de jouer, et avoir des avis hyper tranchés sur tous les sujets chauds. Dont notre drôle d’aventure française, ses moments forts, ses moments creux, l’élimination sans gloire. La preuve.

« C’est terrible. D’autant plus terrible qu’on avait tout dans les mains pour aller en demi-finale. Ou en finale.  » Jean-François Gillet a le masque en quittant le stade de Lille. On ne croise que des têtes d’enterrement dans le camp belge.  » Ce match, on l’aborde super bien. On voulait refaire ce qu’on avait fait contre les Hongrois, on avait décidé de prendre les Gallois à la gorge dès les premières minutes. On marque vite, on peut même faire 2-0, tout était parfait. A ce moment-là, on confirmait qu’on était bien dans le tournoi, depuis le deuxième match. Puis, on a reculé. De façon incompréhensible.  »

Marc Wilmots dit qu’il a crié et gesticulé pour que le bloc remonte mais que ça n’a servi à rien parce que les joueurs ne l’ont pas écouté. Depuis le banc, tu l’as vu crier et gesticuler ?

JEAN-FRANÇOIS GILLET : Oui. Mais entre le banc et le terrain, il y a un gouffre, un monde. On ne raisonne pas de la même façon quand on joue que quand on regarde, on n’a pas la même lucidité. Sur le banc, tout est facile. Il fallait être plus agressif, ne pas laisser la possession aux Gallois, ne pas les laisser faire. Quand tu te regroupes devant ton rectangle, ça peut être meurtrier avec la qualité qu’il y a en face. Ça s’est bien confirmé. Chapeau au Pays de Galles, mais on avait clairement les qualités pour faire autre chose, pour aller très loin. Peut-être au bout…

La position du coach semble maintenant intenable.

GILLET : Chacun doit prendre ses responsabilités dans des moments pareils. Les joueurs comme le coach. C’est tout un groupe qui a été sorti en quarts de finale, pas seulement un staff. Nous, les joueurs, on n’a pas le droit de se cacher. Marc Wilmots en prend pour son grade, c’est normal qu’on en prenne aussi.

 » UN GROS COUP DE BÂTON  »

Un premier tournoi à 37 ans, le couronnement d’une carrière, comment ça se vit ?

GILLET : Ce qui est impressionnant, c’est la pression qu’on ressent. L’équipe belge de cet EURO n’était pas l’équipe belge habituelle. On savait que les attentes sur nous étaient énormes. Mais je trouve vraiment qu’on a bien répondu. Surtout que c’est une équipe très jeune. A part moi, à part l’un ou l’autre joueur en plus qui a la trentaine, c’est jeune. Mais tout le monde affronte la situation avec sérénité. Les matches, la pression, tout ça est très bien géré, digéré.

Parce que les Diables ont grandi très tôt avec la pression et l’affrontent au quotidien dans leurs clubs, non ?

GILLET : Oui, c’est clair qu’on est tous habitués à jouer des top matches. Mais bon, il y a quand même des moments où c’est dur, on ne va pas se mentir. Après la défaite contre l’Italie, on a eu un gros coup de bâton. C’était une finale avant la finale, tout le monde nous attendait. Je crois qu’on aurait pu gagner ce match. Mais on l’a perdu.

La pression a un peu paralysé l’équipe, non ?

GILLET : Non, ce n’est pas ça. Dans le foot, il faut aussi, parfois, un peu de chance. On a eu des occasions pour revenir. Si on revient, ce match, on peut même le gagner.

Mais on n’a pas vu une équipe libérée ce soir-là.

GILLET : C’était le premier match, c’est normal. Il fallait qu’on rentre dans le tournoi. La défaite a fait mal, mais quelque part, c’était peut-être un bien. On s’est tous remis en question, on a tous compris que ça allait être difficile et qu’il fallait se rebeller directement. Après ça, on a fait trois bons matches. Puis, c’est complètement retombé contre le Pays de Galles. Dommage. Je râle !

 » JE SENTAIS QUE C’ÉTAIT TENDU  »

Tu as vu des joueurs abattus après l’Italie ?

GILLET : C’est inévitable. On est habitués à gagner. C’est une équipe qui a très peu perdu depuis quelques années. Alors, être battu dans un rendez-vous pareil, ça a fait très mal. Mais on a vite remis l’église au milieu du village, on s’est dit : -Hé les gars, on a perdu une bataille, on n’a pas perdu la guerre. C’est bien qu’on ait su se remettre en question en un minimum de temps.

Là, c’est toi qui décides de provoquer une réunion entre tous les joueurs !

GILLET : Je sentais que c’était tendu. Pour moi, c’était le bon moment pour le faire. Si j’avais attendu d’avoir joué contre l’Irlande, ça aurait peut-être été trop tard. J’entendais ce qui se disait à l’extérieur, je ressentais que ça faisait des dégâts à l’intérieur du groupe. En tant que joueur le plus âgé du groupe, j’estimais que je devais faire quelque chose, prendre des initiatives. J’étais sûr que ça pouvait être une bonne idée de faire cette réunion.

A qui tu en parles en premier ?

GILLET : Dès que ça me vient à l’esprit, j’en parle à ceux qui sont près de moi à table, j’en discute avec des joueurs qui sont avec moi dans le hammam. Il y a Eden Hazard, Axel Witsel, Marouane Fellaini, aussi d’autres. Pour moi, ce n’était pas une première. J’ai souvent fait ça en club. Quand j’étais plus jeune, parfois, j’aurais voulu dire des choses. Mais j’étais trop jeune, donc je ne le faisais pas, et par après, je me disais que j’aurais dû me manifester. Ici, c’était mon premier tournoi, peut-être aussi mon dernier, donc je ne me posais plus de questions. Je suis mon feeling. On était à un moment délicat, et comme je sais que j’ai en face de moi des gars réceptifs et intelligents, j’ai agi. Tu ne peux faire ça qu’avec des gars réceptifs. Au fond de moi, je me suis aussi dit : -Ça passe ou ça casse, mais au moins, j’aurai suivi mon instinct.

 » CEUX QUI NE JOUENT PAS… C’EST CHAUD  »

Quand tu dis que c’était tendu, ça veut dire qu’il y avait des reproches entre joueurs ?

GILLET : Non, mais comme après une défaite dans n’importe quel gros match, il faut du temps pour digérer. Le problème, c’est que dans un tournoi, tu n’as pas le temps parce que tu rejoues très vite. Le lendemain du match, c’est le décrassage. Puis tu es un peu libre. Deux jours sont passés. Et il fallait préparer très vite le match contre l’Irlande. On n’avait tout simplement pas le temps, on ne pouvait pas traîner les traces de la défaite, il fallait tourner la page, fermer le livre. Si j’attends qu’on ait joué l’Irlande et si on ne gagne pas celui-là, on est déjà en manque d’oxygène. Je ne sais pas si la discussion que j’ai provoquée a eu des effets positifs, mais c’était peut-être une pierre de l’édifice qu’on était occupés à construire. En groupe. Parce que, si on a plein de stars, on a surtout un groupe. Ce n’est pas un cliché, pas une façade, je te le jure. Il suffit de voir nos entraînements. Ceux qui ne jouent pas… c’est chaud. Ça s’arrache, ça pousse, le but est d’essayer de gagner sa place, aussi de pousser les titulaires dans leurs derniers retranchements. Et même si tu finis le tournoi sans jouer, tu sais que tu tireras des bénéfices pour toi-même si l’équipe va très loin. On a tous ça en tête.

Le groupe a été fort touché par les critiques après le premier match, il n’y a pas que Marc Wilmots qui en a bavé !

GILLET : Ça a été fort loin quand même, tu ne trouves pas ? Et on ne va pas se cacher, avec un seul entraînement par jour, on a beaucoup de temps pour lire tout ce qu’on écrit et écouter tout ce qu’on raconte…

 » CE N’EST PLUS LA PETITE BELGIQUE À LAQUELLE ON PARDONNE BEAUCOUP DE CHOSES  »

Avec ton expérience et tout ce que tu as vécu, dont ta longue suspension et la tempête médiatique, tu arrives à leur dire :  » Du calme les gars, il y a plus grave  » ? …

GILLET : Bah, ce n’est pas vraiment nécessaire. Quand tu joues au plus haut niveau, tu sais toi-même que tu ne peux pas faire que des bons matches. L’important, c’était qu’au moment de jouer contre l’Irlande, le groupe ne soit plus du tout stressé, qu’il ne soit plus abattu par les critiques.

Vous avez eu l’impression qu’un mauvais match avait suffi à remettre en question le bon travail fait pendant plusieurs années ?

GILLET : Bien sûr. Mais ça, on s’y attendait un peu. L’attente était énorme, et on savait très bien qu’au moindre faux pas…

Au moindre faux pas, on vous attendait derrière la porte, c’est ça ?

GILLET : Ah oui, c’est sûr ! Les battes étaient prêtes, juste derrière… Mais ça fait partie du haut niveau, tu dois pouvoir assumer. Tu joues dans une équipe pareille… ce n’est plus la petite Belgique à laquelle on pardonne beaucoup de choses.

 » PLUS T’ES HAUT, PLUS LES GARS SONT TRANQUILLES  »

Passer d’un club moyen comme Malines à l’équipe nationale, c’est passer dans un autre monde, non ?

GILLET : Oui, c’est un autre univers, au niveau de l’organisation, à tous les niveaux. C’est le top. Quand je jouais à Bologne, à Torino, à Bari, c’était déjà quelque chose aussi. Mais ce qui me frappe le plus dans l’équipe belge d’aujourd’hui, c’est la simplicité. On a des joueurs qui ont un talent incroyable mais ce sont aussi, et surtout, des vrais mecs. En fait, plus t’es haut, plus les gars sont tranquilles. On s’imagine trop de trucs sur les Diables actuels alors qu’on a des super mecs. Ceux qui se prennent vite la tête, ce sont rarement les gars du top, finalement. Et il y a la maturité. Malgré leur jeune âge, ils affrontent les moments clés avec une sérénité dingue. L’avant-veille d’un gros match, la veille, le jour même, on vit très bien ça tous ensemble. On se met nous-mêmes dans les meilleures conditions pour être au top aux moments où il faut être au top !

Tu as connu les générations précédentes…

GILLET : Oui, ça a bien changé, évidemment. Quand j’ai commencé en équipe nationale, il n’y avait pas cette maniaquerie dans la préparation. On arrivait à l’entraînement… à l’heure du début de l’entraînement. Aujourd’hui, ça n’a plus rien à voir. On passe d’abord en salle de fitness, on échauffe ses chevilles, … Je me fais la réflexion avant chaque entraînement à Neerpede. Il y a une chouette salle de musculation, et une heure avant l’entraînement, la moitié du noyau est dedans. Alors que rien n’est imposé. C’est ça, être pro. On ne laisse rien au hasard. Les petits entraînements mollo mollo, c’est terminé. Les entraînements où on pensait surtout à ne pas retourner blessé dans son club, c’est fini. Aujourd’hui, si tu ne te défonces pas pour suivre le rythme, si tu ne te mets pas dans le truc, tu te mets à l’écart. Et tu es tout seul, parce que tous les autres joueurs font les efforts. Il faut juste s’accrocher au bloc, puis la machine avance toute seule.

 » ON ESSAIE DE FAIRE SANS VINCENT KOMPANY  »

Les transferts qui se négocient en plein EURO, ça ne complique pas les choses ? Il y a des Diables qui sont occupés à jouer leur carrière, c’est difficile ou carrément impossible pour eux de se concentrer à fond sur les matches, non ? Pour eux, ça doit être un gros stress en plus.

GILLET : Non, tout le monde était dans son tournoi. Ces histoires de transferts étaient éclipsées par les victoires. Rien à faire, les victoires, ça te booste, ça t’aide, tu vis mieux, l’ambiance devient encore meilleure, la confiance monte. Et ça devient comme un rouleau compresseur.

Marc Wilmots avait pourtant dit avant l’EURO qu’il ne voulait pas entendre parler de transferts.

GILLET : OK mais rends-toi compte ! C’est impossible avec une équipe pareille, avec des joueurs aussi convoités. On a tellement de talents ! Il y a des trains qui passent, tu ne peux pas les louper.

Vous en parliez beaucoup entre vous ?

GILLET : Très peu. On est arrivés à un point où, quand un Diable est transféré dans un club comme Manchester ou Chelsea, on lui dit : -Super, félicitations ! C’est devenu normal. Il y a quelques années, on disait : -Waw, mais c’est pas possible, c’est historique !

Tu dis que c’est un noyau de vrais mecs mais Thomas Meunier nous a dit récemment qu’il n’y avait pas, dans le groupe de l’EURO, un type qui se dégage avec le leadership d’un Vincent Kompany.

GILLET : Kompany, c’est notre leader indiscutable. Il n’est pas là, on essaie de faire sans lui. Il a une certaine façon de s’exprimer, c’est inné. On a maintenant d’autres gars qui savent prendre leurs responsabilités, ils font ça autrement. Surtout, c’est important que chacun reste soi-même. Il ne faut pas essayer de faire comme Kompany.

Tu as un peu pris ce rôle, non ?

GILLET : Oui. Provoquer la réunion que j’ai provoquée après l’Italie, il l’aurait fait aussi. Ça n’a pas duré longtemps, on est tous allés droit au but. C’était bref, nickel. On en a conclu qu’on était encore tous sur la même longueur d’onde.

 » SI ON AVAIT MARCHÉ DANS LE JEU DES MÉDIAS, ON SERAIT VITE RENTRÉS EN BELGIQUE  »

Si la Belgique avait gagné l’EURO, tu te serais dit avoir joué un rôle décisif ?

GILLET : Je ne sais pas… (Il réfléchit). Peut-être. Si ça pouvait être un petit ingrédient dans le succès, tant mieux. En tout cas, si je ne l’avais pas fait, je l’aurais regretté longtemps.

Il t’arrive aussi de secouer le cocotier à la mi-temps d’un match ?

GILLET : Là non, jamais. J’encourage mais ça ne va pas plus loin. La mi-temps, c’est le moment du coach et des joueurs qui sont sur le terrain. Ce n’est pas le moment pour qu’un réserviste secoue tout le monde.

Après l’Italie, il y a eu les critiques sur Marc Wilmots et on s’est aussi demandé si le groupe était toujours soudé.

GILLET : La réaction s’est vue contre l’Irlande. Si on n’a plus un groupe soudé, on ne réussit pas un match pareil. Ça aurait été trop simple de se cacher derrière les critiques sur l’entraîneur, c’était la solution de facilité. On aurait pu se dire : -Wilmots se fait flinguer, on marche avec ceux qui le flinguent, comme ça tout est de sa faute et on s’en sort bien. Même chose maintenant après l’élimination. Ce serait si simple de s’abriter, de fuir nos responsabilités. Un groupe de gamins aurait pu faire ça. Mais ici, on a des hommes, une équipe. Il n’y a pas que l’entraîneur qui fait des mauvais choix, il y a aussi les gars qui sont sur la pelouse. Si on s’était abrités, si on avait profité des critiques, si on avait marché dans le jeu des médias, on serait en Belgique depuis longtemps ! Qu’est-ce qu’on y aurait gagné ? C’est là que je te dis qu’on est une équipe de mecs. Et les gens sont surpris qu’on ait perdu contre les Italiens ? Moi, je connais assez bien l’Italie. Je savais que ça allait être terriblement compliqué. On les avait battus en amical il y a quelques mois mais c’était trompeur. En plus, ils ont été malins en mettant toute la pression sur nous, en disant que les Diables étaient des favoris de l’EURO. Je les connais. Bien joué !

 » UN JOUR, EDEN HAZARD SERA CAPITAINE DE CHELSEA  »

Eden Hazard avec le brassard autour du bras, c’est comment ? Il dit lui-même qu’il parle avec les pieds, parfois il ironise sur son statut de capitaine…

GILLET : C’est un leader naturel par son talent. J’ai connu beaucoup de capitaines qui ne disaient pas grand-chose.

Rentrer dedans, ce n’est pas ce qu’on attend d’un capitaine ?

GILLET : Celui qui rentre dedans en se forçant, seulement parce qu’il est capitaine, il fait fausse route. Hazard capitaine, c’est un choix que personne, dans le groupe, n’a discuté. Il grandit dans son rôle, je suis sûr qu’il aura un jour le brassard à Chelsea.

En Italie, tu étais un capitaine très différent, plus fort en gueule.

GILLET : Oui, j’étais un capitaine différent parce que j’ai une personnalité différente. Mais je ne suis pas non plus le bagarreur de service, hein ! (Il rigole).

Les Diables, c’est fini pour toi ?

GILLET : C’est trop tôt pour le dire, encore trop chaud. Mais, pour le moment, je reste à la disposition de l’équipe nationale.

PAR THOMAS BRICMONT ET PIERRE DANVOYE À BORDEAUX – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Ça aurait été trop simple de se cacher derrière les critiques sur l’entraîneur, c’était la solution de facilité.  » JEAN-FRANÇOIS GILLET

 » C’est une équipe qui a très peu perdu depuis quelques années. Alors, être battu dans un rendez-vous pareil, face à l’Italie, ça a fait très mal.  » JEAN-FRANÇOIS GILLET

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