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Les bad boys de Vicarage road

Troy Deeney a passé près de trois mois en prison pour une bagarre et Andre Gray affiche une cicatrice de 10 cm sur la mâchoire, souvenir d’une rixe aussi. Samedi, ils disputeront la finale de la FA Cup avec Watford. Portrait de deux personnages culte.

C’était un voyage en bus d’une heure trente entre Watford, une ville de 80.000 habitants dans le Hertfordshire, et le Wembley Stadium. Nonante minutes au cours desquelles beaucoup de choses passaient par la tête d’ Andre Gray. Cela faisait des mois qu’il était sur le banc et que Gerard Deulofeu, acheté pour 13 millions à Barcelone, avait pris sa place dans le coeur des fans de Vicarage Road. Mais Javier Gracia, le manager espagnol, avait vu ce que Gray (27) était capable de faire lorsqu’il entrait au jeu. Alors, cette fois, il avait décidé de le titulariser.

Les bad boys de Vicarage road
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A première vue, ça ne servait pas à grand-chose. Pendant une heure, les Wolverhampton Wanderers dominaient. Des buts de Matt Doherty et Raúl Jiménez leur permettaient d’entamer le dernier quart d’heure avec une avance confortable. C’est alors que Deulofeu entrait au jeu et réduisait le score sur un assist de Gray.

A la quatrième minute du temps additionnel, le capitaine Troy Deeney arrachait les prolongations sur penalty. Certains joueurs se faisaient masser tandis que d’autres écoutaient le manager. Gray et Troy Deeney parlaient à leurs équipiers.  » Cette finale, elle est pour nous. Ils sont cuits, ils ont peur. On continue à jouer à fond. C’est la guerre ! On se bat pour chaque ballon !  »

Gray était heureux d’avoir pu jouer un rôle dans ce qu’il considère comme le match le plus important de sa carrière. Cette rencontre face aux Wolves lui rappelait de nombreux souvenirs. Il avait joué aux Wolverhampton Wanderers où sa mère, Joanna s’occupait de la salle des joueurs.

Le pire endroit au monde

Les jours de match, elle lui permettait d’y entrer en cachette. Il avait grandi à Wolverhampton, le Black Country. Sans doute  » le pire endroit au monde « , selon l’ Urban Dictionary.

Une ville triste, laide et déprimante. Dangereuse, aussi. Gray en sait quelque chose. Sur sa joue gauche, on peut déceler une cicatrice qui part de la lèvre à l’oreille, souvenir d’une rixe le soir de Noël 2011.  » Le lendemain matin, quand je me suis réveillé, j’ai compris que j’avais eu beaucoup de chance. J’aurais pu être touché à l’oeil ou à la nuque, ce n’était qu’une cicatrice sur la joue. Je devais changer de mode de vie.  »

Il avait 20 ans et jouait à Hinckley United, une équipe de Conference North – la 6e division – où il gagnait 240 euros par semaine. Moins de cinq ans plus tard, le 13 août 2016, il effectuait ses débuts en Premier League sous le maillot de Burnley. A la fin de la saison, il était vendu à Watford pour plus de 20 millions d’euros. Ça reste le montant le plus élevé jamais dépensé par les Hornets.

Gray avait passé quatre ans au centre de formation des Wolverhampton Wanderers mais, à l’âge de 13 ans, on lui avait fait savoir de façon froide et abrupte, dans une courte lettre adressée à sa mère, qu’on ne le conserverait pas.  » Je n’ai pas pu relativiser « , dit-il.  » D’autant que, quelques semaines plus tôt, j’avais déjà encaissé un autre coup dur avec le décès de mon grand-père.  »

Andre était encore jeune lorsque son père biologique avait planté sa famille mais Terry, le grand-père, avait toujours été présent. C’était lui qui, deux ou trois fois par semaine, l’amenait à l’entraînement. Le week-end, ils se rendaient régulièrement à Molineux, l’antre des Wolves.  » Quand il est mort, j’ai dérapé, même si ma mère a tout fait pour me maintenir sur le droit chemin.  »

Bagarres et coups de feu

Elle devait travailler dur pour nouer les deux bouts et quand Andre a trouvé une place au centre de formation de Shrewsbury Town, c’est elle qui l’amenait à l’entraînement. Cinquante minutes aller et cinquante minutes retour.  » Sans elle, je ne serais jamais devenu professionnel, même si je l’ai parfois fait souffrir. Elle ne savait plus quoi faire avec moi.  »

En mai 2015, quelques mois après avoir entamé la saison en Championship avec Brentford, où il gagnait un peu d’argent, il offrait un cadeau particulier à Joanna pour la fête des mères : les clefs de sa première maison.

 » Le fait de savoir que ma maman et mon frère allaient enfin pouvoir vivre sans soucis financiers me procurait un sentiment formidable « , dit-il. Il veut devenir le mentor de Coady, son demi-frère âgé de huit ans, dont le père est mort jeune.  » Je ne veux pas qu’il commette les mêmes erreurs que moi.  »

Il a longtemps vécu en marge, dans une des bandes de jeunes qui semaient la terreur dans les rues de Wolverhampton. Les bagarres avec les poings ou à l’arme blanche n’étaient pas rares. Parfois, il y avait des coups de feu.

 » J’ai été arrêté plusieurs fois. A juste titre.  » Il a vu des amis séjourner longtemps en prison. Certains sont morts. Avec ses quinze points de suture à la joue, il estime s’en être sorti à bon compte.  » Ça m’a réveillé. Je jouais bien à Hinckley, pourquoi fallait-il que je me mette dans de telles situations ? Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai réalisé que je voulais être pro.  »

Il saisit l’occasion de faire un pas important en signant à Luton Town, en cinquième division, à plus de deux heures de route des bandes de jeunes.  » Il fallait que je quitte mes amis.  » Par la suite, tout se précipitait. Il inscrivait trente buts, devenait meilleur buteur du championnat et sautait trois divisions pour se retrouver en Championship (Brentford), où Burnley venait le chercher un an plus tard en échange de 12 millions.

Trois mois de prison

Là aussi, il devenait meilleur buteur avec 23 buts, était élu Joueur de l’année et aidait les Clarets à rejoindre la Premier League. Mais quelques jours après son premier but au plus haut niveau, face à Liverpool, il était à nouveau confronté à son passé. Des journalistes allaient fouiller des tweets datant de plus de quatre ans ans dans lesquels il affirmait qu’il y avait  » trop d’homos dans les rues  » – avec les hashtags # Burn en # Die – et traitait les enfants de mariages mixtes de lightys.

Résultat : quatre semaines de suspension et une amende de 35.000 euros…  » Je ne pouvais pas croire que j’avais un jour écrit cela sur Twitter. C’était tout à fait déplacé. J’avais complètement changé mais je devais apprendre à vivre avec mon passé. Il me poursuivra toujours. Il en va de même avec mon équipier.  »

Cet équipier, c’est Troy Deeney, le capitaine de Watford qui, en 2012, n’a pas joué pendant trois mois parce qu’il… purgeait une peine de prison. Lors d’une sortie à Birmingham, sa ville natale, Deeney et trois amis s’étaient battus avec des étudiants. Le tribunal avait examiné les images des caméras de surveillance sur lesquelles on voyait l’attaquant jeter un étudiant au sol et le rouer de coups.

Un agent devait également être transporté à l’hôpital suite au déplacement d’une vertèbre. Deeney était condamné à dix mois de prison. Sa peine était ensuite réduite parce qu’il se comportait bien.  » La nourriture était dégueulasse, les vêtements étaient terribles et la journée, c’était l’enfer mais j’en ai profité pour mettre de l’ordre dans ma vie.  »

Deeney traînait un parcours agité derrière lui. Son père avait fait régulièrement de la prison.  » Au début, ma mère nous disait qu’il était en voyage d’affaires à Singapour. Nous ne savions rien…  » Quand il est allé en prison, il a fait la même chose.  » J’ai dit à mon fils Miles que je partais en stage…  »

Sept buts en étant bourré

Il a grandi à Chelmsley Wood, dans un des nombreux immeubles misérables à l’ombre de l’aéroport de Birmingham. Un quartier où les bandes de jeunes font la loi et où la violence règne en maître. Ses parents se sont séparés lorsqu’il avait onze ans. Pour arrondir les fins de mois, sa mère avait quatre boulots. Troy vivait dans la rue.

A quatorze ans, il quittait une première fois l’école. Il y retournait un an plus tard mais, à seize ans, il s’en allait de nouveau et pour de bon, sans diplôme. Il avait également laissé filer l’occasion de faire un stage de quatre jours à Aston Villa.

 » Un match amical était prévu le quatrième jour, à quoi servaient les trois autres jours ? Je préférais rester au parc, avec les filles.  » Du coup, Aston Villa ne voulait plus entendre parler de lui…

Deeney avait du talent mais il était déjà très content de pouvoir jouer à Chelmsley Wood avec ses potes et de gagner 180 euros par semaine en tant que… cantonnier.  » Tous les mecs cool du quartier jouaient à Chelmsley Wood et j’avais au moins l’impression de servir à quelque chose mais je n’avais pas la moindre ambition.  »

La chance lui sourit lorsque le directeur du centre de formation de Walsall assistait à un match sur le petit terrain de Chelmsley Wood. La rencontre à laquelle il voulait assister avait été annulée à cause de la pluie et il avait donc décidé de venir voir son fils affronter la petite équipe de Deeney.

Celle-ci s’imposait 11-4 et l’attaquant inscrivait sept buts alors… qu’il était bourré. On l’invitait à passer un test dans le club de League Two (quatrième division) mais une fois encore, il s’en est fallu de peu que ça tourne mal : son entraîneur le sortait de son lit le matin et lui donnait 25 euros pour prendre un taxi. Par la suite, il parvenait à convaincre le staff technique de Walsall.

Une maison pour sa mère, une Lamborghini pour lui

 » Je découvrais le luxe ! Quand j’étais cantonnier, je commençais à bosser à 6h30 du matin et je finissais ma journée à 20 heures. A Walsall, je ne devais arriver à l’entraînement que pour 9 heures et à 14 heures, j’avais fini ma journée. Gagner huit fois plus d’argent et travailler moins, c’était une motivation suffisante pour tout miser sur le football.  »

Trois ans plus tard, en 2010, il passait à Watford, alors en Championship, où il touchait 7.500 euros par semaine.  » J’invitais chaque semaine mes copains de Birmingham parce que je me disais qu’il fallait en profiter, que Watford allait finir par s’apercevoir que je ne valais pas un clou et allait me dégager.  »

Il buvait, faisait la fête, se battait et finissait en prison.  » Sans ces trois mois derrière les barreaux, je jouerais en Sunday League, avec d’autres gars qui ont un sale passé « , rigolait Deeney en 2015, lorsque ses 21 buts permettaient à Watford de rejoindre la Premier League.

 » Je n’ai plus pleuré depuis cinq ans mais, aujourd’hui, je n’arrive pas à retenir mes larmes.  » Tout comme Gray, il achetait une maison pour sa mère. Il s’offrait aussi une voiture pour son anniversaire : une Lamborghini d’une valeur de 210.000 euros.

Les bad boys de Vicarage road
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117 euros d’amende par minute

A Vicarage Road, le charmant petit stade des Hornets, on est conscient d’avoir livré une fameuse saison. Comme chaque année, les bookmakers avaient placé le club parmi les trois descendants – seuls Cardiff et Huddersfield étaient jugés plus faibles – tandis que Javier Gracia figurait dans le top 5 des managers qui seraient limogés avant la fin de la saison. Mais Watford ne jouera pas en Championship la saison prochaine. S’il bat Manchester City, il pourrait même disputer l’Europa League.

Les prévisions pessimistes suivaient une certaine logique. Depuis l’arrivée du manager espagnol, en janvier 2018, le club n’avait remporté que quatre matches sur quatorze. Il n’avait pas inscrit le moindre but en déplacement et il n’avait dépensé que 28 millions d’euros lors du mercato estival. Impossible de s’en sortir comme ça !

Mais Watford a débuté par un douze sur douze, battant Brighton, Burnley, Crystal Palace et Tottenham, face à qui il était pourtant mené. Dès novembre, Javier Gracia a resigné jusqu’en 2023. Du jamais vu à Vicarage Road. Depuis la reprise du club, en 2012, les propriétaires italiens – GinoPozzo et son père, Giampaolo – avaient fait du club un cimetière pour entraîneurs, Gracia étant le premier à prolonger.

Le Basque, qui a joué à l’Athletic Bilbao et à la Real Sociedad, a instauré un régime de fer à Vicarage Road. Un pour tous, tous pour un.  » Je ne travaille qu’avec des joueurs qui veulent jouer pour ce club. Ils doivent toujours être ensemble, y compris en dehors du terrain « , disait-il en demandant qu’on installe un billard et des tables de ping au centre d’entraînement. Celui qui arrive en retard se voit infliger une amende de 100 Livres (117 euros) par minute.

Mission impossible ?

Watford a perdu ses dix dernières rencontres face à Manchester City, dont deux en FA Cup. Il n’a marqué que six buts et en a encaissé trente-deux.  » Nous ne sommes pas favoris mais nous pouvons écrire une page d’histoire « , dit Andre Gray.  » Cette saison, les matches ont été serrés ( 3-1 à Manchester, 1-2 à Vicarage Road, ndlr), car nous jouons différemment. Nous pouvons faire tourner le ballon mais aussi imposer notre physique. Au-delà de la limite s’il le faut.  »

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