« Les arbitres, connais plus! »

Jacky Mathijssen retourne ce week-end à Charleroi et espère ne pas craquer :  » Mentalement, je ne suis pas prêt. Ce match vient trop tôt « .

Jacky, le retour : c’est dimanche que Jacky Mathijssen (44 ans) retrouvera le Stade du Pays de Charleroi, comme adversaire. Sporting-Club Bruges, il y aura un parfum d’UEFA dans l’air, voire plus. Un parfum de nostalgie, aussi, pour l’entraîneur limbourgeois, pour les joueurs et le public carolos. Mathijssen ne le cache pas : au niveau émotionnel, il n’est pas encore tout à fait prêt pour ce déplacement. Il s’éclate à Bruges mais a encore certaines pensées à Charleroi.

Comment envisagez-vous votre retour à Charleroi ?

Jacky Mathijssen : Pour tout vous dire, c’est encore un peu trop tôt pour moi car j’ai encore plein d’émotions liées au Sporting. Et les émotions, ce n’est jamais bon pour un entraîneur. Je suis content que nous partions cette semaine en Norvège pour la Coupe d’Europe : en jouant le jeudi soir, j’aurai assez peu de temps pour penser au match de Charleroi. A cause du déplacement des Diables Rouges, j’ai eu deux semaines pour préparer le match contre Lokeren : si j’avais eu 15 jours pour penser à Charleroi, cela aurait été encore plus dur, moralement.

Vous n’avez pas le choix : vous devrez quand même y aller.

(Il rigole). Ben oui, j’irai… Mais j’aurais préféré que ce déplacement vienne plus tard car ma tête n’a pas encore complètement quitté ce club. J’ai connu des moments exaltants à St-Trond, mais quand j’y repense, ça n’a rien de comparable avec le souvenir que je garderai toujours de Charleroi.

Un rêve, un miracle, un fait unique dans une carrière

Charleroi champion, c’est peut-être pour cette saison ?

Aucune idée. Ce n’est plus ma maison, ce ne sont plus mes affaires.

Si vous deviez coter, sur 10, votre passage à Charleroi ?

Ce n’est pas mon rôle de me donner un bulletin. Mais je me souviendrai toujours que j’étais arrivé dans un club où il y avait un tas de problèmes dans tous les sens et que j’y ai passé trois saisons magnifiques. Quitter le Sporting trois ans plus tard après avoir réussi des résultats pareils, c’était plus qu’un rêve, c’est un truc que je ne réussirai peut-être qu’une seule fois dans ma carrière, presque un miracle. Toute ma vie, je resterai très fier de ce que j’ai fait là-bas.

Il faudra que vous soyez champion avec le Club Bruges pour garder un souvenir aussi fort de votre passage ici ?

Certainement. Si je ne suis pas champion au moins une fois ici, je n’atteindrai pas le même niveau de satisfaction et de fierté.

Quand vous enverrez plus tard votre CV dans des clubs étrangers, vous devrez justifier que vous n’avez pas terminé votre troisième saison à Charleroi. Qu’écrirez-vous ?

Bah, j’avais déjà quitté St-Trond en avril, après trois ans, pour finir la saison avec Charleroi.

Et vous quitterez Bruges en avril 2010 ?

(Il éclate de rire). J’espère bien. Rester trois ans dans le même club, c’est toujours bien, surtout quand c’est un club qui consomme beaucoup d’entraîneurs. St-Trond et Charleroi ne sont pas réputés pour leurs collaborations à long terme avec des coaches : moi, j’ai tenu le coup.

Le public va vous accueillir en héros, c’est sûr.

Je ne sais pas. Mais je l’espère. Je sais déjà que ça va être un moment très difficile pour moi. Vraiment, ce n’est jamais bon pour le coach d’une équipe adverse. Quand je vous dis que ce déplacement vient trop tôt dans la saison…

Les joueurs de Charleroi auront l’avantage de connaître les petits trucs que vous utilisez pour motiver votre équipe dans les grands moments, et de votre côté, vous aurez l’avantage de tout connaître sur le Sporting vu que l’équipe n’a pratiquement pas changé.

Tout ce qui était bon à Charleroi quand j’y étais, est toujours en place aujourd’hui. Et tout ce qui était moins bon y est toujours également. Mes adjoints sont allés voir Charleroi deux fois, mais qu’est-ce qu’ils peuvent encore m’apprendre ? Globalement, je vois une équipe qui continue à bien tourner : ça veut dire que les fondements étaient bons, que j’ai bien travaillé. En partant, j’étais certain que le nouveau staff avait toutes les cartes en mains pour que ça continue à marcher.

Rester dans le coup avec Bruges

Vous travaillez au Club depuis trois mois : impressions ?

C’est nouveau, c’est bon, c’est gai. Quand tu as travaillé trois ans à St-Trond, puis trois saisons à Charleroi, c’est normal de chercher à aller encore plus haut. J’y suis parvenu en obtenant un contrat à Bruges, un club historique qui a gagné plein de trophées. Quand un footballeur débute, il rêve de jouer au plus haut niveau dans son pays. Idem pour un entraîneur. Je suis vraiment fier d’avoir reçu la confiance de la direction, qu’on m’ait confié un noyau susceptible de retrouver le chemin des grandes victoires. Avoir l’honneur d’être impliqué en première ligne dans un projet pareil, c’est génial.

Votre ambition était de ne pas prendre trop de retard sur les autres candidats au titre dans la première ligne droite : objectif atteint ?

C’est encore trop tôt pour faire un premier bilan. Le but, c’est de ne pas être largué à la trêve. Je m’attendais à rencontrer des difficultés au début, surtout en raison du chamboulement du noyau. Mais j’ai affronté une cascade de blessures. Quand vous perdez quatre joueurs sur le seul match de Supercoupe, il y a de quoi râler. En une soirée, Koen Daerden, Joos Valgaeren, Gertjan De Mets et Stepan Kucera se sont retrouvés à l’infirmerie. C’était un rendez-vous de prestige mais il nous a coûté un pont. Et il y a eu d’autres blessures, dont celle d’Elrio Van Heerden. Quand les problèmes musculaires ont commencé à s’accumuler, j’avais deux options : diminuer le régime des entraînements ou continuer sur ma lancée. J’ai décidé de continuer car je suis sûr que ça finira par payer pour tout le monde.

On dit la même chose du Club et d’Anderlecht : ces équipes prennent des points sans bien jouer.

Mes objectifs au niveau de la qualité du jeu sont plus élevés que ce que nous avons montré, mais il ne faut pas exagérer. Nous avons régulièrement eu de bonnes séquences. Mais jamais pendant un match complet. Avec le retour des blessés et le fait que les joueurs continuent à approfondir leur apprentissage du groupe et de l’équipe, ça ne peut que s’améliorer. Je ne suis pas du tout inquiet quand on dit que Bruges ne joue pas assez bien. Surtout que je constate des progrès bien plus rapides que prévu sur d’autres plans : la mentalité, le sens du sacrifice collectif, la motivation, le jusqu’au-boutisme, la fierté de jouer au Club. Si je suis bien renseigné, ce sont des valeurs qui faisaient un peu défaut ici, non ?

Le Standard cartonne et joue bien : c’est ça, la référence ?

Hé, ho, il ne faut pas non plus exagérer, hein ! Le Standard est-il si brillant ? Pas contre nous, en tout cas. Qu’on ne vienne pas me dire que c’était fameux de leur part, ce soir-là.

Allez, reconnaissez qu’il est au moins très efficace.

Efficace, oui. C’est normal quand on a des joueurs en forme. Mais je signale qu’il n’y avait pas une grande différence de niveau entre les deux équipes quand nous sommes allés jouer là-bas. Toutes les équipes qui visent haut connaîtront tôt ou tard une période faste comme le Standard en a une pour le moment : Anderlecht, Genk, Gand, Charleroi, Bruges, le Germinal Beerschot,… Je ne m’en fais pas pour si peu. Tout le monde s’extasie devant le Standard mais il faut savoir que ce club connaît chaque année une période faste pendant laquelle il enchaîne cinq ou dix victoires. La différence, c’est que c’est venu très tôt cette saison. Je ne cache pas que c’est la meilleure solution, évidemment.

Vous pensez que le Standard ne pourra pas tenir ce rythme toute la saison ?

Ce n’est pas mon problème. C’est une question qui ne me préoccupe que deux fois sur le championnat. J’ai beaucoup de travail à Bruges et pas le temps de m’intéresser au fonctionnement des autres équipes. Il faut seulement savoir que le championnat est un marathon, pas un sprint.

Avouez que les Liégeois ont pris un avantage psychologique en frappant fort dès le début.

Est-ce qu’on peut déjà tirer des conclusions après six matches ? Les choses ne sont jamais aussi dramatiques qu’on le croit et jamais aussi brillantes qu’on le dit. Nous aussi, nous gagnerons cinq ou six matches d’affilée cette saison : j’en suis certain à 200 %.

Jovanovic aujourd’hui, Sterchele demain ?

Votre analyse après la défaite de Bruges à Sclessin a surpris beaucoup de monde. On a parlé de mauvaise foi caractérisée quand vous avez dit que le Club aurait pu et dû gagner.

Tous les journalistes m’ont donné tort mais presque tous les entraîneurs m’ont donné raison ! Tout était en place pour que nous remportions ce match. Et tout s’est bien passé pour nous jusqu’à l’exclusion de Philippe Clement. Notre problème, c’est que nous avons oublié d’être dangereux et que le Standard a marqué deux fois en ayant une seule occasion. J’étais certain que nous pouvions émerger en fin de match si nous parvenions à faire le gros dos pendant un bon moment. Vous avez vu la première mi-temps ? En rentrant au vestiaire, plusieurs de mes joueurs ont dit à Stijn Stijnen : -Tu passes vraiment une soirée tranquille, toi. Tout se passait comme je l’avais prédit et ça nous a coûté la victoire car il y a sans doute eu un excès de confiance dans mon équipe. Cet excès de confiance, un premier but tombé du ciel et une carte rouge imméritée : c’était trop.

Il y a au moins un entraîneur qui ne vous a pas donné raison dans votre analyse : Michel Preud’homme.

Il regarde son équipe, je regarde la mienne. Mais à Liège, c’est normal qu’après cinq victoires d’affilée, tous les journalistes notent aveuglément tout ce que l’entraîneur du Standard leur raconte.

Vous avez dit que Milan Jovanovic coûterait cinq points au Standard cette saison.

C’est vrai. Les arbitres vont analyser les phases litigieuses et constater qu’elles se ressemblent un peu trop. Après notre match au Standard, l’arbitre m’a dit qu’il avait reçu des infos sur les gestes de Jovanovic mais qu’il croyait avoir pris les bonnes décisions. Je respecte ça, mais c’est dommage de perdre un match aussi important sur des phases pareilles. Clement prend deux cartes jaunes pour des fautes supposées sur Jovanovic et ça nous a empêchés d’aller au bout.

Reconnaissez que Jovanovic est l’homme du début de saison.

Tout à fait et j’avais d’ailleurs bien prévenu mes joueurs. J’ai même félicité Jovanovic après le match parce qu’il avait parfaitement fait ce qu’on lui avait demandé de faire. Je comprends ses simulations, mais d’un autre côté… ouais… Allez, disons que si ça marche, il a raison de continuer. Mais ça ne durera pas.

On croyait que François Sterchele allait être la star du début de championnat mais c’est un Serbe de Sclessin qui lui a piqué son premier rôle.

Pour le moment, tout réussit à Jovanovic, et c’est le propre des hommes en forme. Il shoote à côté mais ça touche une tête et ça rentre dans le but. Je ne m’inquiète pas : les périodes de forme des attaquants ne durent qu’entre quatre et six semaines.

Ah bon ? On a déjà joué six journées, il devrait donc vite s’éteindre ?

(Il sourit). Si on parlait plutôt de Sterchele ? Il peut évidemment faire bien plus que ce qu’il a montré jusqu’à présent. Il est intelligent, il ouvre les yeux, il cherche des solutions. C’est encore un tout autre joueur par rapport à celui que j’avais entraîné à Charleroi. Mais c’est normal : à son âge et quand on a du talent, on progresse dans n’importe quel environnement. Même s’il ne joue pas beaucoup en équipe nationale, je sais que ses présences dans le noyau lui apportent encore un plus.

Il peut s’attendre à un accueil très chaud à Charleroi. L’année dernière, avec le Beerschot, il avait été sifflé et insulté, mais il avait quand même été l’homme du match.

C’étaient les suites du match aller où il y avait eu des phases litigieuses avec Laurent Ciman et Oumar Bakari. Il les avait un peu provoqués. Les supporters de Charleroi ne l’avaient pas oublié.

Sterchele aime provoquer les adversaires. Vous, c’est plutôt les arbitres…

Ouais… Mais je n’avais pas le choix quand j’étais à Charleroi. Je savais très bien ce que je faisais, mes joueurs aussi. Je n’avais personne pour mettre de temps en temps les choses au point avec les arbitres, pour les obliger à nous respecter. J’ai essayé avec Sébastien Chabaud mais ça n’a pas marché. En se concentrant sur cette mission-là, il commençait à perdre un peu son football. En fait, j’avais trop peu de Belges pour instaurer un contact naturel avec les arbitres. Nous en avons discuté et nous avons décidé que je m’en occuperais. L’exclusion de l’entraîneur est moins grave qu’une carte rouge à un joueur. Je faisais donc passer moi-même les messages et ça m’a coûté des renvois en tribune. Souvenez-vous que je n’avais pas ce problème à St-Trond. Et je ne l’aurai pas à Bruges car j’ai assez de joueurs capables d’instaurer le dialogue avec le type qui est le patron sur la pelouse.

par pierre danvoye

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