Les autres Fellaini arrivent

Les succès d’origine maghrébine dans notre foot ont été trop rares mais les choses changent.

« J’ai choisi le Maroc librement en raison de ma culture et de l’origine de mes parents « , a déclaré Marouane Chamakh, l’attaquant vedette de Bordeaux avant France-Maroc, match amical (2-2) qui s’était déroulé le 16 novembre 2007 au Stade de France à Paris.  » Cette présence au sein des Lions de l’Atlas m’a permis de découvrir le pays de ma famille et de m’y attacher « .

En Belgique, des joueurs belges issus de l’immigration marocaine éclatent au firmament du football et s’interrogent aussi. Quelle équipe nationale doivent-ils choisir ? Celle de la terre de leurs parents ou du pays où ils vivent et sont nés ? Combien d’échecs injustes ou incompréhensibles ne compte-t-on pas chez nous à côté des belles aventures de Nordin Jbari, Norddine Moukrim, Momo Lashaf ou plus récemment de l’impressionnant Marouane Fellaini ? Hasard ? Formation hésitante ? Rejet de la différence ?

Abdelatif Fellaini, le père du grand médian défensif des Rouches précise :  » La réussite de mon fils est d’abord le résultat de beaucoup de travail. Marouane est un monstre de volonté « . Où sont les autres Fellaini ? Au fil des années, le nombre de joueurs belges d’origine marocaine a fortement augmenté dans les clubs des divisions supérieures. Il suffit d’examiner les compos pour s’en rendre compte. Leur talent ne peut plus être ignoré.  » Il est impossible de fermer les yeux : ces jeunes ont les moyens d’aider fameusement le football belge », lance Abdelatif Fellaini.  » Marouane confirme ce que des pionniers comme Jbari, Moukrim ou Lashaf ont réalisé avant lui. Il y aura beaucoup d’autres belles réussites marocaines en Belgique : Marouane a changé la donne. On ne peut plus revenir en arrière. Les mentalités changent « .

Faire preuve de patience et de volonté est plus facile dans des bonnes conditions familiales

Nordin Jbari :  » Il serait injuste de parler de réussite ou d’échec d’une communauté faisant partie intégrante de la famille de notre football. Mes parents sont venus du Maroc, c’est l’évidence même, j’en suis fier, mais je suis né ici et je suis belge. Ma trajectoire sportive a été entièrement façonnée par les expériences vécues dans mes différentes équipes d’âge. Dès lors, c’est la formation qu’on réserve à tous les jeunes joueurs belges qui doit être au centre du débat. Le Standard dépoussière les habitudes et cela fait réfléchir, surtout à Anderlecht : pour le succès de Dieumerci Mbokani et des jeunes Liégeois et, d’avantage encore, suite au départ de Vadis Odjidja pour Hambourg. Cela a choqué les Mauves. Si les Allemands l’ont recruté, c’est qu’il a du talent : ces gens ne sont pas aveugles. Les jeunes n’ont pas assez de possibilités de s’exprimer chez nous. Ils le font bien à l’étranger : cela prouve que la formation est totalement déficitaire. Moi, j’ai heureusement pu compter l’aide, la compréhension et la présence de ma mère. Elle m’a suivi partout : à l’entraînement, en match, etc. J’évitais ainsi un des problèmes qui réduit les chances de réussite sportive de l’immigration. Dans les grandes familles, il y a d’autres priorités que le sport. Il faut nouer les deux bouts et le contrôle des enfants peut parfois laisser à désirer « .

Abdelatif Fellaini :  » Je partage totalement l’avis de Nordin : c’est l’absence d’une formation adéquate qui hypothèque l’éclosion des jeunes talents, surtout celle des jeunes étrangers. Moi, j’ai très vite constaté que Marouane était au-dessus du lot. Quand il était enfant, je l’ai entraîné tous les jours près du Heysel où nous habitions. C’était un athlète qui pouvait réussir sur un terrain de football ou en tant que coureur de demi-fond. J’ai été international B au Maroc et, avec plus de travail et de discipline, j’aurais pu réussir une belle carrière. Je ne voulais pas qu’il commette les mêmes erreurs. Je ne l’ai jamais quitté du regard. A un point tel que mon autre fils m’en fit le reproche et cela s’est ressenti durant un moment sur ses résultats scolaires. Cela s’est heureusement arrangé pour lui et Marouane a terminé ses humanités, j’y tenais beaucoup. Quand Marouane s’est inscrit à Anderlecht, le regretté Fernand Beeckman, qui lui fit signer sa carte d’affiliation, n’avait jamais vu un gamin aussi solide. Mon fils confirme ce que des pionniers comme Jbari, Moukrim ou Lashaf ont réalisé ici. Il aura beaucoup d’autres belles réussites « .

Norddine Moukrim :  » Il faut prospecter un peu partout : je suis certain qu’il y a beaucoup de talents maghrébins dans les petits clubs. Les jeunes Marocains pèchent parfois par manque de patience. Il faut travailler, s’installer dans la durée. Or, ce n’est pas évident à vivre. Moi, je jouais au football place Saint-Denis ou au Parc de Forest et je me suis inscrit à La Forestoise par hasard. Quand je me suis retrouvé en équipe Première, j’ai remis ma première prime à la maison : 4.000 francs (100 euros). Dans une famille marocaine, c’est important : cela signifie que le fils peut aussi gagner de l’argent. Je mesurais bien les sacrifices que mon père faisait pour élever sa famille. Mes parents ne s’intéressaient pas au sport mais suivaient nos études, surveillaient nos fréquentations. Le football était un plaisir, rien d’autre. Puis, j’ai eu la chance de jouer à Tirlemont et à Wavre avant de signer à l’Antwerp. En 1993, je suis monté au jeu au cours de la deuxième mi-temps de la finale de la Coupe des Coupes contre Parme. C’est inoubliable et Walter Meeuws, notre coach m’a dit : -Chaque fois que je t’ai demandé quelque chose, tu l’as fait à fond. Je voulais te récompenser. C’est le message que j’essaye de faire passer auprès des jeunes que j’entraîne au Brussels. On n’a rien sans volonté, travail et talent mais il faut aussi de la veine « .

Momo Lashaf :  » Le racisme est encore très présent, notamment dans les séries inférieures. A 11 ans, je prenais le train de 15 h 53 à la gare de Mons afin de me rendre à l’entraînement à Anderlecht. Le soir, je sautais dans le tram 103 pour ne pas rater le train de 19 h 28. Mes parents ont souvent tremblé car on ne sait pas ce qui peut arriver à un enfant. J’ai vécu un jour un moment de panique quand un type bizarre m’a suivi à la gare du Midi. Dans le noyau A, on m’avait donné l’armoire de Juan Lozano, mais quand j’ai compris qu’Anderlecht ne comptait par sur moi, alors que j’étais international marocain, j’ai accepté l’offre de Wavre (D2). J’ai pu rebondir, avoir ensuite une offre de l’Antwerp avant de signer au Standard. Je conseille aux jeunes qui n’ont pas assez de temps de jeu de partir. Il faut jouer. Je voulais être un exemple pour les jeunes et un sujet de fierté pour mon père qui a fait partie de la première vague d’immigrés marocains. Il a été emporté par la silicose du mineur en 1988…  »

Pour sortir des jeunes d’ origine étrangère ou pas il faut des centres de formation de qualité

Momo Lashaf :  » Je me suis battu après ma fracture ouverte de la jambe en 1991 à Charleroi. J’étais au top et le Standard d’ Arie Haan était lancé. Je suis revenu et j’ai rejoué après beaucoup de problèmes et de complications. Ma carrière aurait certainement été très différente sans cette catastrophe. Quand j’étais jeune, il n’y avait que le football qui comptait. Les études passaient au second plan : aujourd’hui, je le regrette. Grâce à Geo Van Pyperzeel, je m’occupe d’animation sportive au PHASE à Mons. Les jeunes doivent comprendre que tout est fragile. Malgré cela, je joue encore en P1 : je ne peux pas me passer de football « .

Nordin Jbari :  » En France, les centres de formation s’occupent même de cet aspect des choses. Les jeunes sont encadrés. Nicolas Anelka n’aurait pas réussi en Belgique : on l’aurait cassé. On n’aime pas les joueurs différents. En Réserve, j’ai marqué 50 buts : Johan Boskamp s’en foutait. Lui un entraîneur pro jeunes ? Faut pas rire : qu’on me cite deux de ses grandes découvertes en 20 ans ? Il ne comptait pas sur moi et Anderlecht ne misait guère sur ses jeunes. Ma réussite, je la dois à Lei Clijsters qui coachait Gand. Il me voulait à tout prix et m’a offert un vrai contrat professionnel « .

Abdelatif Fellaini :  » Après Anderlecht, Marouane a joué à Mons aux Francs Borains et à Charleroi. Mais ce n’est qu’au Standard qu’il a rencontré son premier véritable entraîneur de jeunes : Christophe Dessy. Là, c’était du sérieux et ce coach a vu ses lacunes, les a travaillées, a prévu son entrée dans le noyau A et m’a dit un jour : – S’il ne joue pas en D1 dans un an, tu l’emmènes dans un autre club. Jusque-là, j’avais été son seul entraîneur digne de ce nom. Le Standard est sur la bonne voie : il faut des coaches de qualité et un véritable centre de formation. Quand on dispose d’un outil valable, on sort plus de jeunes, d’origine étrangère ou pas. Marouane profite pleinement des magnifiques conditions de travail à l’Académie Robert Louis-Dreyfus « .

Norddine Moukrim :  » J’ai connu beaucoup de joueurs maghrébins plus doués que moi qui n’ont pas eu un zeste de chance. Entre 1993 et 2008, tout le football a changé : on ne peut plus ignorer les jeunes joueurs belges d’origine étrangère. Les stars sont impayables. Alors, il faut miser sur son vivier. La société est plus multiculturelle qu’avant et ça facilite les choses « .

Quand on est belge et qu’on se sent belge, on choisit les Diables Rouges.

Nordin Jbari :  » Je suis belge. Je suis né et j’ai grandi dans ce pays. J’y vis, j’ai ma famille, mes amis, mon avenir. J’ai été très fier de porter le maillot des Diables Rouges. Quand je vois ce que Marouane représente déjà pour l’équipe nationale belge, cela me touche et je ne peux que l’encourager à persévérer. Il avait été question de moi chez les Lions de l’Atlas. Puis, on m’a oublié et quand j’ai opté en faveur des Diables, la presse marocaine ne m’a pas épargné. C’est pas grave. Wilfried Van Moer m’aimait bien et m’a offert ma première sélection contre les Pays-Bas en 1996. C’était une nouveauté aux yeux de certains, pas pour moi car je me sentais et j’étais belge. C’était la preuve que je me débrouillais bien à Gand « .

Abdelatif Fellaini :  » Marouane a pris sa décision seul. Il a été international dans toutes les catégories de jeunes en Belgique. Le Maroc s’est intéressé à lui avant de l’oublier, comme ce fut le cas de Jbari. Un jour, il m’a dit : – Papa, j’opte pour les Diables Rouges. Il n’a peur de rien mais ici, on connaît parfaitement son style, ses progrès, son potentiel. Marouane a acquis beaucoup de respect. Il est accompagné par d’autres jeunes du Standard et c’est bien pour lui. Sa présence à ce niveau constitue un immense encouragement pour tous les jeunes Maghrébins « .

Norddine Moukrim :  » J’entends rendre service au foot belge. C’est pour cela que je me suis lancé dans la formation des jeunes au Brussels. Mon expérience peut leur être utile « .

Momo Lashaf :  » Je n’ai pas quitté le coin où mes parents s’étaient fixés en arrivant en Belgique : Mons. La présence des Dragons en D1 a fait du bien à tout le football montois. Je sais qu’on met de nouvelles choses en place dans ce club qui doit être le navire amiral de la région. Il y a de bons éléments mais l’éclosion des jeunes Marocains passe par plus de travail, de motivation et de volonté « .

L’équipe du Maroc connaît mieux qu’avant les joueurs marocains qui jouent ailleurs.

Momo Lashaf :  » Nous sommes originaires d’Oujda, près de la frontière algérienne. C’est évidemment un plaisir d’y retourner. J’ai été retenu 14 fois en équipe nationale du Maroc. Pour moi, ce furent chaque fois des moments très émouvants. C’est une grande équipe. En France, certains optent peut-être pour le Maroc car ils seraient barrés chez les Bleus. Quand Mohamed Timoumi a été transféré à Lokeren, j’étais aux anges. C’était une immense star, l’ami du roi Hassan II, un joueur magnifique qui a révélé les qualités du football marocain en Belgique. Même si son séjour ne fut pas long ou spécialement brillant, son passage fut un sujet de fierté pour nous. L’équipe nationale m’a finalement révélé en… Belgique. J’avais été retenu pour un match Maroc-sélection des Marocains de Belgique. De là à l’équipe nationale, il n’y avait qu’un pas. J’ai été sélectionné alors que je n’étais pas connu en Belgique. Sidi Airouss qui s’occupait des jeunes Marocains de Belgique a alors parlé de moi à Wavre « .

Norddine Moukrim :  » Je suis fier de la région d’où je viens : Khemisset, entre Rabat et Meknès. J’ai été conçu en Belgique mais je suis né au Maroc. J’étais fier de jouer en équipe nationale marocaine. J’ai fait partie de la présélection pour la Coupe du Monde 94 aux Etats-Unis. Je n’ai finalement pas été retenu : ce fut une grande déception. J’ai joué avec Momo à Wavre. Les Marocains de Belgique n’intéressaient pas encore les agents. Aujourd’hui, ils sont nombreux et il y a plus de perspectives. Les joueurs sont mieux conseillés dans leurs choix. A notre époque, nous étions seuls. Maintenant, il y a des managers, des dirigeants, des entraîneurs et des arbitres issus de l’immigration marocaine. Internet permet de tout suivre. La presse révèle plus vite les talents. Je ne prétends pas que tout a changé, loin de là, mais c’est différent. Nous aurions probablement eu moins de peine à montrer le bout du nez à l’époque actuelle. Au-delà de cela, je crois aussi que ce qui doit arriver arrive. Je me débrouillais bien : il était normal que l’Antwerp me suive « .

Abdelatif Fellaini :  » Mes enfants aiment bien se rendre au Maroc, et plus spécialement chez nous, à Tanger, mais ils sont toujours heureux de revenir en Belgique, leur pays. Ils ne supportent même plus très bien la chaleur qui règne au Maroc. Ce sont des fils du Maroc et des enfants de la Belgique « .

Nordin Jbari :  » Ma famille vient de Tanger. Le Maroc est magnifique, personne ne l’ignore. J’y suis bien comme je suis bien en Belgique. Le racisme ? Je ne veux même pas en parler. Pas question de me poser en victimes, les malheureux, c’est eux, pas nous. Je n’aime pas quand on parle d’allochtones et d’autochtones. Je le répète : nous sommes d’ici, nous resterons car nous sommes des Belges « .

Le futsal est un vivier de jeunes maghrébins, mais la consécration c’est la D1

Momo Lashaf :  » Aujourd’hui, on remarque que beaucoup de jeunes Marocains optent pour le football en salle. C’est parfois une question de taille. Moi, j’avais besoin d’espace pour exploiter ma vitesse et ma technique. Le foot en salle peut être un réservoir de talents : Nabil Dirrar est passé par là avant de se révéler. La D1 était mon rêve. J’y ai passé des moments merveilleux avant ma fracture de la jambe. Je n’oublierai jamais la chaleur du public à Sclessin « .

Nordin Jbari :  » La D1, c’est une première consécration. A des moments différents de ma carrière, j’ai joué à Anderlecht, à Gand, au Club Bruges, au Cercle Bruges et à La Louvière. C’est pas mal quand même… « 

Norddine Moukrim :  » J’ai passé quatre ans à l’Antwerp. Même si je ne jouais pas assez, j’y ai vécu de chouettes trucs dont une inoubliable campagne européenne avec de grands joueurs. Quand je demande une invitation, le manager Paul Bistiaux me l’offre avec le sourire et prend de mes nouvelles. On ne m’a pas oublié à Deurne, c’est chouette « .

Abdelatif Fellaini :  » Il n’y a pas de cadeaux. Si on veut donner du sien, la D1 est une formidable école. En Belgique, rien n’est facile. Il faut lutter « .

Et s’ils étaient mieux considérés à l’étranger, notamment en France ?

Nordin Jbari :  » J’ai évolué en Grèce et en France avec des fortunes diverses. Cela m’a permis de résoudre des problèmes et des blessures, d’avancer, de me situer, de me gérer, de vivre de belles expériences européennes. Un jour, j’ai croisé et salué Jean-Michel Aulas, le président de Lyon. Il m’a reconnu : – Et alors, comment ça va à Troyes ? Je ne suis pas sûr que tous les dirigeants belges savaient que je jouais en L1 française. Cela résume tout : il y a encore beaucoup d’amateurisme en D1..  »

Norddine Moukrim :  » J’ai connu la D3 allemande. Un monde de différence, même par rapport à la D1 belge. Ce fut une bonne expérience avec la découverte d’une autre culture « .

Momo Lashaf :  » Moi, j’ai joué à Gueugnon et j’ai même effectué un petit séjour en Amérique. Si la chance m’avait souri, tout aurait probablement été très différent « .

Abdelatif Fellaini :  » En deux saisons, Marouane a probablement fait le tour de la question, s’est fait une place en D1 et en équipe nationale. Mais c’est le Standard qui décidera s’il peut partir ou pas. Il est sous contrat jusqu’en 2012. Rester et découvrir la Ligue des Champions avec le Standard serait intéressant. Mais je vois ce que je vois : Marouane est déjà prêt pour un grand championnat étranger : Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne. Il s’y imposerait, j’en suis certain. S’il y a quelque chose en fin de saison, OK, on avisera. C’est pas mal quand même pour un petit Belge dont les parents sont venus du Maroc…  »

par pierre bilic et bruno govers – photos : reporters/ gouverneur

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